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Bloc-notes : En finir avec le business de l’homophobie en Tunisie

Il n’y a pas que l’opposition des homophobes, religieux ou non, pour empêcher d’abolir l’homophobie, survivance coloniale; la stratégie des militants y participe aussi, transformant cette cause en simple business, les uns commerçant avec la religion, les intégristes religieux, et les autres, salafistes profanes, le font avec cette noble cause dévergondée qu’est la lutte contre l’homophobie.

Par Farhat Othman *

L’émission de Bernard de la Villardière ‘‘Enquête exclusive », sur M6 dimanche dernier, 20 janvier 2018, est une illustration éloquente des dérives de la cause anti-homophobie en Tunisie, se faisant moins pour l’abolition effective de cette tare coloniale qu’au nom d’une laïcité non dénuée de relents islamophobes.

Au vrai, on assiste à un business de l’homophobie où tout est bon pour médiatiser la cause gay, mais de la plus mauvaise façon qui soit; ce qui fait que, paradoxalement, ce sont les associations LGBTQI qui refusent, au final, l’abolition de l’homophobie.
En effet, si l’on refuse, en pays d’islam, de reconnaître le droit à ce sexe parfaitement naturel, c’est au prétexte que la religion l’interdirait. Or, il a été démontré de la façon la plus définitive qu’il ne s’agit que d’un mythe, l’islam n’ayant jamais été homophobe.

Pourtant, au lieu d’user de cette arme fatale pour tailler en pièces l’argumentaire fallacieux des homophobes, les militants s’y refusent par laïcisme. Ce faisant, ils ne font que parler dans le vide, desservant la cause au lieu de la servir, apparaissant aux masses comme agissant contre l’islam. Ainsi, le mouvement LGBTQI devient-il l’allié des religieux pour garder la législation scélérate en l’état.

Stratégie laïciste anti-homophobie

La véritable question qui se pose aujourd’hui en Tunisie est de savoir si l’on veut sincèrement l’abolition de l’homophobie. Manifestement, la réponse est négative, à voir la manière dont les militants gèrent cette cause, leur refus surtout d’user de la seule stratégie adéquate, adaptée aux réalités du pays, porteuse de résultats concrets.

En effet, pour obtenir l’abolition de l’article 230 du Code pénal, base légale de l’homophobie, violant aussi bien le droit que l’islam, il importe de réajuster la stratégie militante actuelle pour en finir avec son caractère de pur business, au service d’une laïcité que rejette la constitution.

Pourtant, on se suffit d’incantation, ne parlant d’homophobie que dans le but de stigmatiser l’islam, non point d’agir pour obtenir l’abolition au nom de la constitution en se fondant sur la vérité désormais avérée que la religion ne l’empêche nullement, n’étant pas homophobe. En cela, on ne fera que tenir compte de la constitution imposant le respect des valeurs de l’islam.

Si un tel refus dure malgré la multiplication des victimes souffrant de plus en plus du fait d’une médiatisation qui n’a eu que des retombées néfastes puisqu’elle ne cible pas la véritable cause de l’homophobie en terre d’islam, c’est que les associations développent une stratégie copiée sur celle de l’Occident laïque, excluant de parler de la religion. Bien mieux, elles alignent à tort le statut de l’homophobie en islam sur celui qui a été le sien dans le judaïsme et la chrétienté; ce qui est une totale aberration. Surtout, on feint d’ignorer ce qu’exige la constitution tunisienne référant à la religion et au respect des valeurs de l’islam; ce qui veut dire que la moindre initiative tendant à abolir l’homophobie est assurée d’être rejetée au nom de sa violation de l’islam.

On refuse ainsi de présenter ou défendre le projet de loi tueur de l’homophobie, dénonçant la fausse croyance que l’homosexualité viole la religion. Et c’est pour le moins inadmissible quand on sait qu’il a été attesté, de par des indiscrétions diplomatiques occidentales fiables, que ce projet sera fatalement voté s’il entre au parlement, le chef du parti Ennahdha s’y étant engagé. Au demeurant, ce dernier, dans sa lettre au président de la République sur les propositions de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), s’est déclaré ne pas s’opposer à l’homosexualité qu’il a même jugée relever du sexe naturel dans les médias occidentaux. Pourquoi donc n’exige-t-on pas la publication de cette lettre?

Par ailleurs, on l’a dit et on le redira, les preuves ne manquent plus que l’islam n’a jamais été homophobe, que l’anathème supposé musulman du sexe gay est une simple construction jurisprudentielle construite par des jurisconsultes, introduisant la condamnation de la Bible en islam à partir d’une interprétation contestable des versets coraniques.

Par conséquent, il est désormais acquis que le mouvement LGBTQI en Tunisie, et ailleurs en terre d’islam, ne milite pas pour l’abolition de l’homophobie, mais pour la laïcité, pensant au mieux que c’est le seul moyen d’obtenir son abolition. Certes, la laïcité est une noble cause, mais elle est loin de permettre l’abolition de l’homophobie en Tunisie, ou alors en la remettant aux calendes grecques, puisqu’il est inimaginable que la constitution omette de sitôt — si cela doit jamais advenir — la référence à la religion.

Business de l’islamohomophobie

Outre le fait que c’est la constitution qui impose de se référer à l’islam et à ses valeurs, la laïcité est assimilée par les larges masses à l’islamophobie. Et en ne s’opposant pas au discours intégriste prétendant que l’islam serait homophobe, les militants le valident. Il faut dire que le mouvement LGBTQI ainsi que nombre de militants associatifs ne cachent plus leur islamophobie. Cela est de plus en plus évident et est vérifiable jusque dans le secteur de la recherche académique. Témoin est cette journée d’étude du vendredi 25 janvier dernier à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), consacrée aux «Homosexualités et postures de résistance en Tunisie». On y a vérifié de la part des laïcistes ce ronron académique faisant volontiers écho au discours intégriste réfuté comme une vérité divine en vue de renforcer leurs propres thèses.

Il y a donc péril en la demeure, car la thèse de l’islam homophobe relève aujourd’hui, auprès de certains de nos académiciens, de la lignée du terrible scandale de la platitude de la terre; et il importe de la dénoncer tout autant.

Que la fausseté de l’homophobie de l’islam ne pollue surtout pas la recherche scientifique afin de demeurer crédible, quitte à s’imposer une sociologie pratiquée au marteau, selon le conseil du philosophe ! Car c’est avec une telle démission des élites supposées humanistes qu’on confirme ce que l’émission de De la Villardière affirme sur la Tunisie, devenant un «pays fortement marqué par la religion et les traditions». Or, si la spiritualité en Tunisie est effective et l’attachement aux traditions patent, il ne s’agit nullement de religiosité ni d’attachement à l’aspect cultuel de la religion, mais de son aspect culturel; la nuance est énorme.

Toutefois, les menées laïcistes actuelles, celles des LGBTQI en premier, tendent à accréditer les thèses des intégristes religieux; ce qui n’est pas pour étonner puisqu’on sait l’Occident être le meilleur allié de nos intégristes religieux.

Ainsi, maintenir le fâcheux état actuel des libertés dans le pays en se limitant à des manifestations banales sinon bidon, comme ce festival Queer qui en sera cette année à sa seconde édition ne fait que renforcer la nature de business de la cause, les uns commerçant avec la religion, les intégristes religieux, et les autres, salafistes profanes, le font avec cette noble cause dévergondée qu’est la lutte contre l’homophobie.

Et c’est d’autant plus grave que l’université n’est plus épargnée, les homophobes ou les thèses homophobes y trouvant désormais facilement écho chez les laïcistes, les chercheur.e.s y bafouant l’honneur de la recherche et le principe de la neutralité axiologique, répandant les thèses homophobes obsolètes au service de leurs thèses laïcistes islamophobes, sans même signaler qu’elles sont contestées, sujettes à caution pour le moins.

Fausse homophobie de l’islam

Il est important, pour finir, de répéter que l’islam n’a jamais été homophobe; et il est temps de s’en convaincre pour sortir enfin de la nuit homophobe. L’argument que l’homosexualité serait illicite est basé, dans le Coran, sur les versets relatifs aux gens de Loth; or, il ne s’agit que de récit, rappelant l’anathème biblique que le Coran ne confirme pas. En effet, il ne s’agit pas de prescription, alors que l’illicite en islam ne peut avoir pour assise du récit, mais un commandement exprès qui n’existe pas dans le Coran. Ce sont les jurisconsultes, influencés par la tradition judéo-chrétienne, qui ont créé le crime homophobe en islam par syllogisme avec l’adultère. Par ailleurs, il est à noter que ce qui a été ainsi considéré comme la pire des turpitudes ne fait l’objet d’aucun hadith authentique dans les deux recensions majeures, les seules véritablement authentiques de Boukhari et Mouslem.

Il nous faut donc arrêter de snober cette vérité et en finir avec une islamophobie latente alignant l’islam, qui a considéré le sexe gay parfaitement naturel, n’ayant jamais été homophobe, sur la Bible qui l’a jugé contraire à la nature. Cela est d’ailleurs parfaitement compréhensible puisque le sexe arabe est bi, semblable au sexe dominant dans la nature où la bisexualité est la règle. Faut-il rappeler ici que l’homosexualité est une catégorie occidentale créée en contrecoup des persécutions dont les gays faisaient l’objet, ce qui n’est devenu la règle en terre d’islam que depuis leur soumission à la colonisation qui y a importé la morale homophobe de la pastorale chrétienne ?

Il est, d’ailleurs, parfaitement compréhensible d’entendre certains nier l’existence d’homosexualité arabe, puisque le sexe y est total, holiste, où il n’est nulle distinction dans l’acte entre le mâle et la femelle. Ce n’est qu’avec les lois coloniales qu’on a commencé à distinguer les genres et à dénigrer les homos qui n’étaient que des bisexuels, ayant bien plus des relations homosexuelles qu’hétérosexuelles.

Aussi, la vraie norme en Tunisie est la bisexualité, non l’hétéronormativité et il importe de rompre avec cette normopathie qui s’en tient à une fictive norme hétérosexuelle, la norme réelle, quoique cachée, étant la bisexualité. Certes, on n’en fait pas état, comme on simule souvent l’homophobie; et ce n’est que du fait de l’hypocrisie sociale en ruse de vivre, un « jeu du je » que pratique le Tunisien du fait de l’environnement légal scélérat, la pression morale des religieux.

Si, par extraordinaire, l’on ose maintenant aller dans le sens de la thèse homophobe, comment ne pas la dépasser quand on a osé outrepasser des prescriptions expresses, comme celles sur l’ablation de la main ou l’esclavage? Par ailleurs, si l’on peut comprendre que religieux et homophobes (qui ne sont pas tous religieux) développent la fausseté de l’homophobie islamique, on ne peut qu’être sidéré que les militants anti-homophobie ne soient pas prompts à la dénoncer, se trompant de cause. Et c’est d’autant plus grave que la stature victimaire des gays est perçue par les masses comme une stature d’arrogance et d’agressivité que renforce leur silence de répondre à leur argument de l’islam homophobe, évitant le débat sur ce qui fait problème justement, ce nœud gordien à trancher pour espérer faire évoluer les choses. Ce qu’on ne souhaite pas puisque le business de l’homophobie islamophobe rejoint celui d’en face, pratiqué par les supposés ennemis, les intégristes homophobes s’adonnant quant à eux au business de l’islamophobie.

* Ancien diplomate et écrivain.

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