La réussite du pèlerinage de la Ghriba impose de concrétiser l’effusion sentimentale l’ayant accompagné par des actes signifiants pour un œcuménisme religieux réel, non hypocrite relevant du simulacre, servant juste le rigorisme religieux.
Par Farhat Othman *
Ainsi, si l’on a vu, au lendemain de la manifestation, l’apparition de la première école juive en terre d’islam, qu’on a salué comme une preuve de tolérance manifeste, il importe de noter que cette école est réservée aux filles, ce qui va à l’encontre des principes fondamentaux de la république tunisienne. N’est-ce pas là, au nom de la tolérance religieuse, un moyen détourné de nos intégristes islamistes pour avancer leurs idées saugrenues d’écoles de la république qui ne soient plus mixtes? N’est-ce pas agir, par le recours à l’exemple puritain juif, à la fin du modèle tunisien d’enseignement où il n’est nulle place pour la ségrégation entre sexes?
Jusqu’à quand donc doit-on cultiver les fausses apparences, les faux fuyants et les grossiers simulacres?
Aller au-delà du simulacre
C’est bien justement ce genre d’initiatives qu’il nous faut éviter et qui trompent sur la sincérité de leurs initiateurs tout en cultivant la religiosité de part et d’autre. Car il n’est de plus intégristes que nos tartuffes islamistes que les puritains judéo-chrétiens qui ont toujours eu, d’ailleurs, de solides accointances avec les salafistes musulmans. Or, la dernière initiative qu’on célèbre à tort ne sert que les intégristes des deux religions, occultant ce qui est essentiel aujourd’hui pour assainir les rapports fort conflictuels entre juifs et musulmans. Pourquoi donc, si les islamistes ont sincères, ne font-ils rien pour la normalisation avec Israël, entre autres actions utiles?
En voici, au demeurant, une palette de mesures tout aussi nécessaires qu’impératives et urgentes, les seules en mesure d’attester de la sincérité des sentiments dont on a fait étalage lors du pèlerinage. Elles sont d’autant plus incontournables qu’elles viendront mettre en échec ce vicieux jeu auquel on s’adonne et qui n’a pour but que d’abuser et de tromper sur les réelles intentions politiques et idéologiques.
Pour faire preuve que l’on agit vraiment pour que la Tunisie retrouve sa vocation de terre de paix et d’œcuménisme religieux, il n’y a qu’à bannir, en premier, la simulation et la dissimulation qui sont devenues un réflexe répandu, conditionné même chez les masses, et qui n’est chez elles, au mieux, que cette hypocrisie sociale, une ruse de vivre pour contourner les rigueurs de la violence des lois scélérates et des brigades violentes des mœurs et de l’immoralité prétendument religieuse.
C’est ce qui a créé une sorte de jeu que tout un chacun pratique pour se préserver, et que je qualifie de jeu du je relevant de cette parabole du moucharabieh (qui est aussi un complexe) : ce fameux balcon grillagé derrière lequel l’on se tient pour mieux observer autrui sans se faire voir, et partant adapter son comportement au mieux.
Cela rejoint d’ailleurs la fameuse taquiyya (dissimulation) rendue célèbres en religion par les adeptes du chiisme lors des terribles périodes de répression endurée.
Il est bien temps de réprimer un tel réflexe de simuler et de dissimuler en osant aller au-delà des actions dénuées de sens, qui ne sont au mieux que purement symboliques? Et la meilleure façon de le faire n’est-elle pas d’en finir avec cette maladie honteuse revenant régulièrement, même chez les supposés politiquement lucides, et qui est la haine d’Israël? Sa plus fréquente manifestation est ce prurit de criminalisation de la normalisation des relations avec ce pays et sa plus récente apparition a été dans la campagne lancée contre nos compatriotes se rendant dans ce pays et les agences de voyages traitant avec lui.
N’est-il donc pas venu enfin le moment, pour être en harmonie avec l’œcuménisme dont on fait étalage en paroles, d’œuvrer pour que la paix spirituelle règne entre musulmans et juifs comme cela était le cas par le passé, notamment au temps de la Shoah où les juifs, persécutés par leurs actuels meilleurs amis chrétiens, n’avaient pour soutiens et protecteurs que leurs cousins d’islam?
Cultiver la paix spirituelle
Il serait mesquin de se limiter à comptabiliser le nombre des pèlerins venus en masse à Djerba et qui a atteint le seuil appréciable des 5000, ou celui des touristes attendus dans notre pays par vagues pour l’été, venant de différents pays, remonter le temps et renouer avec les souvenirs au pays de l’enfance (on annonce le coquet nombre de 7000 Tunes, comme on nomme les juifs de Tunisie), rappelant les chiffres faramineux du début du siècle, tournant allègrement autour du million.
Pour de telles perspectives, ce n’est assurément pas une école rigoriste juive qui servira le tourisme tunisien déjà desservi par les honteuses initiatives de plus en plus désinhibées de nos rigoristes musulmans. C’est une sincère culture de la paix spirituelle qui y aidera; et elle commence en évacuant la religion du domaine public pour la ramener à sa place d’excellence qui est l’intimité du cœur, la relation en islam entre Dieu et son fidèle étant directe et interdisant la moindre ostentation.
Cultiver la paix spirituelle ce n’est point agir en douce en faveur du rigorisme et du puritanisme, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens, mais en cantonner les manifestations au domaine privé, dans le cadre des libertés individuelles ne devant nullement interférer avec le domaine public se devant d’être le creuset des libertés de tout un chacun qui sont d’autant mieux protégées qu’elles ne se revendiquent aucune coloration religieuse ou idéologique.
Cultiver cette paix spirituelle, c’est aussi oser déconnecter le politique du religieux en multipliant les initiatives allant dans le sens de l’ouverture à autrui, comme d’avoir une ligne aérienne entre la Tunisie et Israël.
Rappelons que le Maroc possède déjà une telle liaison aéronautique depuis longtemps, pourquoi donc ne pas reproduire en Tunisie l’exemple de Marrakech et Casablanca en reliant au moins Djerba avec Tel-Aviv? Ne sait-on donc pas, comme le démontrent les Marocains, servir notre pays en développant ses intérêts économiques sans aucun complexe? N’est-ce pas ainsi se défaire véritablement de nos faux-fuyants et nous délester de nos arrière-pensées idéologiques, distinguant le commerce de la politique exactement comme il échoit de le faire de la politique avec la religion ?
Agir pour la paix des braves
L’exemple marocain démontre bien que malgré l’absence de relations diplomatiques et même d’accord aérien, on peut avoir des relations commerciales étroites. D’ailleurs, jusqu’à quand doit-on reproduire une politique étrangère écervelée dont le non-sens a été brillamment démontré il y a des lustres par le fondateur de la république tunisienne et confirmé par l’histoire : le refus de reconnaître la réalité tangible d’Israël et d’agir véritablement pour la paix ?
On le sait, il n’est nulle guerre éternelle, et les pires ennemis sont fatalement appelés à une paix des braves; comment donc y arriver si l’on ne sait avoir le courage d’y agir? Est-ce en continuant à cultiver le déni de la réalité d’un État dont l’existence est légalement liée à celle de son frère jumeau monozygote, l’État palestinien? Un tel déni ne se résout-il pas en une mauvaise gestion de nos intérêts légitimes que nul ne saurait méconnaître sauf si à l’y encourager soi-même en refusant de reconnaître la légalité internationale, fondement même de ces intérêts? N’est-ce pas servir royalement le régime actuellement au pouvoir en Israël en lui donnant le prétexte par l’exclusion que nous pratiquons, sans nul effet véritablement utile, à son égard pour s’adonner au terrorisme le plus abject? Ne sommes-nous pas, de la sorte, ses alliés objectifs? D’ailleurs, on le voit bien, les rapports entre Arabes et Israéliens n’ont jamais été aussi intenses et étroits que de nos jours; et si l’on n’ose pas encore officialiser les relations diplomatiques, elles n’existent pas moins informellement entre nombre d’États arabes.
Pourquoi desservir de la sorte la cause palestinienne au fallacieux prétexte de la servir, d’autant plus que les Palestiniens eux-mêmes ont reconnu leur jumeau-ennemi?
Bien évidemment, la raison invoquée est la peur de la réaction populaire; or, il s’agit d’un mythe bel et bien entretenu par les ennemis de la réconciliation tant souhaitée en Palestine. Et les agents au service d’Israël ne sont pas en reste ni les derniers à entretenir ce mythe. Car il n’y a jamais eu d’animosité musulmane à l’égard des juifs, juste des péripéties historiques qui n’ont jamais atteint le degré de l’antisémitisme et qui fut quand même chrétien à la base, qu’on ne l’oublie pas quand même! C’est ce passé des turpitudes chrétiennes qu’on s’évertue à occulter par l’encouragement des turpitudes de minorités rigoristes musulmanes qui ne sont que des clones des mouvements puritains dont regorge l’histoire occidentale.
Cela est d’autant plus évident et il n’échappe à aucun esprit lucide, dénué de subjectivité manichéenne, que la situation actuelle du déni par les Arabes de l’existence d’Israël est la meilleure garantie pour que ses régimes les moins démocratiques et les plus haineux du genre humain se sentent autorisés à donner libre cours à leur politique d’exclusion rappelant le nazisme à nombre d’observateurs et de juste, y compris parmi les juifs. Ne sait-on pas, depuis toujours, que celui qui veut noyer son chien l’accuse de la rage? Or, Israël est d’autant plus aise à accuser de terrorisme les Palestiniens, dont il ne veut reconnaître les droits, que leurs soutiens arabes pratiquent à son égard un ostracisme stérile, servant plutôt sa propre stratégie, lui donnant en prime carte blanche pour tous les crimes.
Il est impératif d’en finir avec cette ubuesque stratégie arabe pour revenir à la sagesse dont la Tunisie peut s’honorer d’avoir été le premier pays à en faire montre. Pourquoi donc ne pas renouer avec ce passé glorieux de la diplomatie tunisienne qui a perdu tout le lustre de son âge d’or, réduite à n’incarner aujourd’hui qu’une façade de parade, ânonnant des slogans creux comme du vent dans un coquillage? N’est-il pas venu le temps d’oser enfin reconnaître, sur la base de la légalité internationale, l’État d’Israël comme jumeau de l’État de Palestine et pouvoir alors contester de vive voix, le lui disant même les yeux dans les yeux, sa politique terroriste indigne de l’esprit judaïque véritable qui est, dans la tradition abrahamique honorée par l’islam aussi, esprit d’éthique, de justice et de paix ?
* Ancien diplomate et écrivain.
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