Le maintien des réflexes d’antan, usant de slogans creux pour ignorer des attentes populaires basiques en termes de droits et de libertés concrets, a donné naissance à une dictature des apparences dont le pays souffre au point d’étouffer.
Par Farhat Othman *
En cet été caniculaire, la Tunisie souffre encore plus au figuré qu’au propre. Sa démocratie supposée naissante étouffe d’une dictature résiliente sous forme de sauvegarde des apparences fallacieuses et d’un formalisme démocratique vidé de contenu réel. Le peuple risque même l’asphyxie fatale si l’on ne se décide à le secourir par la concrétisation, au quotidien, de ses libertés individuelles et les droits citoyens, la rupture enfin avec l’ordre de la dictature avec un État démocratique et de droit.
L’étouffoir des fausses apparences
Quand la politique ne sait plus ménager un minimum d’éthique, bafouant la moindre de ses manifestations, elle relève alors des vicissitudes de la vie domestique; or, l’étouffement y est un accident fréquent. S’il est causé par une fausse-route vite arrivée en avalant de travers, en politique, une telle obstruction des voies respiratoires n’est que l’empêchement de laisser le peuple respirer par la privation de ce qui permet d’assumer la condition de citoyen qui est de vivre librement sa vie personnelle et privée.
De telles libertés et droits, tout comme les aliments, sont nécessaires en société. Pour cela, le devoir des responsables politiques est de veiller que de tels aliments, n’existant que formellement, n’aboutissent à la fausse route et à l’étouffement fatal. Car s’ils doivent déjà exister en démocratie, les droits et libertés ne comptent que s’ils sont exercés concrètement, l’absence de leur effectivité générant une république formelle, soit une dictature matérielle se maintenant par une culture des fausses apparences, ce véritable étouffoir.
C’est à ce stade que la destinée de la Tunisie est encore figée depuis déjà plus de soixante ans. Malgré sa supposée révolution, maintenue en pure virtualité, rien n’y a changé, pour l’essentiel, dans la législation en vigueur, par trop liberticide. Pourtant, de telles lois sont désormais illégales depuis l’adoption de la constitution de 2014. On n’en a cure ! On ne se soucie que du look d’une dictature avec laquelle on n’a jamais rompu, étant incrustée dans la mentalité, se manifestant dans les réflexes politiques.
Une dictature relookée
Il est quasiment une seconde nature chez nos responsables, celle d’avoir l’autorité, soigner ses apparences, jouer au dictateur quitte à n’être qu’un «zaïmillon». Pour cela, on s’accroche à la situation d’État illégal qu’on veille à maintenir même s’il ne castre plus seulement le peuple, mais l’asphyxie par obstruction de ses voies respiratoires que sont ses libertés et ses droits.
Déjà partielle sous la dictature, cette asphyxie est en train de s’aggraver, devenant peu à peu totale, la condition des Tunisiens étant encore plus injuste que sous la dictature avant son relookage. Car la Tunisie des masses, la seule qui compte, si elle ne ploie plus sous la dictature brute et sauvage d’antan, ne la subit pas moins, ses lois et ses réflexes étant toujours en place. Toutefois, elle s’est doublée d’une autre dictature, sophistiquée, érigée sur la fausse morale d’une religion défigurée et le non-droit du juridisme formaliste.
En œuvre depuis plus de huit ans, elle se traduit par une culture de l’étouffement que manifeste l’exacerbation des réflexes de l’ancien régime du soin apporté aux apparences pour mieux tromper. Aussi, manquant de l’indispensable air de liberté et tel qui a les voies respiratoires totalement obstruées, nos compatriotes tentent de plus en plus de tousser sans y parvenir, finissant dans l’agitation, l’anarchie se substituant à la liberté organisée quand elle fait défaut. Pareil à la victime d’étouffement n’arrivant plus à parler outre de respirer, le Tunisien ne sait plus qu’avoir des borborygmes d’insensés et les gestes de qui est sur le point de perdre connaissance, mourir d’asphyxie. Pour une classe politique responsable, il s’agit d’une urgence vitale.
La vertu perdue de la classe politique
Or, que fait la classe politique ? Elle soigne ses apparences trompeuses, aggravant sa propre perte de vertu, ne sachant la retrouver. Tout en continuant à dénoncer les tares de la société, résultante pourtant de la liberté refusée, produit d’une anarchie organisée. On ne veut comprendre que si elle a une respiration sifflante et tousse, c’est bien pour se débarrasser du corps étranger de la dictature des fausses apparences. Et elle le continuera jusqu’à l’expulser ou finir par mourir à ce qui fait sa vraie nature : une âme hédoniste, quiète, paisible et altruiste.
On l’a vu avec l’apparat des obsèques de Caïd Essebsi, digne d’un pays riche, mais indigne pour un peuple pauvre, un pays en grave crise et le pronostic vital réservé de sa transition démocratique. Certes, on se devait d’honorer la mémoire du président défunt, mais n’aurait-il pas mieux valu acter solennellement sa réforme successorale; ce qui aurait constitué un hommage sincère, dédaignant le bûcher de la vanité ? Or, quand on relève du bal des vaniteux, sait-on agir autrement ?
Et comment être sincère et honnête en tenant à des élections ne devant être que la suite logique d’une législation nationale assainie et toilettée de ses monstrueuses illégalités? Leur organisation n’est imposée que par la dictature des apparences, non le respect d’une constitution violée dans ce qui est bien plus important, sa raison d’être. Le manque de vertu fait prétendre que ces élections seront libres et crédibles; est-ce seulement possible dans un environnement illégal ? Elles sont supervisées par une Instance supérieure indépendante des élections (Isie), mais l’est-elle vraiment ? Suffit-il de se dire indépendant pour l’être ? La première indépendance n’aurait-elle pas été de refuser la tenue d’élections en la situation d’illégalité actuelle, réduisant l’acte électoral à une formalité s’il ne relève pas même de l’acte de commerce avec le recours obligé à l’encre électorale ? Absolument inutile en présence de listes électorales fiables, elle est imposée par des intérêts interlopes s’y attachant; on se rappelle que l’Isie avait décidé de ne pas y recourir, avant de se rétracter !
* Ancien diplomate et écrivain.
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