À se fier aux seules candidatures enregistrées, avec notamment celle d’un avocat ouvertement homosexuel, l’on se demande si l’élection présidentielle sera l’occasion d’oser enfin traiter des sujets sensibles en Tunisie.
Par Farhat Othman *
Dans un pays de non-droit où la classe politique affectionne le mensonge, le peuple a soif de sincérité mais désespère d’être servi, et se résout, pour subsister, à continuer de pratiquer la ruse de vivre par la force des choses et des lois iniques. Pourquoi cette élection ne serait-elle pas celle de l’éthique et la parole de sincérité ? Assurément, elle y serait propice si la liste des candidats acceptés par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), promise pour le 14 août, confirme la promesse, au dépôt des candidatures, d’en voir certains parler de sujets tabous, telle l’homosexualité, marque éminente de modernité et constante sexuelle en notre société.
Au-delà de l’effet d’annonce
La pléthore des candidatures et la présence de candidats originaux ne doivent pas induire en erreur; il n’en restera que les plus sérieuses ou les moins solubles dans l’apparat de légalité dans lequel se meut l’Instance chargée des élections. Comme elle été incapable d’imposer sa décision de ne plus recourir à une encre parfaitement inutile, outre d’encourager l’argent sale, on se demande comment elle réussirait à recaler des candidatures folkloriques mais musclées. Si l’Isie n’a pas su résister aux commerçants de l’encre, ne plierait-elle pas face à la volonté de commerçants de la religion et de la politique, aussi puissants ?
Au-delà de l’effet d’annonce sur la santé démocratique du pays via la pluralité des candidats, on ne serait donc pas étonné de voir écartés, au final, ceux qui appellent à l’éthique en impératif catégorique du vivre-ensemble et maintenus qui ont maille à partir avec la justice ou dont le parti est financé par l’étranger.
Certes, il est aussi un effet d’annonce recherché par certains candidats dont le dossier ne serait pas valide et qui se savent invalidés d’office. On ne peut, toutefois, exclure que certaines candidatures parfaitement valides soient exclues par les arguties juridiques qu’autorise l’État de non-droit. Et l’on se demande si la candidature de Maître Mounir Baatour, qui se déclare ouvertement homosexuel, sera retenue, l’avocat assurant avoir satisfait à toutes les formalités légales.
Oser parler du sexe de la société
C’est le seul candidat osant parler de sexe, assumant son homosexualité. Toutefois, il est impératif de noter d’emblée que cet avocat de profession ne se présente pas en tant que tel à la présidentielle, mais au nom d’un parti et d’un programme libéral et humaniste. S’il fait volontiers état de sa nature sexuelle, c’est qu’il a le courage de ne pas la cacher comme tant d’autres. Ce qui est à mettre à son actif en gage de sincérité pour la fonction suprême dans un pays où la politique est une foire aux mensonges.
Outre d’être le premier homme politique en Tunisie à agir de la sorte avec sincérité, il est aussi unique, dans le monde arabe et musulman, à faire entrer le sexe en politique, se présentant à la fonction suprême avec le courage de ne pas mentir sur son intimité.
On l’a dit, M. Baatour ne se présente pas uniquement pour défendre la cause homosexuelle, même s’il a cœur de saisir l’occasion pour en parler. C’est en tant que président du Parti libéral tunisien (PLT) qu’il se présente avec des propositions concrètes. Mais c’est en termes d’éthique, manquant le plus en politique dans ce pays, que sa candidature pourrait y être salutaire. Il aura l’occasion d’exposer le drame de nos concitoyens gays, ces innocents dont on fait des coupables, la triste réalité d’un sexe parfaitement naturel, le sexe gay, et aussi de tout le sexe dans une société coincée par ses lois qui l’empêchent de pratiquer le vivre-ensemble paisible et responsable.
Or, la Tunisie se voulant une démocratie, cela doit signifier une maturité suffisante pour parler de tout sans tabous. Ainsi aura-t-on l’occasion de rappeler que le sexe, y compris gay, n’est nullement interdit par la religion, contrairement à notre droit qui se prétend s’en inspirer alors qu’il la viole.
Notons que cette mission ne sera pas de tout repos puisque l’intéressé n’aura pas à convaincre que les homophobes. En effet, il ne peut revendiquer représenter tous les gays, puisque certaines associations se sont pressées de dénoncer sa candidature, estimant même qu’il représente une menace pour la communauté. On se demande au service de quels homophobes elles se sont placées dans le cadre du business qu’elles font de la cause.
Confirmer la modernité
Si la Tunisie entend incarner vraiment une modernité revendiquée, mais qui demeure pure chimère, elle a l’occasion de le démontrer lors de cette élection présidentielle anticipée en permettant que des voix originales se fassent enfin entendre pour parler des soucis au quotidien du peuple, ne négligeant pas les sujets sensibles tus et occultés, telle cette homosexualité bien plus pratiquée dans la société qu’on ne veut l’admettre, le sexe populaire étant, à la vérité, une bisexualité informelle.
Assumer sa modernité pour la Tunisie, c’est déjà agir pour l’abrogation de la honte de l’homophobie, l’article 230 du code pénal, une survivance coloniale, l’égalité successorale et la réforme des textes liberticides. Car c’est liberté dans sa vie intime qui fait le citoyen responsable; et c’est ce qui permettra que la libéralisation de l’économie du pays qu’on lui impose ne soit pas sauvage, étant assise sur les lois scélérates de la dictature.
On l’a dit, le candidat appelant à la dépénalisation de l’homosexualité milite aussi pour un libéralisme responsable. Ce qui doit impliquer aussi l’appel à l’articulation de la Tunisie en changement à un système de droit qui fonctionne; aussi lui faut-il oser demander l’adhésion à l’Union européenne. C’est un autre sujet sensible à évoquer lors de cette élection, avec son corollaire ou même préalable : la libre circulation humaine sous visa biométrique de circulation. Le tout se faisant dans un espace méditerranéen de démocratie impliquant la reconnaissance d’Israël dans le cadre du partage de 1947.
Donnez votre avis