Rached Ghannouchi accuse, sans les nommer, le Front populaire et Hamma Hammami d’être des fauteurs de trouble et des complices «objectifs» du terrorisme.
Par Moncef Dhambri
Invité, jeudi 4 juin 2015, de l’émission ‘‘Midi Show’’ de Mosaïque FM, le président du parti islamiste Ennahdha s’est livré à une série de tours de passe-passe pour démontrer que le Front populaire (FP) et son dirigeant Hamma Hammami, par leur obstructionnisme, sont en train de causer les plus grands torts à la Révolution et risquent à terme de tout faire échouer… en offrant au terrorisme le terrain propice de la confusion sociale et de l’instabilité pour mener son travail de sape.
M. Ghannouchi n’a, bien sûr, à aucun moment, nommé le Front populaire (FP) et Hamma Hammami, mais ses mots étaient si bien choisis que sa cible en devenait évidente.
Le navire Tunisie près d’arriver à bon port »
Le raisonnement du gourou de Montplaisir était d’une limpidité, d’une clarté et d’une modération à convaincre même le plus anti-islamiste des adversaires d’Ennahdha.
Pendant la quarantaine de minutes de son intervention, le leader islamiste a expliqué que la Révolution du 14 janvier 2011 en est à sa 2e phase, celle cruciale où le pays devra s’atteler à la tâche de la réalisation des objectifs sociaux de la transition.
Il met en garde en faisant le constat de la navrante situation du Printemps arabe. «Le naufrage est total. Il ne reste plus rien de toutes ces révolutions et des espérances qu’elles ont suscitées. Il n’y a plus que désolation: guerres civiles, guerres fratricides, retour de la dictature et luttes quotidiennes contre la mort. Seul le navire-Tunisie a traversé sans dommage cette tempête et est arrivé à bon port.»
Il explique cette chance et cette exception tunisiennes: «Nous avons, en Tunisie, réussi notre pari de la transition démocratique, mais cela n’est que la partie politique de la gageure. Nous nous sommes entendus sur la rédaction de la constitution et son adoption, nous avons tenu des élections libres et transparentes, nous avons formé nos assemblées… Notre pays, Dieu merci, est sur la bonne voie. Aux quatre coins de la planète, notre transition démocratique est citée en exemple. Notre pays est devenu un modèle qui mérite d’être suivi. Le monde entier nous soutient. Le monde entier qualifie notre expérience de parcours réussi, de ‘‘success story’’.»
«Seulement, rappelle Rached Ghannouchi, d’autres tâches nous attendent. D’autres compléments importants devront être apportés à ce que nous avons réalisé jusqu’ici. Notre pays n’a pas totalement traversé la zone des turbulences. Il n’a pas surmonté tous les obstacles. Notre révolution restera inachevée tant qu’elle n’a pas été complétée par la mise en œuvre de son volet social – celui du développement, du plein emploi, de la dignité humaine, de la justice sociale et de la lutte contre la corruption.»
Le chef des islamistes avertit : «Nous n’en sommes qu’au début. Nous venons à peine d’achever le premier chantier. Nous devrions, sans plus attendre entamer le deuxième chantier. Méfions-nous, nous sommes tenus de réussir cette deuxième entreprise également. Nous n’avons aucun autre choix, car les deux chantiers sont intrinsèquement liés: le succès du chantier politique dépend étroitement de la réussite du chantier social. Si nous échouons sur ce terrain social, si nous ne réalisons pas ce 2e objectif de la Révolution, le premier objectif peut être sérieusement mis à mal. Unissons-nous, donc, rassemblons nos efforts, serrons nos rangs afin de compléter ce que l’on a déjà réalisé.»
L’agitation sociale au service du terrorisme
Et là, le magicien nahdhaoui a vite fait de passer à l’attaque virulente, mais indirecte, contre les Frontistes, qu’il décrit comme «des gens qui ne veulent pas travailler et qui empêchent les autres de faire leur travail. Hier, sous les gouvernements de la Troïka, ils (les Frontistes, Ndlr) étaient les experts de l’obstruction gratuite. Ils n’avaient jamais cessé de jouer les trouble-fête, de s’opposer à tout et à mettre des bâtons dans les roues. Aujourd’hui, ils ont choisi de refaire la même chose. Ils ne savent que dire ‘‘non’’ et lorsqu’on leur demande de venir aider et de mettre la main à la pâte, ils reculent et refusent.»
Plus accusateur encore, Rached Ghannouchi fait porter à Hamma Hammami et à ses troupes toute la responsabilité des sur-place et régression que connait actuellement le pays. Il ira même jusqu’à dénoncer «cette complicité qui les (les Frontistes, Ndlr) lie aux terroristes.»
Le raisonnement du président d’Ennahdha est simple : «C’est sur le terrain de l’agitation, des sit-ins, des grèves et des troubles sociaux, sur le terrain du désordre et du chaos, sur le terrain de la confusion que le terrorisme pourra opérer efficacement… et mener le pays à la ruine.»
A présent, Hamma Hammami et le FP devraient savoir à quoi s’en tenir… Leur marge de manœuvre est celle d’une formation isolée, assiégée, se complaisant dans un passéisme vaguement révolutionnaire auquel, semble-t-il, de moins en moins de Tunisiens adhéreraient ou seraient tentés de s’identifier.
Rached Ghannouchi a compris que les «frontistes» sont piégés et que leur discours dépassé creuse, chaque jour de plus en plus profondément, le fossé qui les sépare du reste de la société tunisienne.
Hier, sur Mosaïque FM, il a planté les banderilles sur le dos des dirigeants «frontistes»: «Chaque fois qu’on leur demande de venir aider, ils reculent; chaque fois qu’on leur demande de soumettre leurs idées, ils refusent de le faire. Ils prétendent qu’ils ont un programme… Quand comptent-ils le mettre à exécution?» s’interroge-t-il. Et, pour enfoncer encore plus le clou, il a déclaré qu’il était totalement disposé à rencontrer Hamma Hammami «pour l’intérêt du pays».
Cette main tendue ne laisse aucune possibilité à son adversaire de toujours, sauf celle de… refuser, au risque d’aggraver son isolement.
Là, indéniablement, le stratège de Montplaisir marque un «sacré» point.
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