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Tunisie : Une si difficile transition économique

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La Tunisie se débat pour être bien plus que la success story politique. Elle espère réussir également sa transition économique.   

Par Chris Wright*

La Tunisie a réussi sa transition démocratique – en témoigne, au moins, la tenue d’élections libres et indépendantes, en fin d’année dernière. Ceci lui a valu d’être considérée comme l’unique success story du Printemps arabe. Mais le pays fait également face à d’énormes défis sociaux et financiers.

La réussite politique à prix fort

«Concernant les aspects positifs de ce que la Tunisie a pu réaliser, nous pouvons affirmer que ce que le pays a accompli est très significatif», note Patrick Raleigh, directeur-adjoint à la Standard & Poor’s – l’agence de notation qui a décidé, depuis près d’un an, de ne plus noter la Tunisie, mais qui continue de suivre de très près les évolutions du pays et la situation de ses banques. «Il est vrai que, sur le plan politique, les choses ont quelque peu traîné mais, au bout du parcours, les Tunisiens ont réussi à organiser des élections irréprochables. Certes, la réussite demeure relative, mais il suffit de regarder ailleurs, dans la région, pour se rendre compte des graves conséquences de ce que peut impliquer l’échec de la transition démocratique», ajoute-t-il.

«Et cette réussite politique a été payée à un prix économique fort par la Tunisie. L’économie tunisienne a durement souffert: les IDE ont enregistré une chute libre dès la première année du Printemps arabe, en 2011, et ils se trouvent toujours à un très bas niveau; le pays a un énorme déficit fiscal, un déficit élevé de ses transactions courantes, un secteur bancaire fragile, des défis sociaux, des troubles syndicaux et un manque flagrant d’opportunités économiques.» En réalité, l’on serait même tenté de dire qu’il n’y a que sur le terrain de la transition politique qu’il y a raison de se réjouir.

Parmi les pays de la région du Moyen Orient et d’Afrique du Nord (Mena) (…), seule l’Egypte a enregistré des indices pires que la Tunisie en matière de risques pour les investissements.

Selon le Moody’s Investors Services, depuis décembre 2010, le pays a chuté de 4 points, rétrogradant de Baa2 à Ba3, et il est classé négatif à ce niveau. La croissance annuelle moyenne du PIB, entre 2010 et 2014, a été de 1,9% – contre contre 3,5% pour le Maroc et 2,7% en Egypte – et, parmi ses pairs naturels, seul le Liban détient un ratio plus élevé de la dette publique par rapport au PIB.

L’attentat du Bardo

En outre, alors que son processus de démocratisation s’était déroulé de manière pacifique, avec notamment la tenue des élections libres et le transfert de la présidence de la république à Béji Caïd Essebsi, la Tunisie n’a pas pu échapper totalement à la violence qui fait rage chez ses voisins. L’attentat du 18 mars dernier contre le musée national du Bardo, qui a fait plus d’une vingtaine de victimes parmi des touristes pour la plupart européens, a clairement démontré que le pays fait face à une menace djihadiste sérieuse qui pourrait porter un coup dur à deux secteurs vitaux de l’économie tunisienne, à savoir le tourisme et l’immobilier.

Il y a toujours lieu d’être optimiste quant à l’avenir de la Tunisie – encore faut-il que le pays puisse surmonter un certain nombre d’obstacles.

Pour Albert Arbuthnott, expert en Affaires nord-africaines auprès du Groupe Salamenca, «la Tunisie présente un environnement propice pour la croissance économique. Vous y trouvez une importante main d’œuvre jeune et instruite, qui ne demande qu’à travailler et qui souhaite ardemment échapper à la pauvreté. C’est cela l’atout majeur de la Tunisie. Sauf que, sur le terrain de la réalité, le gouvernement tunisien – le premier à être démocratiquement élu dans toute l’histoire du pays – entame son mandat dans des circonstances économiques et politiques particulièrement difficiles.»

Selon Arbuthnott, c’est la menace terroriste, ainsi qu’il a été démontré par l’attaque contre le musée du Bardo, qui représente actuellement le danger le plus sérieux, car tout dérapage sur ce terrain de la sécurité, toute déviation de la stabilité politique que la Tunisie a connue jusqu’ici, risque de rendre ce phénomène de l’extrémisme religieux un problème insoluble. «La menace extrémiste en Tunisie est intrinsèquement liée à cette stabilité du pays. Et ceci est particulièrement évident dans cette division nord-sud du pays, où les jeunes chômeurs et marginalisés des régions méridionales et de l’intérieur peuvent céder facilement à la tentation djihadiste pour exprimer leur mécontentement.»

Les investisseurs réfléchiraient à deux fois

La prospérité économique – pour autant que celle-ci puisse exister en Tunisie – devrait pouvoir atteindre ces régions oubliées pour empêcher les extrémistes d’asseoir leur influence et de trouver un soutien plus large parmi les populations défavorisées. Ceci est particulièrement vrai, car la Tunisie se trouve dans un environnement régional périlleux. Pendant de nombreuses années, le pays a pu, dans une certaine mesure, contenir la menace extrémiste dans cette région reculée du Mont Chaambi, sur la frontière tuniso-algérienne. A présent, c’est également du sud, à partir de la Libye voisine, que le danger provient. Ainsi, l’armée et les autres forces de la sécurité ont été appelées à exercer plus d’efforts et se trouvent aujourd’hui désespérément disséminées et épuisées.

Bien évidemment, la situation sécuritaire n’est pas uniquement une affaire de sécurité. Elle a un impact direct sur l’investissement. «La Tunisie offre bon nombre de possibilités, mais elle comporte aussi des risques sérieux, du point de vue de sa sécurité», déclare Simon Toms, associé du cabinet Allen & Overy et conseiller en capital-investissement africain. «Si le pays ne se ressaisissait pas, cette insécurité pousserait les investisseurs à réfléchir à deux fois plutôt qu’une avant de se jeter à l’eau, en Tunisie, et ils iraient chercher fortune ailleurs où ils pourraient paisiblement faire fructifier leur argent.»

Peut-être plus qu’aucune activité, le secteur du tourisme a été profondément affecté par les perturbations que le pays a connues depuis le début de la révolution, en 2011.

Patrick Raleigh rappelle que «le tourisme a toujours été une sphère majeure de l’activité économique du pays. La contribution de ce secteur en matière d’emplois est bien plus importante que son apport au PIB. Un grand nombre de personnes sont directement et indirectement employées par l’industrie du tourisme et l’horrible tragédie du musée du Bardo pose un sérieux problème»***, non seulement à cause des réservations qui risquent très certainement d’être annulées mais également en raison de la réaction des investisseurs qui auraient pu financer le développement de l’infrastructure.

Alerte bancaire

L’effondrement de l’industrie touristique entraîne, bien évidemment, d’autres complications, notamment dans le secteur bancaire. Standard & Poor’s a récemment élevé son évaluation du risque dans le secteur bancaire tunisien du groupe 8 au groupe 9, sur une échelle d’estimation allant jusqu’à un maximum de 10.

L’agence de notation estime que, vers la fin 2014, les PNP (prêts non-performants) représentaient 16% du total des crédits – ¼ de ces mauvais emprunts ayant été contractés par l’industrie du tourisme. Pire, le ratio de couverture n’était que de 60%. Et il y a plusieurs autres effets négatifs collatéraux. Olivier Panis de Moody’s note aussi que ce chiffre de 16% de PNP comporte 2 aspects, le public et le privé, et en ce qui concerne le secteur public le total des mauvais prêts se situerait à 20%.

Les responsables tunisiens ne se cachent la face. Certaines tentatives ont été entreprises, mais il reste beaucoup à faire. Par exemple, le gouvernement a affecté 1,3 milliard de DT pour assister à la recapitalisation de 3 banques du secteur public faisant face à de très sérieuses difficultés. Une nouvelle société de gestion d’actifs pourra bientôt prendre en charge le problème des dettes de l’industrie touristique – ¼ des mauvais prêts – et les restructurer, afin de ramener la proportion des PNP à 12%.

«Le problème, c’est que toutes ces bonnes intentions, toutes ces réformes tardent à être mises en application», constate Mohamed Damak, responsable de la finance islamique et directeur du secteur des institutions financières auprès de Standard & Poor’s. Rien de ce qui doit être entrepris n’a été mis à exécution et aucune date n’a été fixée pour l’application de ces mesures d’urgence. M. Damak explique que, «le jour où cela sera fait, ce sera d’une grande aide pour le système bancaire tunisien: les  banques du secteur public seront recapitalisées, les indicateurs de la qualité des actifs seront améliorés et l’industrie retrouvera un niveau comparable à celui d’autres marchés émergents. J’estime que c’est très probablement une affaire de temps et de capacité à oser le faire.»

D’autres problèmes du secteur bancaire semblent plus épineux. A un certain moment, il était envisagé de fusionner les 3 banques publiques. Cette décision, pour l’instant, est mise en veilleuse, selon Mohamed Damak: «le gouvernement aurait pu indiquer la voie au secteur privé en consolidant les banques du secteur public. Il aurait pu les encourager à négocier et à fusionner. Ceci serait d’une grande aide: il y a plus de 20 banques offrant leurs prestations à une population de 10 millions. Mais cela n’est pas une tâche aisée. La propriété est dominée par un petit nombre de familles industrielles. Nous pensons que l’opération de consolidation ne se réalisera pas de sitôt.»  

Des raisons de se réjouir

Pourtant, il y a tout lieu d’espérer que la Tunisie surmontera les difficultés actuelles. L’inflation est sous contrôle, les réserves en devises ont enregistré une hausse et la croissance économique sera au moins positive. De fait, Moody’s prévoit que la croissance pourrait être de 3,5%, en 2015, et de 4,5%, en 2016. «Toute crise est porteuse d’opportunités», estime Patrick Raleigh, ajoutant qu’«un dinar plus faible par rapport à l’euro et des salaires plus bas dans certains secteurs ont aidé certaines composantes de l’économie tunisienne à être plus compétitives.»

C’est sur le rétablissement de la confiance du visiteur étranger en la sécurité en Tunisie que reposent le plus grand espoir de l’activité touristique tunisienne et le sauvetage de l’économie du pays. «Il n’y a pas beaucoup d’endroits moyen courrier qui offrent du soleil en plein hiver, qui sont considérés sûrs et disposent des commodités requises. Le pays a le climat, les plages et la culture qu’il faut pour réussir sa reprise. La Tunisie possède quelques atouts et ça n’est qu’une affaire d’un temps court pour que ces cartes maitresses soient pleinement rentables.»

Il y a également lieu de noter que notre perception du tourisme ne devrait plus être  uniquement cette image d’Européens qui ont froid l’hiver, sur leur vieux continent, et qui font le déplacement en Tunisie à la recherche de plages ensoleillées en novembre. «Il est important de rappeler que plus de 50% du flux des touristes proviennent des pays voisins – l’Algérie et la Libye – et ce flux a démontré qu’il était tout à fait résilient, par le passé», insiste Mohamed Damak. (…)

L’émission obligataire d’1 milliard de dollars que la Tunisie a lancée en janvier dernier a donné la preuve de la confiance suffisante que les investisseurs étrangers ont à miser sur le long terme du pays. Cet emprunt, d’une maturité de 10 ans, que la Tunisie a conclu directement sur le marché international et sans la moindre garantie d’aucune autre agence, a attiré 4 milliards de dollars d’investissements. Pour Raleigh, «il ne fait aucun doute qu’il y a là un bon intérêt du marché international…»

Des amis en hauts lieux

Il est aussi encourageant de noter que la Tunisie, cette lumière resplendissante d’une démocratie jeune, soit soutenue de manière quasiment inconditionnelle par un grand nombre d’organisations multilatérales. Par exemple, la Tunisie a contracté, en 2013, un crédit stand-by d’1,75 milliard de dollars auprès du FMI. D’autres institutions financières multinationales, y compris notamment la Banque africaine de développement, ont elles aussi accordé leurs appuis à la Tunisie.

Olivier Panis estime que «la Tunisie a été bien soutenue tout au long de sa transition démocratique. Le pays entretient également des relations économiques et politiques très étroites avec l’UE. Si les réformes structurelles qui ont été convenues avec le FMI et la Banque mondiale sont appliquées, cela aura indéniablement des effets positifs presqu’immédiats sur le système bancaire tunisien.»

Ceci dit, nombre d’institutions internationales souhaiteraient que la Tunisie fasse plus d’efforts. Dans un rapport récent sur le pays, sous le titre de «Révolution inachevée», la Banque mondiale présente une longue liste de réformes que la Tunisie doit nécessairement entreprendre, telles que la levée des obstacles et l’ouverture à la concurrence, l’amélioration du cadre réglementaire de l’investissement, la réforme du secteur bancaire (…), (la liste des ajustements et des transformations est plus longue). Néanmoins, le soutien reste le bienvenu. Patrick Raleigh est certain: «l’appui existe sous différentes formes – moral, financier et logistique – et c’est ce qui aidera les Tunisiens à engager les réformes nécessaires».

Traduit de l’anglais par Moncef Dhambri

Source: ‘‘Emerging Markets’’.

*Chris Wright est président et cofondateur de l’EMAlternatives LLC, société privée de gestion de fonds spécialisée dans les économies émergentes, basée à Washington DC.

**Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

*** Cet article a été écrit avant l’attentat de Sousse, le 26 juin 2015.

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