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Une stratégie d’investissement à long terme en Tunisie

Beji-Caid-Essebsi

Selon le site Global Risk Insights, malgré les effets négatifs des attentats terroristes, la démocratie et la stabilité en Tunisie ne sont pas en danger.

Par Louis-Claude Perrault-Carré*

La Tunisie a connu plusieurs changements politiques depuis 2011 – de la mise hors jeu de Zine el-Abidine Ben Ali, l’élection de l’Assemblée nationale constituante, l’adoption de la nouvelle constitution en 2014, jusqu’à la suspension de l’état d’urgence instauré en 2011. Il y a eu également des élections législatives qui ont eu lieu en octobre 2014 et Béji Caïd Essebsi a remporté le scrutin présidentiel, à la fin de la même année.

Pendant une certaine période, l’on a pris l’habitude de considérer que la transformation positive est devenue la norme en Tunisie. Sauf que, à la suite des 2 attentats terroristes du Bardo (le 18 mars 2015) et de Sousse (le 26 juin 2015), le président Caïd Essebsi a instauré de nouveau, et pour un mois, l’état d’urgence et a été contraint de le prolonger de 2 autres mois. Les législateurs tunisiens ont adopté une loi antiterroriste qui suscite beaucoup de crainte au sein de la société civile et des défenseurs des droits humains, car cette nouvelle législation accorde des pouvoirs très étendus à la police et aux agents de l’ordre dans le pays.

Ce recours à l’usage de beaucoup plus de force – que les autorités tunisiennes justifient par les besoins urgents que dictent la lutte contre le terrorisme, la volonté de regagner la confiance, quelque peu réduite, de la communauté internationale et des investisseurs nationaux et internationaux.

Pourquoi donc pareil revirement, alors tout semblait aller pour le mieux en Tunisie? Pourquoi renouer, presque facilement, avec les méthodes Ben Aliesques?

Stabilité/ouverture

La théorie qu’explore Dr Ian Bremmer, dans son livre intitulé ‘‘The J-Curve: A New Way to Understand Why Nations Rise and Fall’’ (La courbe en J: Une nouvelle approche des raisons pour lesquelles les nations s’élèvent et tombent), publié en 2006, s’applique parfaitement au cas tunisien.

La démarche pertinente d’Ian Bremmer tourne principalement autour de l’idée que les évolutions d’une nation peuvent être traduites sous forme d’un graphique avec pour abscisses et ordonnées sa stabilité et son ouverture. Les 2 axes de ce graphique décrivent la lettre ‘J’. Et de manière à obtenir une plus grande ouverture, le pays doit traverser une zone de turbulence, c’est-à-dire une période d’instabilité, et remonter ce creux de la lettre ‘J’, avant de se ressaisir durablement.

J-Curve

Le régime de Ben Ali a été d’une certaine façon relativement stable, pendant plusieurs années, alors que le niveau d’ouverture du pays était très bas. Cette absence d’ouverture, de transparence et de représentation effective au pouvoir ont inévitablement mené vers le soulèvement du Printemps arabe, car les Tunisiens en ont eu assez du chômage, des violations des droits humains et de la corruption, en autres facteurs.

La Tunisie est indéniablement devenue une société plus ouverte, avec une nouvelle constitution moderne, la tenue d’élections en 2014, qui ont été mondialement reconnues comme étant libres et transparentes et, désormais, le pays a une classe politique dirigeante plus responsable et plus redevable. Ce qui veut dire, si l’on applique au pays le schéma d’évolution de Bremmer, la Tunisie plongera encore plus dans le creux du ‘J’ vers plus d’ouverture sociale. Le temps que le pays passera dans ce creux signifie qu’il connaîtra moins de stabilité et que les risques de crise seront plus importants sur cette voie vers une plus grande ouverture. Dans une très large mesure, ceci expliquerait le fait que la Tunisie traverse actuellement une période de désordre, même si, en apparence et/ou en réalité, la vie du citoyen tunisien est en train d’enregistrer une amélioration certaine.

Ce problème récurrent du chômage

Une des méthodes de traitement de cette question d’instabilité devrait consister à analyser le phénomène de ce taux du chômage historiquement élevé en Tunisie. Depuis 2005, le sous-emploi dans le pays n’a jamais baissé en-dessous de la barre des 12,4%. A présent, il est estimé à 15,3%. La population tunisienne est globalement jeune, avec le groupe d’âge des moins de 25 ans représentant une tranche importante, dont la plupart de ses membres sont instruits, mais sans emploi.

Le tourisme, secteur névralgique de l’activité économique, sera durement et durablement affecté par les récentes attaques terroristes – car, logiquement, lorsque le visiteur étranger ne se sent pas en sécurité dans un pays, il va chercher paix et tranquillité dans un autre pays. Ainsi, de nombreux agents de l’industrie touristique tunisienne, qui ont risqué leur vie pour sauver leurs clients étrangers, perdront leurs emplois du fait de cette désertion des touristes et des difficultés que les hôtels et les sites touristiques tunisiens rencontreront, avant de remonter la pente…

Cette sensation du danger grandissant a justifié aux yeux des autorités tunisiennes le recours à une loi antiterroriste sévère et à la prolongation de l’état d’urgence. D’une certaine manière, face à l’instabilité qu’a générée l’ouverture dans le pays, le gouvernement tunisien a réagi en faisant usage de plus de fermeté. L’économie, par conséquent, doit retrouver son développement et sa croissance et se diversifier, de façon à préserver l’ouverture du pays et renforcer sa stabilité.

Le potentiel de la Tunisie comprend notamment cette riche réserve d’une population jeune et éduquée. Récemment, le pays a été cité parmi les nouvelles destinations de start-ups les plus prometteuses. L’accès à de plus grandes ressources et à des technologies avancées a précisément permis à cette tranche d’âge de jeunes Tunisiens de tirer des profits qui n’existaient pas auparavant. Les compagnies étrangères devraient explorer et tirer avantage de la disponibilité de cette main d’œuvre tunisienne jeune et nombreuse, en dépit des risques sécuritaires et autres que l’investissement étranger en Tunisie peut parfois impliquer.

Ces dangers, même sur le court terme, peuvent être réduits ou encourus à un coût qui ne sera nécessairement élevé. De toute évidence, sur le long terme, un investissement régulier et l’expansion de l’économie finiront par avoir raison de l’instabilité, surtout si le gouvernement persévère sur la voie de plus d’ouverture et plus de transparence et que la Tunisie se taille une place plus grande et plus sûre parmi le club des démocraties du monde.

Traduction de l’anglais par Moncef Dhambri

Source: ‘‘Global Risk Insights’’.

* Conseiller principal auprès de ‘Global Risk Insights’, site d’analyse des risques politiques «destinées au monde des affaires et des investisseurs» basé au Canada.

*Les titre et intertitres sont de la rédaction.

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