Angela Merkel sauve l’honneur de l’Europe, en disant qu’une Union de plus de 500 millions d’âmes peut faire face au drame des migrants fuyant la mort.
Par Bernard Guetta*
Pourquoi l’Allemagne est-elle pratiquement le seul pays d’Europe où l’afflux des réfugiés ne provoque pas l’effroi, où la plus haute autorité de l’Etat, Mme Merkel, en appelle à la solidarité du genre humain envers ces malheureux et à la solidarité européenne dans la gestion de cette crise, et où trois grands journaux, des journaux populaires comme ‘‘Bild’’, prônent jour après jour l’accueil et la compassion?
La raison en est, répondent les plus cyniques, que l’Allemagne ne fait pas assez d’enfants, qu’elle connaîtra sous vingt ans un sévère déficit démographique et que son économie aura très bientôt besoin de bras. Oui, cela joue sans doute dans les milieux patronaux, mais pas dans la population entière.
Et la République fédérale d’Allemagne n’est pas seule en Europe, bien au contraire, à avoir une basse natalité. L’explication par la démographie ne tient pas.
La vraie raison de cette exception allemande est que ce pays est assez fort, pragmatique et consensuel. Pour n’être pas en permanence rongé par ces peurs de tout et ces surenchères des nouvelles extrême-droites qui minent tant d’autres des Etats de l’Union – la France, au premier chef.
Là-bas, ni décliniste ni démagogue, l’Allemagne est tranquille et sûre d’elle-même. Et c’est ce qui permet à Mme Merkel de sauver l’honneur de l’Europe, en disant que ce n’est, bien sûr, pas facile, mais qu’une union de plus de 500 millions de personnes et constituant la 2e économie du monde, peut parfaitement faire face à ce drame, ne pas en détourner ses regards et ne pas dresser des murs de barbelés contre des familles fuyant la mort, hagardes, désespérées et traitées comme une nouvelle peste.
Non, l’Europe n’est pas appelée à «accueillir toute la misère du monde», car elle ne pourrait pas. Elle peut, en revanche, en prendre sa part en faisant le tri entre ceux qui la gagnent pour échapper à la misère et ceux pour lesquels c’est l’Europe ou la mort.
Pour cela, l’Europe doit renforcer ses frontières communes, se doter de critères communs et se donner les moyens de faire ce tri. Elle doit, en un mot, cesser d’avoir peur et se montrer à la hauteur de ses principes et de sa force. Car, en définitive, que craignons-nous? D’être envahis par des terroristes en puissance, alors que ces misérables fuient, eux-mêmes, la terreur? De voir augmenter le chômage, alors même qu’il y a des millions d’emplois difficiles dont les Européens ne veulent pas et que ces affamés seraient trop heureux de prendre, en payant des impôts et des cotisations sociales qui viendraient réduire nos déficits et relancer nos économies?
Si nous avons oublié la charité, soyons au moins conscients de nos intérêts et cessons surtout de croire que l’islam serait en lui-même un danger, alors que ces musulmans, rêvant d’Europe et issus pour la plupart de classes moyennes, sont nos alliés, nos alliés contre les barbares et les potentats qui les persécutent pour la seule raison de croire, eux, en ces valeurs dont nous nous réclamons.
Chronique transcrite par Moncef Dhambri
Source: France Inter.
*Bernard Guetta est spécialiste de géopolitique internationale et Prix Albert-Londres 1981. Il est chroniqueur sur la radio publique française ‘France Inter’ qu’il a rejointe en 1991. Il a été, auparavant, journaliste au ‘Monde’ de 1978 à 1990.
Illustration: Le corps d’un enfant migrant mort noyé, sur une plage de Bodrum, au sud de la Turquie, après le naufrage d’un bateau transportant des réfugiés, le 2 septembre 2015.
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