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Nidaa Tounes se tire une balle dans le pied

Caid-Essebsi-Rached-Ghannouchi

Nidaa Tounes paye les frais de l’alliance contre-nature de son fondateur avec les islamistes.

L’échec de Nidaa Tounes était prévisible depuis qu’il a tourné le dos à ses promesses électorales pour se lier à ses adversaires : les islamistes d’Ennahdha.

Par Rachid Barnat

Les bouleversements récents qui secouent Nidaa Tounes doivent interpeller la société civile tunisienne. Ils confirment tout à fait l’idée, dominante dans les réseaux sociaux, que ce parti est voué à l’échec, ainsi que je n’ai cessé de le dire, avec d’autres, depuis qu’il s’est allié avec les islamistes d’Ennahdha.

Doit-on, en effet, s’étonner de voir ces déchirements et cette violence ? Non, car ce parti n’a été constitué dès l’origine que par l’union de personnes venues de tous les horizons et qui n’ont été unis, un moment, que sur l’hostilité à la «troïka», l’ancienne coalition gouvernemental, et aux islamistes qui la dominaient.

Petites ambitions et/ou fracture idéologique

Il n’y a eu, doit-on le rappeler, aucun programme, aucune base politique sérieuse dans la constitution de ce mouvement dont le fondateur t ex-président, Béji Caïd Essebsi, a habilement évité de passer par la case «congrès constitutif» pour lui donner plus de légitimité et qui aurait été une occasion de voter démocratiquement pour un programme et pour des hommes, donnant ainsi au parti une assise plus solide.

Nidaa Tounes a été porté par un homme, charismatique certes, mais sur la base d’une opposition aux islamistes, que Béji Caïd Essebsi avait confirmé lui-même sur tous les tons, bénéficiant de l’appel d’une grande partie de l’intelligentsia au vote utile.

Ce parti, bien que nouvellement né, a surfé sur la vague du mécontentement de tous ceux qui refusent de voir les Frères musulmans au pouvoir, pour tout le mal qu’ils ont fait à la Tunisie. Il a été plébiscité à trois reprises, faut-il le rappeler !

Mais voilà qu’à peine élu, il fait alliance avec le parti contre lequel il était censé se battre! Comment voulez-vous que cette trahison, quels que soient les explications laborieuses qu’on puisse en donner, n’entraîne pas des remous, des oppositions et des rivalités?

Cependant une chose me frappe à la lecture des divers médias et des réseaux sociaux: aucun ne se demande quelle est la véritable fracture idéologique des deux clans qui se battent à l’intérieur de ce parti. Cette fracture a-t-elle une dimension idéologique et politique au sens noble de ces termes ? N’est-elle que l’expression d’une rivalité de petites ambitions politicardes? Je crois, hélas, que ce n’est que cela et que cela était inévitable dans un parti sans colonne vertébrale, et qui navigue à vue.

Dès lors, ce qui me choque encore plus que ces épiphénomènes, c’est de constater que personne n’avance des idées et des projets pour justifier ces combats. Et je dois ajouter que, dans cette affaire, soit la presse soit les protagonistes, ne remplissent pas leur rôle.

La presse devrait enquêter, rechercher et nous dire ce qu’il y a derrière cette division et ses violences : soit une fracture idéologique et un projet politique; soit une basse compétition pour le pouvoir.

Quant aux protagonistes, dont je n’arrive pas à croire qu’il n’y ait pas une différence de projet et dont certains refusent catégoriquement l’instrumentalisation de la religion par les partis islamistes, tout autant que l’immense majorité des électeurs de Nidaa Tounes, ils se taisent et ne veulent pas s’avancer, car s’avancer et parler c’est se couper d’un certain nombre de soutiens. Ce qui traduit un manque de courage politique, celui de ceux qui pensent qu’en louvoyant et en se camouflant, on peut ratisser large.

Ce manque de courage est, hélas, très partagé. Sauf que cette attitude ne mènera à rien, qu’ils ne ratisseront rien et qu’ils perdront toute crédibilité aux yeux des Tunisiens.

Un ramassis de petits ambitieux

Voilà ce qu’écrit, par exemple, sur FaceBook, Chokri Mamoghli, un homme bien informé : «Foutez-nous la paix avec vos histoires. Depuis que je suis à Nidaa, je n’ai pas assisté au début du commencement d’un débat sur les programmes, à un conflit idéologique et à des divergences de points de vue quant aux politiques à mener. Nidaa est une boite vide, où il n’y a que des courants d’air.

Une usine à gaz où on ne fait que gesticuler. Nos rencontres sont des mascarades, un concours de grandes gueules qui viennent brailler et qui repartent toutes contentes de leurs effets de manches.» Et M. Mamoghli d’ajouter: «La plus grosse connerie que l’on puisse commettre est de penser que le conflit actuel, la guerre, la haine, les complots ourdis, sont le résultat d’une confrontation entre destouriens d’un côté et syndicalistes de l’autre. Une guerre entre deux écoles de pensées. Un conflit entre deux philosophies. Cela me fait marrer. Ces analyses ‘‘boudourou’’ (à deux balles) me font pitié. Il n’y a, il n’y a eu et il n’y aura que des histoires de personnes dont tout le monde a marre.»

Et combien d’autres demandent sur le même réseau à être éclairé ?

J’aurai mieux compris une division sur cette question essentielle de l’islamisme politique et j’aurai d’ailleurs soutenu ceux qui auraient décidé de faire scission pour s’opposer frontalement à cette alliance contre-nature dont on voit bien, tous les jours, qu’elle paralyse le pays et le fait régresser: incapacité de mettre un terme à l’occupation des mosquées, projets de textes dénaturés pour plaire à l’allié islamiste, mise à sac de certains biens publics pour favoriser une finance dite islamique plus conforme au projet des Frères musulmans, aucun progrès dans l’ordre sociétal comme l’égalité dans les successions…

De reculade en débandade

Quelles suites y a-t-il eu aux dénonciations du laxisme de la «troïka», qui devinrent des promesses électorales pour ce parti et qu’il n’a pas tenues?

Faut-il les rappeler à ceux-là mêmes qui les posaient comme conditions pour le fameux «dialogue national»?

Comment se fait-il que la neutralisation des mosquées pose toujours problème et que celles-ci ne soient pas totalement expurgées des imams salafistes?

Qu’est devenue la révision des nominations dans l’administration tunisienne effectuée au pas de charge par les deux gouvernements dominés par Ennahdha, et dont tout le monde s’accorde à dire qu’elles sont la cause de la paralysie des rouages de l’Etat?

Et que dire de «hibet eddawla» (prestige de l’Etat), leitmotiv des responsables politiques de Nidaa, quand on voit les reculades du gouvernement et le manque de soutien à ses ministres pour ne pas fâcher ses alliés islamistes?

Faut-il rappeler les arrestations de terroristes et d’imams salafistes utilisant les mosquées comme tribune politique en diffusant l’obscurantisme et la haine… suivies aussitôt de leur libération, parce que Ghannouchi venait à leur secours; ce qui choquait et révoltait les Tunisiens qui y perdent leur latin, ne comprenant plus le parti qu’ils ont porté en masse au pouvoir ?

Comment peut-on encore faire confiance à ce parti tel qu’il est devenu, dominé par un ramassis de petits ambitieux qui ne voient pas qu’ils sont en train de faire le lit des islamistes?

Les Tunisiens se sont mobilisés massivement pour dégager les Frères musulmans d’Ennahdha, en plébiscitant à trois reprises Béji Caïd Essebsi et son parti Nidaa Tounes. Un an après, leur déception est immense de les voir dominés plus que jamais par Ennahdha… tout comme l’étaient le CPR et Ettakatol qui formaient la «troïka» provisoire!

Blog de l’auteur.

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