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‘‘Violence(s)’’ de Baccar et Jaïbi : «Un Homme, ça s’empêche»

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« Violence(s) » (Ph.Mohamed Frini).

La dernière création du duo de choc Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, ‘‘Violence(s)’’ présentée actuellement à la salle du 4e Art, à Tunis, entre soufre et souffrance.  

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

Le lieu : Prison. Asile d’aliénés. Poste de police. Cellule de garde-à-vue. Salle pour interrogatoires.
Le décor : Minimaliste. Gris. Noir. Quelques bancs. Une table. Une vitre de séparation.
Lumières : Ternes. Sourdes. Étouffées.
Atmosphère : Glauque. Lugubre. Sinistre. Pesante. Angoissante. Violente.
Boum ! Boum ! Boum ! Pan ! Pan ! Pan ! Kalachnikov ! Grenades ! Explosions ! Kamikazes ! Morts et blessés par dizaines. Bus et aéroports minés. Attentats terroristes.
Des corps voûtés. De gris et de noir vêtus. A demi nus. Menottés. Épuisés. Au bout du rouleau.
Personnages : à la fois grotesques et tragiques. Bourreaux et victimes en même temps. Coupables et innocents, selon les points de vue. Complices. Lâches. Hypocrites.
Des marginaux. Des délinquants. Des criminels. Endurcis. Faibles. Amoureux. Inconscients de l’horreur qu’inspirent leurs crimes et atrocités. Rusés. Avinés. Drogués. Hallucinés. Baveux. Bavards. Chialeurs. Peureux. Poseurs. Crâneurs.
L’action : Passion dévorante et criminelle. Amour incestueux. Éros et Thanatos.
Meurtre gratuit. Crime crapuleux. Assassinat prémédité. Mort accidentelle. Meurtre en réunion.
Voila le cadre, le décor, les personnages et l’action de la pièce…

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Ph. Attilo Marasco.

Histoires pleines de bruit et de fureur

Jalila Baccar, auteure du texte, n’a pas été très loin chercher ses personnages et leurs histoires pleines de bruit et de fureur. Il lui a suffi de scruter notre propre société, de dégager ses contradictions, de mettre à nu ses lâchetés et hypocrisies, de dénoncer ses violences et turpitudes.

Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, le metteur en scène, ne se contentent pas de mettre le doigt là où ça fait vraiment mal. Ils nous forcent à voir la bête qui sommeille en chacun de nous. Ils nous poussent à lui tordre le coup avant qu’elle ne fasse de nous ses esclaves. Ils nous rappellent l’actualité de Camus et le mot que l’on prête à son père : «Un homme, ça s’empêche», entendez par là, l’homme, le civilisé, contrairement au sauvage, domine ses bas instincts au lieu d’être dominé par eux.

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Ph. Attilo Marasco.

Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi nous rappellent encore l’actualité de Bertolt Brecht et la nécessité de résister à tous les fascismes et intégrismes engendreurs de graines de terroristes. Le célèbre dramaturge allemand antinazi n’a-t-il pas prophétisé que «le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde»?

Si vous trouvez que le spectacle que nous donnent à voir les comédiens du Théâtre National est trop violent et trop noir, si vous persistez à croire que notre société n’est pas empreinte de tant de laideur, si vous considérez que le crime et le terrorisme nous sont inconnus et étrangers, ne condamnez pas, svp, l’auteure, le metteur en scène et leurs complices sur les planches de la salle du 4e Art.

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Ph. Attilo Marasco.

Le théâtre, fût-il celui de la cruauté, n’est ici qu’un miroir où la société peut, si elle a suffisamment de jugeote, juger de la gravité des maux qui la minent de l’intérieur, constater le degré de sa décomposition et prévoir les jours qu’on lui prépare.

Le miroir que l’on vous tend

Ainsi, si vous estimez que l’avenir que l’on nous annonce n’est pas radieux, hélas, souvenez-vous que l’art est prophétique, prémonitoire et toujours en avance sur les événements. Cette pièce a été écrite et jouée avant les diverses tueries qui ont ensanglanté Paris le 13 novembre dernier et ont coûté la vie à 130 personnes. Avant aussi le lâche attentat du 24 novembre sur l’avenue Mohamed V, à Tunis, qui nous a ravi 12 membres de la Garde présidentielle.

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Ph. Attilo Marasco.

Alors, ne brisez pas le miroir que l’on vous tend, regardez-vous bien dedans plutôt car le théâtre est catharsis, libération, savoir et donc pouvoir et force pour mieux résister à ce qui cherche à nous abattre.

Mais la triste actualité et les temps mauvais que nous traversons ne sont pas les seules raisons qui devraient vous inciter à courir voir ‘‘Violence(s)’’. Car le théâtre est aussi art, mise en scène, jeu, spectacle, lumières, musique, bruitage, costumes mais aussi acteurs, corps en mouvement, gestuelle, mimique, expression corporelle.

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Ph. Attilo Marasco.

Ici, il faudrait citer les noms de tous ceux qui ont prêté leur corps et donné vie à cette pièce, du metteur en scène aux techniciens, des acteurs au scénographe, du musicien à l’éclairagiste. On ne peut, cependant, omettre de signaler, en particulier, le jeu difficile de Fatma Ben Saïdane en criminelle et en folle qui tue pour se libérer du statut de mineure qu’a la femme dans notre société, du rôle d’esclave au service des membres de sa famille.

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Ph. Aymen Omrani.

Le naturel époustouflant de Jalila Baccar

Quant à Jalila Baccar, elle est ici au sommet de son art. Elle réussit à merveille une composition de vieillotte fatiguée, despotique, acariâtre et à moitié démente. La démarche lourde et traînante, les cheveux ébouriffés, le front bas, les bras ballants, la lippe dédaigneuse, le regard éteint et sombre, portant comme un masque de lassitude sur le visage, le verbe lent et rare, le geste mesuré, elle est l’incarnation de l’épuisement tant physique que moral, la personnification d’une totale et irrémédiable désespérance en face de la vie, l’image même d’un être qui redoute l’avenir et n’en attend plus rien de bon.

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Ph. Attilo Marasco.

On n’oubliera sans doute pas de sitôt le rôle que Jalila Baccar a ici endossé avec un naturel époustouflant comme une sienne et vieille parure qu’elle a toujours portée. L’être et le paraître ou le paradoxe d’une grande tragédienne !
Alors, ‘‘Violence(s)’’, vous y allez ?

* Universitaire.

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