La France doit rééquilibrer sa politique étrangère et changer son regard sur le Maghreb, l’Afrique et le Moyen-Orient.
Par Ezzeddine Ben Hamida*
Voilà un pays qui enchaîne conférence sur conférence. Concernant la Syrie, la France en a fait une spécialité; elle est en effet à sa 10e manifestation sans compter les rencontres informelles et les réunions de travail pour demander des sanctions contre le régime syrien ou plutôt contre la personne de Bachar El-Assad. Aujourd’hui, Laurent Fabius ne réclame plus son départ, l’intervention russe oblige, mais pour combien de temps encore?
Pourrait-on oublier le dévouement de la France pour la cause libyenne ou celle malienne ? Mais là, elle est en terrain conquis pour services rendus ! Même pour le Yémen, elle s’est dépensée sans compter. Pourtant ce pays est historiquement très loin de la sphère d’influence de la France, en tant qu’ancienne puissance colonisatrice.
Pourquoi autant d’agitation?
La France, à travers son ministre des Affaires étrangères, l’incontournable et infatigable Laurent Fabius – connu aussi par son amitié et son admiration pour Shimon Peres et Benyamin Natanyahou – s’agite, cogite et souvent s’excite et se démène. Pourquoi autant d’agitation qui frôle la démence? Pourquoi cette débauche d’activisme diplomatique et parfois militaire? Mais pour qui roule la France? Et le peuple de France partage-t-il les orientations de la politique extérieure de ses représentants? Les attentats terroristes commis à Paris, en janvier et en novembre 2015, ne sont-ils pas aussi des conséquences de sa politique étrangère?
Certains rétorqueront – sans doute à raison – que la diplomatie est un moyen pour trouver des débouchés aux entreprises françaises. D’autres avanceront le fait que cette ancienne puissance colonisatrice cherche à assurer son approvisionnement en matières premières indispensables pour son développement et surtout pour son industrie nucléaire, militaire et civile. Sans doute, aussi ! Quelques esprits chagrins diront que la France cherche, à travers sa diplomatie pas toujours lisible, à faire diversion pour faire oublier sa situation économique difficile, et montrer ainsi à ses citoyens, qui ont le moral en berne, qu’elle est encore une grande puissance. Il y a aussi du vrai dans cette affirmation. Des intellectuels ajouteront que la France cherche également à exporter son image, sa culture et sa francophonie.
Ah, la francophonie!
Nous y sommes : mais bon sang, comment la France peut-elle prétendre exporter la francophonie alors qu’elle a quasiment supprimé l’enseignement de la langue arabe dans les lycées en France? Le CAPES arabe est clôturé depuis 2004, du temps où François Fillon était ministre de l’Education nationale. D’ailleurs, Najat Vallaud-Bekacem, l’actuelle ministre de l’Education nationale, fait l’objet d’une campagne de dénigrement. Ses détracteurs lui reprochent de vouloir introduire l’enseignement d’une «heure hebdomadaire de découverte de la langue arabe pour que la France reste un pays multiculturel». Un vrai crime de lèse francophonie ! ‘‘Le Canard enchaîné’’ a, d’ailleurs, dénoncé cette ignominie dans un excellent article intitulé «Le racisme au pied de la lettre», publié le mercredi 10 septembre 2014.
Les moyens moraux font défaut
Les ambitions de la politique étrangère française exigent des moyens non seulement financiers mais aussi diplomatiques, culturels, relationnels, partenariaux, mais aussi moraux, dont la France ne semble pas disposer vraiment. Et pour causes :
– La montée de l’extrême droite : le Front national focalise à lui seul 25% des voix et, par ce fait, il est le premier parti de France. Il a même concentré près de 40% des voix lors du premier tour des dernières élections régionales.
– La banalisation du discours islamophobe et arabophobe : Robert Redeker a écrit dans ‘‘Le Figaro’’ du 19 septembre 2006 : «Haine et violence habitent le livre dans lequel tout musulman est éduqué, le Coran (…) Quand le judaïsme et le christianisme sont des religions dont les rites conjurent la violence, la délégitiment, l’islam est une religion qui, dans son texte sacré même, autant que dans certains de ses rites banals, exalte violence et haine.» Pis encore, le portrait brossé de Mohammed, le prophète de l’islam, est tout aussi insupportable: «Exaltation de la violence : chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juif et polygame, tel se révèle Mohammed à travers le Coran», écrit-il encore.
– Le soutien inconditionnel à Benyamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël, à qui tous les crimes sont pardonnés.
– La multiplication des dérives verbales de certains de dirigeants français : le Maire de Nice Christian Estrosi (lui-même fils d’un immigré italien) interpelait récemment violemment, et en direct à BFM TV, Harlem Désir, l’actuel secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, lui reprochant d’avoir élaboré un rapport sur les banlieues où il recommande fortement l’enseignement de la langue arabe dans les lycées français au même titre que le portugais, l’espagnol et les autres langues. Le «motodidacte» (autodidacte et ancien cycliste, expression forgée par ‘‘Le Canard enchaîné’’) disait avec un insupportable culot : «Votre recommandation met la république en danger, l’enseignement de l’arabe est un risque pour notre unité nationale.» Comme cela ne suffisait pas, il a ajouté pour enfoncer le clou : «Vous cherchez à mettre la nation française en péril; vous ne savez pas ce que le mot nation signifie, monsieur Harlem désir.»
– Le mépris et l’arrogance vis-à-vis des peuples africains : des charters d’expulsion de ressortissants africains sont organisés quotidiennement.
– La maltraitance des immigrés: en 2009, le rapport d’Amnesty International avait publié un rapport accablant à l’égard de la France. On y dénonçait: «Insultes racistes, recours excessifs à la force, coups, homicides telles sont les allégations des violations des droits humains commises par certains policiers français.» On y dénonçait aussi l’impunité dont bénéficient les policiers de la République. Les victimes de ces «bavures» sont bien évidemment des Arabes ou des noirs.
L’ensemble de ces faits et actes montrent à l’évidence que la France n’a plus les moyens moraux de sa diplomatie! En a-t-elle alors au moins les moyens financiers et militaires? Rien n’est moins sûr.
Une économie à bout de souffle
Financièrement et économiquement, la France est aux abois : une croissance en berne depuis 40 ans; un déficit public chronique; une dette qui avoisine les 2000 milliards d’euros; un chômage de masse de plus de 2 millions de personnes, et si on ajoute les temps partiels non volontaires, la somme des chômeurs atteindrait les 5 millions. C’est à cause du choc pétrolier, rétorqueront certains ! C’est, bien sûr, de la faute aux Arabes !
Militairement, les interventions de la France en Libye et au Mali – si tant est que l’on pouvait les qualifier de réussies – n’auraient pas eu lieu sans le soutien logistique et satellitaire des Américains. D’ailleurs, les arriérés des salaires pour les soldats en mission à l’étranger se chiffrent en milliards d’euros.
L’avenir de la France réside dans sa partie sud
La France qui veut rayonner par sa culture, sa langue et l’histoire de sa révolution ne doit-elle pas changer de discours, d’attitude ou, au moins, de posture? N’a-t-elle pas intérêt à changer ses manières maladroites de vieille puissance sur le retour? Ne devrait-elle pas être moins arrogante pour être moins détestée?
Le potentiel de croissance économique de la France se trouve au sud de l’Hexagone. Mais cette croissance ne pourra plus jamais dépasser, dans le meilleur des cas, 2%. A moins de tout détruire et tout reconstruire dans l’espoir de faire enfin bouger les choses. De facto, la demande interne en biens durables (investissement), le premier moteur de la croissance, est quasiment saturée et sa progression ne peut être que faible. La demande en biens de consommation, l’autre moteur de croissance, stagne, elle aussi, en raison de la stagnation de la démographie française. La consommation des ménages français connait une mutation et non pas une progression: elle mute vers de nouveaux services et biens mais sa croissance est globalement molle.
L’avenir de la France réside dans le succès de son commerce extérieur et le dynamisme économique de sa partie méditerranéenne. Mais ce n’est pas en poursuivant sa politique étrangère erratique actuelle qu’elle pourra conquérir de nouveaux marchés. La France devra changer son regard sur le Maghreb, l’Afrique et le Moyen-Orient, où son soutien inconditionnel à Israël lui coûte un énorme manque à gagner.
* Professeur de sciences économiques et sociales (Grenoble).
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