Le 20 mars 1956, il y a exactement 60 ans, la Tunisie accédait à l’indépendance. Au terme d’un long et vaillant parcours, la retraite ne sera pas paisible.
Par Fethi Frini*
Au Diable, l’asservissement, l’aliénation et l’oppression! Ce serait 60 ans déjà, depuis un certain 20 mrs 1956, une date mémorable, que notre chère Tunisie baigne dans l’huile d’olive, euh, dans l’Indépendance !
Après tant d’années, de longues années, passées à exister, à vivre et à travailler ensemble, tant bien que mal, serait-ce alors, pour ce sacré pays qu’est le notre, le passage à la retraite?
Ce fut un réel plaisir, Ô Tunisie, de travailler à vos côtés, de se sacrifier pour vous, de se dévouer à vos nobles causes…
Que de temps passé, en effet ! Autrement dit, l’heure aurait-elle déjà sonné, après tant d’années de bons et loyaux services, pour que vous passiez enfin la main ? Quelle drôle d’idée ? Oui, mais à qui ? Et pour quoi faire?
Le temps n’est-il pas venu justement de donner «un coup de jeune» à notre non moins jeune pays, et qu’on cède désormais la place à la nouvelle génération, lui faire profiter d’un large champ d’action où elle pourra s’en donner à cœur joie et à qui, d’emblée, nous souhaitons plein succès dans ses projets futurs, dans tout ce qu’elle a de prometteur et d’innovateur?
Vivement la retraite, diriez-vous? Pour qu’enfin, vous puissiez jouir d’une belle retraite après presque 60 ans d’engagements tous azimuts? Du fait également des dures épreuves endurées par la dégradation préoccupante de certaines valeurs fondamentales que vous nous avez longtemps inculquées et, tout à la fois, par l’exaltation de l’hédonisme, du fondamentalisme et d’une fausse conception de la liberté.
Jouer aux cachoteries
Cependant, pour ne rien vous cacher, quoique, des fois, Ô Tunisie , vous jouiez bien aux cachotteries, l’heure est grave, et la situation, critique, que nous ne pouvons désormais plus ni tolérer ni escamoter. Tout autour de nous, ici-bas, comme ailleurs, un peu partout, c’est l’anarchie; tout le monde nous en veut; tout le monde en veut à tout le monde; tout le monde en a marre; tout le monde déprime !
Ne sachant plus où se donner de la tête, nous continuons de regarder tout autour de nous, tantôt avec nostalgie, tantôt avec regret, mais toujours avec appréhension. Comme qui dit : on regrette le passé, on subit le présent et on craint l’avenir… On se sent, des fois, menacés, quoique, avec vous, tous les espoirs sont permis… On vous connait pour avoir longtemps roulé nos bosses. Le chemin sera certainement long cahoteux, parsemé d’embûches mais nous gardons intacte notre foi en vous: un jour, l’«utopie» peut devenir réalité.
En effet, on a affronté bien des épreuves; on a surmonté bien galères; on a déjoué bien des obstacles… Oui, on a fait nos preuves.
Souvent le ciel est gris, plus tard le soleil brille. Il ne faut pas, cependant, trop vous en vouloir : tout finit par passer chemin. Rien ne se passe comme prévu car souvent les choses se corsent. Espérons que la roue tourne; on a roulé nos bosses.
Pendant et tout au long de ces 60 années passées en votre compagnie, vous avez été à la fois un ami précieux, un collègue formidable, un compagnon fidèle. Il nous sera difficile, sinon impossible, de trouver quelqu’un pour vous remplacer. Nous continuerons, néanmoins, d’affronter ensemble l’avenir avec une confiance indéfectible, en une fidélité inébranlable qui demeure.
Sacrée chanceuse!
Alors, Ô Tunisie, vive le début de la vraie vie active ! Nous l’espérons bien, pour ce nouveau départ… Nous avons là toutes les peines à trouver le mot juste pour le dire, vous étiez bien, des années durant, la reine, le fer de lance, la pionnière, l’avant-garde, la meilleure des meilleures… bref, tout y est, ou presque, pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
La Tunisie dont on n’a guère cessé de rêver, que l’on ait jamais eue, que l’on a toujours aimée ! Du fond du cœur ! Vous allez beaucoup nous manquer. Et sans vous, les journées seront bien moins enjouées ! Et les soirées d’une tristesse affligeante! Profitez bien de votre retraite! Depuis le temps que vous en rêviez… Maintenant, ça y est ! Vous allez pouvoir lézarder, glandouiller, flemmarder, paresser, fainéanter, traînasser à volonté! Quel programme ! Profite-en bien ! Bonne retraite ! Plus de contraintes horaires, plus de stress au travail… Vive la liberté !
Oui, bonne, joyeuse, merveilleuse, retraite ! Vous allez enfin pouvoir faire la grasse matinée, boire tranquillement votre café en lisant le journal, jouer au solitaire sur votre ordinateur, s’évader sur les réseaux sociaux, rester des heures à rêvasser… Sinon à se lamenter, à rouspéter, à râler… Tiens, mais c’est exactement comme quand vous travailliez ! Que de dossiers souvent brûlants, vous continuez d’ignorer, ou alors d’expédier, sinon de renvoyer aux calendes grecques… Ha Ha ! Joyeuse retraite l’amie! Il faut à tout prix que vous reveniez travailler !!! Oui, pour les nombreux dossiers encore en suspens que vous allez laisser derrière vous. Vous en avez encore bien de pain, souvent rassis, sur la planche. Ceci dit, vous recevrez, chère Tunisie, quelques dossiers à boucler prochainement dont, pour le moindre, celui de ce sacré terrorisme, lequel continue de nous hanter, de nous angoisser même, et on espère bien nous en débarrasser d’un revers de main… D’une main de fer dans un gant de velours, si possible. Et dans les meilleurs délais.
Non? Bon d’accord. Alors, on part tous en retraite avec vous, si vous vouliez bien!!! Et que vous puissiez, des fois, profiter pleinement de vos proches et accomplir vos projets peut-être mis de côté depuis longtemps. Depuis le temps que vous vous économisez… Vous allez enfin pouvoir vous donner à 100% pour la retraite ! Pensez à nous de temps en temps ! Bonne retraite, vieille branche ! Nous vous souhaitons une excellente et très longue retraite. Profitez-en bien. Bonnes, longues sinon très longues vacances. Une sacrée chanceuse, va!
En plein cœur…
Vive la retraite ! En effet ! Mais… vous croyez que le boulot est fini, que vous êtes déjà au bout de vos peines ? Vous allez en voir encore de toutes les couleurs ! Et surtout faut pas croire que « C’est dans la vie retirée qu’on rencontre la situation la plus heureuse, et qu’on y a moins d’envieux et plus de temps à soi » (Adolphe de Chesnel). La vie, vous, nous l’avons toujours voulu riche en passion et en frisson. Ce serait là quelques uns de vos sages enseignements…
Mais… vous croyez que le boulot est fini? Bien au contraire, il vient juste de commencer ! Maintenant, vous allez devoir réserver… supporter… programmer… organiser…, en somme, faire travailler vos méninges… Bref, c’est du travail, faut pas croire ! Nous rigolons bien sûr ! On peut se le permettre, des fois !
Devrions-nous, en fin de compte, immortaliser ce moment important et nous nous envoyons, comme il se doit – et ce serait là la moindre des choses – une petite carte de vœux qui saura, à la fois, nous émerveiller et nous nous choquer, qui saura surtout nous toucher tout un chacun, en plein cœur…?
Tous vos sujets, euh, tous vos protégés, se joignent à nous, pour vous féliciter pour ce beau parcours, pour cette belle carrière… malgré quelques soubresauts et beaucoup d’accrocs.
Par ce message pour votre départ à la retraite, que nous vous souhaitons fort paisible, nous vous souhaitons également de rester jeune dans votre tête et de ne pas perdre espoir en vous, en la vie, en vos grands enfants et en vos autres enfants, nos brebis galeuses…
Nous demeurerons Tunisiens et Tunisiennes et encore fier(e)s de l’être. Car, disait justement Victor Hugo, le grand poète français : « La retraite, paisible et fière, réclame un cœur indépendant ». Indépendant, oui, Ô notre cher pays. Vous l’avez toujours été. Vous l’êtes encore. Et vous le demeurerez à jamais.
* Juriste.
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