Au lieu de renforcer le front intérieur face aux menaces et de cimenter l’unité des Tunisiens, le président Caïd Essebsi choisi d’ajouter encore plus de confusion à la confusion régnante.
Par Amor Cherni*
Au moment où nous avons besoin de rapprocher les points de vue et de sceller une unité solide et combative contre le terrorisme qui vise à une nouvelle étape, celle de l’occupation de notre pays, le président Béji Caïd Essebsi (BCE) s’évertue à créer les divisions dans nos rangs.
Une fâcheuse incohérence
En attaquant violemment l’opposition et le Front Populaire en particulier, alors qu’aucune action d’envergure n’a été menée par ce dernier pendant ces dernières semaines, il sape l’unité nationale qu’il ne cesse d’appeler de ces vœux. C’est ce qui montre qu’il dit une chose et en fait une autre qui, en l’occurrence, lui est strictement opposée. Mais au-delà de cette incohérence, assez fâcheuse pour un président et encore plus pour un pays en pleine tourmente comme le nôtre, la question qui se pose est la suivante : que veut-il ? Quel est l’objectif du président en attaquant l’opposition et le Front Populaire en particulier, au lieu de construire le front intérieur et de le cimenter par une unité indissoluble ?
Cet objectif semble être triple. Il cherche, d’abord, à préparer l’opinion à une révision de la Constitution et à un régime présidentiel qui lui donnerait plus de prérogatives et consoliderait son pouvoir. Autrement dit, il trouve que la portion de pouvoir que lui accorde la Constitution ne convient pas à sa haute stature et qu’il faudrait l’agrémenter autant que possible. Est-ce là une tentation du culte de la personnalité, ou du pouvoir absolu, ou du moins d’un pouvoir autoritaire? L’avenir nous le dira. En tout cas, il semble ne pas être satisfait du chef du gouvernement dont il a dit qu’il «fait son travail» ; entendons : pas plus ! Un souvenir nous revient de loin : en pleine mégalomanie, Bourguiba a dit, un jour, que la Tunisie était trop petite pour un aussi grand président que lui ! Un autre souvenir, non moins lointain : le même Bourguiba a dit, un jour, de l’un de ses plus fidèles premiers ministres qu’il «n’avait qu’un seul défaut : la modestie»!
L’attaque contre le Front Populaire
Il veut ensuite à préparer le terrain à une relance du projet de loi sur la fameuse réconciliation nationale. Dans le même entretien, BCE a fait remarquer en passant que les investisseurs étrangers, mais aussi les locaux, sont toujours sur l’expectative. Les premiers en raison des conditions de sécurité, les seconds en raison des poursuites judiciaires qui pèsent encore sur eux. Donc, si les mêmes causes persistent, les mêmes effets s’en doivent suivre ! Or, l’un de ses effets, c’est qu’il vole lui-même au secours de ces pauvres milliardaires, en reprenant le fameux projet dit de réconciliation nationale !
On comprend mieux alors, sous cet angle, son attaque contre le Front Populaire, puisque c’est l’une des parties qui se sont déjà opposées à ce projet et qui risquent fort de s’y opposer encore s’il est remis sur le tapis. Disons au passage que beaucoup s’interrogent sur ce qui empêche ces pauvres milliardaires de régler eux-mêmes leur situation auprès du fisc, ou de prendre une initiative collective au profit de l’Etat et du peuple tunisiens, comme par exemple une baisse spectaculaire des prix des denrées de première nécessité, ou une participation remarquable à la caisse de lutte contre le terrorisme ! Le peuple tunisien a donné et continue à donner ses meilleurs enfants pour la Tunisie et sa révolution. Mais eux, qu’ont-ils donné à notre pays ? Qu’ont fait ces pauvres milliardaires pour la Tunisie depuis la révolution, sinon de s’enrichir encore par la hausse vertigineuse des prix, par la contrebande, ou par l’évasion fiscale?
Le pouvoir change souvent l’homme
Enfin, BCE veut museler l’opposition afin de conduire le peuple tunisien comme une masse de bétail, sans coup férir. Le président a-t-il oublié que c’est grâce à l’opposition – entre autres du Front Populaire – à la Troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par les islamistes d’Ennahdha, et à sa calamiteuse politique, qu’il a trouvé le chemin de Carthage ! Ou bien, l’opposant d’hier, devenu président aujourd’hui, pense-t-il éradiquer toute opposition pour jouir d’une présidence à vie? Le démocrate d’hier, est-il devenu autocrate aujourd’hui? Ne l’oublions pas, cela aussi fait partie du bourguibisme ! Il est vrai que le pouvoir change souvent l’homme qui le prend et l’assume, mais jamais le peuple qui le détient d’une façon souveraine à la suite d’une révolution sanglante et d’une portée historique.
Ces trois objectifs paraissent s’inscrire, comme par hasard, dans un vaste projet de restauration dont plusieurs indices se font voir, tels la mobilisation de certaines chaînes contre la Commission de confiscation des biens mal acquis, ou les rumeurs insistantes sur le retour des agents de l’ancien régime, voire le retour de son président déchu. La chose a pris une telle ampleur qu’une radio nationale française a dû appeler sa correspondante dans notre pays pour l’interroger sur la vérité de ces rumeurs. Bref, tant d’éléments malsains sont en train d’infecter notre atmosphère politique.
Au lieu d’assainir cette atmosphère, de construire le front intérieur face au réel danger que court notre pays, de cimenter l’unité des Tunisiens, le président a choisi d’ajouter encore plus de confusion à la confusion régnante. A-t-il oublié que la Constitution ne lui accorde aucune prérogative quant à la politique intérieure qui est du ressort du chef du gouvernement ? En tout état de cause, le président n’est pas sans savoir — il le sait même d’expérience — que c’est à ces moments troubles que nous avons le plus besoin d’une forte opposition et en particulier du Front Populaire !
* Philosophe.
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