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Intelligence économique : La Tunisie peut-elle rattraper son retard ?

 

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Mauvais élève en matière d’intelligence économique (IE), la Tunisie n’arrive ni à décoller ni à suivre les tendances pour se positionner dans l’échiquier africain.

Par Zohra Abid

Sans une véritable diplomatie économique, une audace politique permettant de mettre en oeuvre des réformes radicales en matière d’investissement et une vraie stratégie de veille économique pour accompagner les opérateurs privés dans leur conquête des marchés internationaux, la Tunisie aura du mal à rattraper son retard dans ce domaine.

Manque flagrant d’informations

C’est là la conclusion du débat organisé, samedi 2 avril 2016, par l’Université Montplaisir, à Tunis, sur le thème: «Intelligence commerciale et veille stratégique : les enjeux en Afrique».

La collecte d’informations est une tâche des plus difficiles, a souligné, à ce propos, Jalloul Ayed, ancien ministre des Finances et président d’honneur du Tunisia-Africa Business Council (TABC). Sans être optimiste, il préfère «donner une idée sur ce qu’il faut faire pour rattraper le retard et éviter de donner une idée alarmante sur la situation en Tunisie qui ne manque pas d’atouts et de moyens et mérite sans doute un meilleur sort», a-t-il dit devant un parterre d’économistes, hommes d’affaires et représentants de la diplomatie africaine en Tunisie.

Pour avancer dans l’IE, il existe un passage obligé. «Il faut tout d’abord collecter des informations utiles et pertinentes, puis les traiter et les analyser de façon méthodique et rigoureuse, puis la diffuser auprès des parties concernées afin qu’elles puissent les exploiter à bon escient», explique Jalloul Ayed, tout en constatant qu’au premier niveau, celui de la collecte des informations et de la mise en place de bases de données, la Tunisie n’a rien fait de concret. «L’information, qui est la base de toute stratégie, nous manque cruellement », déplore-t-il encore. «Et là on parle de données publiques et non d’espionnage économique, qui est une autre affaire, c’est-à-dire des données disponibles, puisées à bonnes sources, bien traitées, qui donnent une idée sur les grandes tendances du marché, et qui sont obtenues au bon moment pour nous permettre de prendre des décisions et de réagir rapidement. Ce sont ces informations là qui n’existent pas en Tunisie», a tenu à préciser M. Ayed.

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Jalloul Ayed.

Une diplomatie à la traîne

L’ancien ministre des Finances n’a pas hésité à appuyer là où ça fait mal en accusant la diplomatie tunisienne de carence en matière économique et de manque de professionnalisme. «La Tunisie a-t-elle vraiment une diplomatie économique? Je réponds tristement non. Les centaines de diplomates qui représentent notre pays dans le monde ne sont pas mobilisés ni outillés pour jouer ce rôle. Il faut commencer par les former pour qu’ils apprennent à connaître les arcanes de l’économie mondiale et identifier les opportunités d’échange, de coopération et d’investissement. C’est un exercice difficile mais nécessaire. Et s’ils ne le font pas, qui va le faire pour que l’on soit mieux informé et nous préparer à relever les défis de l’avenir dans un monde qui change tous les jours», a martelé Jalloul Ayed.

Par ailleurs, il ne s’agit pas de copier les stratégies des autres pays, mais au moins de s’inspirer des expériences qui ont montré leur efficacité pour les adapter à la réalité tunisienne et aux besoins de la Tunisie. Et d’éviter celles qui ont échoué, a insisté l’ancien banquier.

Pour donner un exemple des opportunités perdues par la Tunisie à cause de son manque de réactivité et des carences de son système de veille économique, M. Ayed a évoqué le cas des dizaines d’entreprises françaises qui ont quitté la Chine, à cause des grèves à répétition et de la montée des salaires qui ne sont plus compétitifs. «C’était une aubaine pour la Tunisie, mais ces entreprises, faute d’avoir été sollicitées par la Tunisie, sont parties pour la plupart s’installer au Vietnam. Si on avait une cellule de veille digne de ce nom, on aurait réagi à temps et pu ramener quelques unes de ces entreprises en Tunisie, plus proche culturellement et à 2 heures d’avion de la France», a insisté M. Ayed.

Où est passé le gouvernement ?

La Tunisie essaie aujourd’hui de rattraper le retard qu’elle a enregistré dans son implantation en Afrique, un continent d’avenir, peuplé de 1,2 milliard d’habitants et qui, en 2030, atteindra 2 milliards d’âmes, dont la moitié vivra en milieu urbain. «L’Afrique est stratégique pour l’Europe, la Chine et les États-Unis, ainsi que pour les Marocains, qui y sont très engagés, au niveau du gouvernement comme à celui des opérateurs privés. Or, nous autres Tunisiens sommes quasiment absents des grandes foires et des événements économiques importants organisés dans les pays africains», a par ailleurs constaté Walid Loukil, représentant du Groupe Loukil et cofondateur du TABC, qui a appelé les opérateurs économiques tunisiens à nouer des relations directes avec leurs homologues africains et non des contacts virtuels via internet qui aboutissent rarement à des partenariats.  M.Loukil a notamment déploré, l’absence des  représentants du gouvernement tunisien des grands événements économiques auxquels prennent part des opérateurs tunisiens dans le continent. «C’est un travail de longue haleine et nous allons continuer à être présents, mais sans l’appui du gouvernement, il sera difficile d’arriver rapidement à des résultats», a-t-il souligné. «Nous avons des industries, des services et des compétences, mais ni le gouvernement ni les banques ne suivent ni ne font grand-chose pour aider les privés», a-t-il encore souligné.

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Walid Loukil.

«Regardons un peu le Maroc. Le gouvernement et les banques ont suivi l’initiative privée. Sa majesté le roi accompagne 2 à 3 fois par an les hommes d’affaires dans leurs missions dans les pays africains et ils rentrent à chaque fois avec des contrats signés», a surenchéri M. Ayed, qui se hasarde à comparer l’engagement des deux pays dans le continent: le Maroc compte 15 ambassades, alors que la Tunisie n’en compte que 7.

«Si on veut devenir comme les Emirats, Singapour ou Dubaï, il faut se donner un objectif, un délai, un plan de travail et partir de bon pied», a lancé l’ex-ministre des Finances, tout en se montrant moyennement optimiste, car, selon lui, la Tunisie a les moyens de se rattraper et il n’est jamais trop tard pour bien faire, puisqu’il «n’existe pas une seule Afrique mais des Afrique, où une quinzaine de pays ont un taux de croissance à 2 chiffres. Il y a donc de la place pour tout le monde et les opportunités sont énormes», a-t-il rassuré.

Des textes juridiques à changer

Autre entrave soulignée : la Tunisie traîne encore, comme des boulets de fer, des textes juridiques obsolètes et qui doivent être révisés d’urgence. Certains de ces textes ont été faits sur mesure pour l’ancien président et son clan mafieux. Ils privilégient l’économie de copinage, sont largement dépassés et peu encourageants aux investisseurs.

Le retard mis dans la révision de ces textes par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) est inexplicable voire préjudiciable, car le pays a un lancinant besoin d’investissement créateurs d’emplois pour résorber le fléau du chômage, alors que ces chers députés prennent leur temps, comme s’ils ont l’éternité pour eux.

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