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Emploi : Le fiasco organisé

Dialogue-national-pour-emploi

Le Premier ministre et son gouvernement n’arrêtent pas de chercher des solutions au problème de l’emploi et ne trouvent que des problèmes sans solution.

Par Yassine Essid

Georges Clémenceau avait déclaré un jour : «Quand on veut enterrer une décision, on crée une commission». On peut ajouter à ces sages propos d’autres types de vains exercices politiques tels que l’organisation de groupes de travail destinés principalement à éluder les vrais problèmes tout en donnant l’impression qu’on s’en occupe, qu’on se remet dans l’axe sur ce qui reste la priorité essentielle de la population : l’emploi.

On peut égrener sans fin la constitution d’événements, aussi fugaces et trompeurs, destinés à trouver les solutions à un problème devant lequel les gouvernements successifs s’étaient retrouvés, malgré leurs fermes promesses électorales, parfaitement démunis.

On a vu ainsi se succéder la mise en place de comités, dialogues, rencontres, discussions et débats. On a assisté aux multiples congrès, états-généraux, sommets et manifestations de leur suivi. On a entendu, enfin, des dirigeants réitérer des engagements et des déclarations célébrées avec éclat. Autant de processus participatifs et inclusifs associant toutes les organisations et tous les partenaires sociaux. Mais on a vu surtout le désenchantement faire suite à l’enthousiasme, la désillusion succéder à l’emballement. Sans oublier de mentionner l’occasion pour les éternels insatisfaits de tirer à boulets rouges sur tous les gouvernements.

La question lancinante du chômage

Ces pompeux événements qui se clôturent très souvent par des «feuilles de route», des «documents de référence», des «recommandations», des «propositions innovantes», dont l’impuissance et l’inutilité sont aujourd’hui généralement reconnues, avaient tous à un moment ou à un autre eu pour objet la résolution de la question lancinante du chômage qui revêt une acuité particulière surtout en l’absence de toute forme d’assistance sociale des personnes inactives.

Pour l’actuel gouvernement, qui a déjà reconnu avoir tout tenté malgré l’imagination débordante de ses scénaristes qui n’ont pas cessé de plancher sur une nouvelle péripétie de la série glorieusement titrée cette fois «dialogue national sur l’emploi», le bilan demeure dérisoire. Car on a beau se retourner le cerveau, rien ne sort et il faut être sacrément présomptueux pour prétendre, comme l’affirme le chef du gouvernement Habib Essid, «s’engager à mobiliser tous les moyens nécessaires à la mise en œuvre de la déclaration de Tunis pour l’emploi» sans s’attaquer au préalable à la spirale qui a conduit et aggrave l’effondrement social du pays.

En démocratie, l’accès à l’emploi est le lieu d’observation des inégalités sociales. C’est autour du travail qu’apparaissent la majorité des conflits, qu’ils soient politiques ou sociaux, car les individus sont plus que jamais définis par la place qu’ils occupent dans le système productif. La Tunisie est de plus en plus un pays coupé en deux : entre ceux qui possèdent un emploi et ceux qui croupissent dans le chômage sans perspective, sans proposition d’avenir, y compris pour les plus diplômés d’entre eux.

Bien que théoriquement défini comme démocratique, le pays n’arrête pas d’afficher tous les stigmates du sous-développement : le manque d’audace et d’autorité du gouvernement, l’archaïsme de l’administration, l’immaturité de la classe politique et son inexpérience, la dégradation de la qualité de vie, la déliquescence plus que préoccupante du niveau de formation scolaire et universitaire, la persistance de la crise financière et économique, la fragilisation du financement du secteur public et bien d’autres maux encore.

Les vraies questions sont ailleurs

La démocratie représentative qu’on n’arrête pas de célébrer, et qui a ses masques et ses dérives, ne se limite pas à déposer un bulletin dans une urne. Elle est par-dessus tout un moyen de conquêtes sociales, source et arbitre de rivalités politiques. L’enjeu n’est donc pas d’obtenir des droits mais de tenter de peser sur les orientations de la société. Cela suppose que les acteurs sociaux puissent construire une représentation avérée d’eux-mêmes. Or, créer un climat favorable, qui soit en mesure d’enrayer l’envolée sans précédent du chômage de façon naturelle et durable, ne se limite pas à un catalogue de recettes éculées, mais demande une mobilisation générale de tout le pays, une conscience et une reconnaissance publique quant à l’état des lieux sans travestissement de la réalité, sans mensonge ni tromperie du gouvernement et de ses partenaires sociaux.

Certes, le chômage est source de pauvreté, de précarité, de déviations sociales. Il constitue un risque de désocialisation de même que la dégradation des perspectives d’emploi affecte la famille dans sa cohésion. Mais tout cela est connu et largement traité par les sociologues. Et si les solutions manquent malgré tout c’est peut-être que les vraies questions sont ailleurs.

Avant d’exalter le travail comme un état de réalisation de soi, de satisfaction et d’épanouissement de l’individu, il faut rappeler qu’il est avant tout moyen de survie et générateur de richesses. C’est encore plus vrai dans un pays manquant de ressources minières avec en sus des secteurs clefs pour le développement économique aujourd’hui largement sinistrés.

Aussi, est-il inutile d’être expert pour reconnaître qu’on devrait commencer par demander un effort rigoureux et efficace à ceux qui possèdent déjà un emploi. L’administration est devenue un refuge de planqués, de fonctionnaires indolents sans autre motivation que d’arriver après l’heure et partir avant l’heure, sans aucune notion de ce qu’est le service public qui est d’être disponible et agréable envers tout citoyen. En somme demander des sacrifices à condition, cela va de soi, de réduire drastiquement les privilèges à commencer par une plus grande justice fiscale, une application et un respect scrupuleux de la loi, toute la loi, sans formalités inutiles, sans débats interminables et sans bavardages infinis.

Encourager l’emploi c’est aussi maîtriser les dépenses publiques en bannissant les gaspillages et les dépenses inutiles, en améliorant et en adaptant les formations, car ce que les employeurs craignent le plus ce sont les déconvenues de recrues incompétentes.

Alors forcément, le Premier ministre et son gouvernement n’arrêtent pas de chercher des solutions au problème de l’emploi et ne trouvent que des problèmes sans solution.

La protection des fainéants et des ennemis du travail

Par ailleurs, il serait inconcevable pour le gouvernement de réformer le marché du travail sans mettre à contribution les partenaires sociaux. Il est vrai que ce sont les patrons qui décident d’embaucher ou de débaucher. C’est là le privilège de tout employeur. Mais les patrons ne sont pas des dieux dotés de la capacité de créer des emplois par un coup de baguette magique. C’est l’activité économique qui leur confère les moyens d’embaucher ou pas.

Quant aux syndicats, tout dépend de quel côté on appréhende la question. Le syndicalisme est un espace qui offre aux travailleurs une expression et une action collective en défendant les mesures qui contribuent à une société plus égalitaire et à une paix sociale durable. Mais, depuis 2011, de collaborateur le syndicat est devenu résistant, voire une entrave aux investissements productifs par l’encouragement de comportements qui nuisent à l’économie. Une meilleure couverture syndicale, sollicitée et applaudie, devient alors contre-productive et, de moteur de progrès social le syndicat se transforme en protecteur des fainéants, d’ennemis du travail, de la performance et de la réussite.

Tant que le gouvernement refusera de reconnaître que le pays peine à faire décoller sa croissance, suite à des difficultés plus structurelles que conjoncturelles, le chômage des jeunes continuera à battre des records et on continuera à servir les mêmes potions relatives à de réformes salvatrices. Annoncer une mesure pour la énième fois, même si elle est positive, n’en fait pas une mesure nouvelle.

Par ailleurs, comment faire accepter des réformes musclées nécessairement impopulaires à un peuple ignorant des évolutions du monde? En lui racontant tout simplement des bobards ! Car celui qui veut noyer le poisson passe le temps à philosopher le chômage sans tenir compte de facteurs déterminants, telle que la mondialisation, détachant la question de l’emploi des mentalités, des groupes sociaux, des contextes culturels, de l’histoire et sans référence à la variété de ses formes concrètes selon les sociétés, les cultures, les civilisations.

Alors par quel bout prendre le problème? Difficile à dire quand on voit que les erreurs de casting touchent surtout les têtes pensantes du gouvernement.

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