Accueil » Migrations : Une île artificielle au large de la Tunisie

Migrations : Une île artificielle au large de la Tunisie

Europe-In-Africa

En guise de solution du problème migratoire, l’architecte hollandais Theo Deutinger propose le projet «Europe en Afrique», une île artificielle, au large de la Tunisie.

Par Marwan Chahla

Même avec ses efforts les mieux intentionnés, l’Union européenne (EU) se trouve dans l’incapacité la plus totale à faire face à une crise migratoire d’une ampleur historique sans précédent : son très médiatisé arrangement diplomatique qui consiste à fermer à double tour le passage migratoire par la Grèce et la Turquie vers les pays de l’Europe de l’est n’y a rien changé, puisqu’il a involontairement poussé les réfugiés à emprunter des voies encore plus périlleuses les menant d’Afrique du nord et à travers la Méditerranée.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), durant la seule dernière semaine de mai dernier, au moins 1000 réfugiés ont trouvé la mort dans leur tentative à traverser la Grande bleue.

L’EIA serait à l’image de l’antique Carthage

Ces trois ou quatre dernières décennies, le dilemme migratoire a été d’une complexité telle qu’un nombre incalculable de solutions ont été imaginées. Très certainement, la plus osée d’entre ces suggestions consiste à construire une île artificielle au large de la Tunisie qui servirait à accueillir ces «damnés de la Terre» du 21e siècle.

Cette idée téméraire a été soumise récemment par Theo Deutinger, qui dirige le cabinet d’architecture et de design hollandais TD, basé aux Pays bas – pays qui possède une expérience certaine en matière de création artificielle de masses terrestres.

La TD s’est depuis quelque temps taillé une réputation internationale solide pour ses travaux pratiques et théoriques qui portent très souvent sur des questions liées à la mondialisation.

Theo Deutinger a baptisé son projet ‘‘L’Europe en Afrique’’ (Europa in Africa, EIA) qui a déjà un site web flashy qui met largement en évidence ce slogan: «la première ville véritablement européenne.»

L’EIA, selon ce projet de la TD, serait une ville-Etat établie sur une bande étroite de fond marin séparant les zones économiques exclusives tunisienne et italienne en Méditerranée.

Selon le plan proposé par Deutinger, l’UE louerait ce territoire à la Tunisie et l’Italie, sous un contrat d’une durée de 99 ans, et construirait ce nouveau pays «qui sera doté de sa propre constitution, sa propre économie et son propre système social» et qui sera sous protection de l’UE. L’architecte néerlandais suggère que cette ville soit à l’image de l’antique Carthage…

Expliquant son projet au ‘‘Washington Post’’ (‘WP’), Deutinger a indiqué que l’EIA serait la première ville à faire partie de l’Europe sans faire partie d’aucun Etat-nation européen. En outre, elle serait liée par les termes de la constitution européenne – une loi fondamentale continentale qui n’a jamais pu voir le jour… «Ainsi, l’Europe en Afrique servirait également de banc d’essai pour une Union européenne qui, ces derniers, est soumise à de très dures épreuves», écrit Deutinger, dans une correspondance électronique au ‘‘WP’’.

Le patron de TD souhaite que l’établissement de son EIA se fasse sur la base d’une synthèse de ce que les deux continents possèdent de meilleur. Il déclare que les réfugiés prenant part à ses cours de langue ont tous appuyé, sans aucune réserve et avec beaucoup d’enthousiasme, cette idée. «Mon projet a été accueilli très positivement, puisque l’EIA se situe dans une zone climatique dont la plupart des réfugiés et migrants sont originaires», explique-t-il. «Ceci est un détail d’une très grande importance, ajoute-t-il, car il s’avère que, dans la majorité des cas, les réfugiés avec lesquels j’ai eu à travailler se plaignent de la difficulté de l’apprentissage de la langue du pays d’accueil, de l’indifférence ou de leur rejet par les populations locales, mais également du climat en Europe… Rendez-vous compte qu’il y a des années où un pays comme la Hollande ne connaît pas de saison estivale!»

Europe-In-Africa-2

Plan de l’île artificielle Europe en Afrique dessinée par l’architecte hollandais.

A l’image de ce que les pionniers ont fait des Etats-Unis

L’EIA serait conçue pour accueillir toutes les personnes qui souhaitent s’y installer: que ce soient les boat-people qui défient chaque jour le danger de mort en tentant de traverser sur leurs embarcations de fortune la Méditerranée ou les réfugiés économiques qui sont à la recherche de la petite chance d’un nouveau départ dans la vie…

Des navettes navales régulières relieraient l’EIA au continent africain pour transporter les candidats à l’installation sur l’île artificielle. Les arrivants ainsi débarqués, qu’ils soient réfugiés ou migrants, auraient une chance à l’emploi. «Ce serait à l’image de ce qui a été fait aux Etats-Unis, lors de l’édification de cette nouvelle nation, aux 18e et 19e siècles, lorsque les villes et les villages pionniers construisaient l’avenir de la superpuissance que nous connaissons aujourd’hui.»

Les habitants de l’EIA auront automatiquement la nationalité UE, après 5 années de résidence et de loyaux services rendus à leur pays d’adoption.

En théorie, l’idée de l’EIA peut être séduisante mais, sur le plan pratique, le projet de Deutinger pourrait s’avérer irréaliste pour de nombreuses raisons…

Fondamentalement, il y a un important obstacle philosophique: la raison pour laquelle les réfugiés et autres migrants souhaitent s’installer en Europe tient en ce simple désir de connaître une vie meilleure. A tort ou à raison, ils croient que cette meilleure existence ne se trouve que sur le Vieux continent, et ils sont prêts à prendre les risques les plus fous et les plus mortels pour atteindre ce rêve. Par conséquent, la question majeure reste de savoir si l’EIA est capable de procurer cette certitude du mieux-être.

Theo-Deutinger

Deutinger est conscient des faiblesses de son projet.

Deutinger est conscient des fragilités de son projet et des reproches que sa chimérique EIA suscite. C’est ainsi qu’il a fait appel à un groupe de chercheurs et d’étudiants de l’Université d’Eindhoven afin d’étoffer encore plus ce concept de ville-Etat, de façon à lui donner plus de substance et pour en faire un véritable plan international de sauvetage humanitaire…

La dure réalité qui s’opposerait obstinément au rêve d’une EIA serait surtout politique. Les priorités de l’UE sont ailleurs et la volonté politique pour soutenir pareil projet manquera toujours. Theo Deutinger reconnaît qu’il a soumis son projet à plusieurs politiciens hollandais, mais ils ont tous refusé de faire parvenir le message à Bruxelles. Il espère que l’opinion publique pourrait l’aider à faire entendre sa voix auprès des décideurs de l’UE. Pour l’instant, cela semble être un raisonnement simpliste et naïf.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.