Youssef Chahed doit tenir encore quelques jours face aux gesticulations des dirigeants des partis. Son gouvernement, remanié ou pas, passera haut la main.
Par Salah El-Gharbi
Face aux diverses pressions et aux surenchères politiques, le chef de gouvernement désigné Youssef Chahed a préféré arrêter le marathon infernal des négociations en dévoilant, samedi, la liste tant attendue des membres de son futur gouvernement, mettant ainsi tout le monde devant le fait accompli, quitte à négocier, dans une position plus favorable, des aménagements ultérieurs, pour calmer la «ministrite aiguë» qui frappe la classe politique tunisienne.
Paradoxalement, autant les consultations et les négociations à propos de la formation de l’équipe gouvernementale étaient rudes, autant la présentation de la liste ne cesse, depuis trois jours, de susciter des réactions, souvent polémiques, qui alimentent, à leur tour, les tensions.
Durant les deux semaines écoulées, on n’a assisté qu’à des manœuvres politiciennes, parfois pathétiques, toujours au nom de «l’intérêt supérieur du pays». Ces journées marathoniennes pour Youssef Chahed, dominées par le vacarme médiatique, constituent un révélateur des méandres de notre vie politique et, par conséquent, l’occasion pour les observateurs de bien apprécier le degré d’immaturité et d’amateurisme des dirigeants des partis politiques.
Ainsi, on comprend bien que Youssef Chahed, adhérant à l’esprit du «Document de Carthage», issu des consultations ayant abouti à la formation d’un gouvernement d’union nationale, ait voulu élargir le spectre des sensibilités politiques, pour former ainsi un gouvernement d’ouverture et, surtout, sans esprit d’exclusion. Or, en politique, les bonnes intentions ne suffisent pas.
En cherchant associer Echâab, Al-Massar et Al-Joumhouri, des partis «fantômes» sans assise parlementaire digne de ce nom et qui n’ont qu’une existence médiatique, qu’espérait Chahed sinon s’aliéner certains de ses alliés et susciter des polémiques stériles? Qui trop embrasse mal étreint. Aujourd’hui, les trois partis concernés continuent de fanfaronner, directement ou indirectement, pour tirer profit de cette aubaine que le «futur» chef de gouvernement.
La seconde mauvaise surprise des tractations reste l’attitude frondeuse de Slim Riahi, président de l’Union patriotique libre (UPL), troisième force parlementaire après Nidaa Tounes et Ennahdha et qui était leur allié dans le gouvernement de coalition dirigé depuis février 2015 par Habib Essid. M. Riahi, qui a été le premier à avoir salué, avec un grand enthousiasme, la désignation de Youssef Chahed, ne trouve pas de bon goût que son zèle n’ait pas été apprécié à sa juste valeur. Et au lieu de se montrer coopératif, il ne cesse, depuis samedi, de parasiter les efforts du chef de gouvernement désigné, sans que l’on sache exactement ce qu’il lui reproche, puisqu’il ne cesse de dire que son parti n’est pas attaché aux portefeuilles ministériels.
La troisième surprise est venue de la position de Nidaa, un parti qui nous surprend chaque jour un peu plus. Au lieu de faciliter la tâche de leur camarade, les Nidaistes ont fait preuve d’infantilisme politique patent, durant et après les négociations. A Nidaa, pour un «oui» ou un «non», on peut démissionner du groupe parlementaire. L’épée de Damoclès est constamment levée, parfois, pour des raisons peu sérieuses. Faute de personnalité charismatique capable d’imposer un minimum de discipline et d’une culture du débat, on a recours à la facilité. Est-il raisonnable de quitter le parti uniquement par solidarité avec Said Aïdi, ministre de la Santé sortant non retenu dans la nouvelle équipe, au prétexte qu’il était un «bon ministre» et qu’il a été empêché de mettre en route les réformes?
Certes, M. Aidi est un homme intègre et compétent, mais qui manque de savoir-faire politique. Sa gestion, plutôt rigide, de la grève à l’hôpital de Sfax a montré son incapacité à imposer effectivement ses décisions avant que la situation ne s’enlise…
De même, la solidarité avec Abdelaziz Kotti, porte-parole de Nidaa, déçu de n’avoir pas réalisé le rêve de sa vie, qui est de devenir ministère de l’Agriculture, a-t-elle des limites.
A cet égard, on a été médusé face aux réactions dépitées d’Issam Mattoussi et autres députés mécontents de Nidaa, qui se sont comportés d’une manière irresponsable en menaçant de démissionner. Même si l’on comprend que ces femmes et ces hommes soient venus à la politique par accident, en tout cas pour la plupart d’entre eux, on doit les appeler à faire preuve de plus de sagesse et d’humilité. Qu’ils regardent du côté de Monplaisir, siège du parti Ennahdha, où l’on a manœuvré habilement, négocié sereinement, pour se réunir et discuter des résultats, calmement, malgré les divergences opposant les différentes sensibilités réunies au sein du mouvement islamiste.
Durant les deux jours qui restent avant son passage devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour solliciter le vote de confiance, Youssef Chahed sera encore sous pression, harcelé par les mécontents de tous bords.
Empêtré dans d’interminables négociations serrées, il sera ballotté entre le nécessaire respect des intérêts supérieurs de l’Etat et les impératifs qu’impose le jeu politique dans un système politique parlementaire encore balbutiant. Sa capacité de persuasion dépendra de la fermeté qu’il montrera face aux uns et aux autres, qui seront, de toute façon, obligé de voter la confiance, les Tunisiens ne pouvant plus souffrir plus longtemps leurs tiraillements. Il va falloir remettre le pays sur les rails, et le plus tôt serait le mieux.
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