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Pourquoi suis-je parti de la Tunisie ?

tunisienne
Impressions libres, libertines et libertaires d’une Tunisie plus fantasmée que réelle, après un récent séjour au pays natal.

Par Brahim Gaies *

Elle m’a quitté après 27 ans de jambes en l’air: tantôt les miens tantôt les siens. C’était une matinée ensoleillée de février. Elle me l’a fait savoir par son rouge à lèvres, rouge-sang de passion, excentrique, vulgaire et coquin : «Je te quitte. Je m’intéresse à des hommes qui n’ont pas la même valeur que toi. Des hommes gominés, flingueurs, avec des costards à la Marlon Brando dans ‘‘Le Parrain’’. Des mafieux qui n’ont pas froid aux yeux. Plein aux as. Des hommes excitants : beaux, bêtes et riches. La perfection, quoi… Loin de toi. Tu n’es même pas un putain de barbu. Un pieux. Un croyant, sans contradictions, avec toutes les certitudes reposantes du monde. L’un de ces hommes sûrs auxquels on peut faire confiance, sur lesquels on peut se reposer. Qui savent posséder et tenir une femme. Ces hommes bêtes et disciplinés. Qui doutent et ne critiquent pas. Qui désirent, envient mais ne baisent pas à l’usure puisqu’ils sont souvent à quatre pattes, pour le saint devoir de la prière… Tu n’es pas assez pour moi : assez puritain, assez traditionnel, assez malin… Tu es trop : marxiste, contradictoire, libertin… Tu n’as rien à m’offrir avec tes sales bouquins de merde : ni amour, ni gloire, ni beauté… Va-t-en loin de moi : tu ne m’impressionnes plus… En fait, tu ne m’as jamais impressionnée : même le jour où tu criais mon nom dans mes rues ensanglantées, tu n’étais même pas capable de me faire jouir… Pitre-homme !».

Elle était tellement dure avec moi, moi le fruit de ses entrailles. La chair de sa chair. Moi qui fantasmais sur ses voisines du nord sans jamais la tromper. Moi qu’elle n’a jamais aimé comme j’avais envie qu’elle aime. Moi qui aime l’aimer, l’écrire et la décrire. Moi qui adorait ses plaines, ses arbres qui marchent la nuit et son eau-de-vie. Moi qui succombe à sa musique, ses rires, ses désirs et ses folies. Moi …

J’ai fini par être jeté, vomi par le grand poisson qui m’a avalé trois jours et trois nuits. Et j’ai atterri entre les cuisses de l’une de ses voisines. La plus tendre de toutes. La plus sexy, sans doute, émancipée et froide. La plus cultivée, intelligente et colorée. Voisine tellement aimable que j’ai failli en faire mon amour. Sauf que, hélas, elle ne manque pas de me dire que je suis une belle fausse note. Un bel-étranger. Quelle poisse !

Je reviens de temps à autre à mon premier amour, à cette vaniteuse, chiante et charmeuse, pour récolter une poignée de jalousie.

Je suis jaloux de ses hommes, barbus et gominés. Ils la prennent chaque jour par derrière et par devant. Ils sont partout en elle, pullulés dans des concentrations éparpillés. Je les jalouse parce qu’ils ne souffrent pas son désir. Je les jalouse parce que je bande encore à la vue de ses seins bleus mouillés à odeur salée… Je les jalouse parce que je l’aime encore.

* Doctorant tunisien résident à Paris.

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