Le commerce de la friperie est important en Tunisie car beaucoup de citoyens y recourent pour s’habiller, mais il reste très mal organisé et mérite qu’on y mette de l’ordre.
«Bien sûr, je m’inquiète quand j’entends parler d’une loi qui touche à la fripe ! J’achète presque tous mes vêtements des friperies, non seulement parce que c’est moins cher que le prêt-à-porter, mais je les trouve aussi de meilleure qualité», a déclaré Salma à l’agence Tap.
Arrivée, tôt le matin, au marché municipal de la Cité Ibn Khaldoun à Tunis, la jeune fille fait un simple calcul pour expliquer son choix. «Les chaussures neuves coûtent au moins 45 dinars, s’usent très vite et ne sont même pas confortables, alors que je peux utiliser celles d’occasion, moins coûteuses, à 20 ou 25 dinars, toute l’année», ajoute-t-elle.
Près de 90% des Tunisiens, découragés par les prix exorbitants du prêt-à-porter et souvent déçus par le manque de choix, achètent des vêtements d’occasion, importés principalement d’Europe.
La Tunisie importe annuellement, plus de 80.000 tonnes de vêtements usagés qui sont répartis sur plusieurs dépôts dans toutes les régions du pays, selon la Chambre nationale syndicale des commerçants grossistes fripiers.
La semaine dernière, les commerçants de gros des vêtements d’occasion ont menacé de mener une grève générale pour protester contre un projet de loi imposant l’importation de vêtements d’occasion semi-triés. Cette annonce a suscité des réactions de la part des citoyens et des vendeurs.
Ali Belhaj, vendeur de vêtements d’occasion depuis 17 ans, estime que le projet de loi annoncé est une «grosse erreur». «S’ils comptent organiser le secteur, qu’ils donnent des autorisations en bonne et due forme et sanctionnent ceux qui ne paient pas les taxes imposées», déclare le sexagénaire, pas très certain de ce que prévoient les autorités. «Ce sont des milliers de familles qui se nourrissent de ce secteur, chaque étal dans ce marché (Cité Ibn Khaldoun) emploie, au moins, 4 personnes», ajoute ce commerçant qui exerce ce métier depuis 17 ans. «Il faut créer des emplois et non pas supprimer des emplois existants», enchaîne-t-il, inquiet.
D’après Fethi Bozrati, président de la Chambre syndicale nationale des importateurs-exportateurs et récupérateurs des vêtements d’occasion, environ 2000 commerçants détaillants de vêtements d’occasion exercent actuellement sans autorisations.
Restructuration rime avec augmentation des prix
Pour le président de la Chambre nationale syndicale des commerçants grossistes fripiers, Sahbi Maâlaoui, importer du semi-trié c’est évidemment augmenter les prix à tous les nivaux. «Si l’on augmente les prix en important que du semi-trié, il n’y aurait plus d’intérêt ni pour l’acheteur ni pour le commerçant», a-t-il affirmé. «Le secteur assure 200.000 emplois et nourrit environ 200.000 familles», précise-t-il.
Un autre vendeur de vêtements d’occasion accuse les barons de la friperie et des sociétés de commerce d’être les initiateurs de ce projet de loi. Le jeune homme, maîtrisard en mathématiques, exerce ce métier depuis 8 ans et avoue qu’il y a «des bons et des méchants». «Ils veulent s’emparer de cette activité qui fait vivre des milliers de personnes. Déjà, les taxes ne sont pas organisées et les friperies ne sont pas gérées uniquement, par les municipalités, il y a des barons qui font la loi», lance le vendeur.
Les vêtements d’occasion, indispensables pour des milliers de Tunisiens
Imen, une jeune étudiante estime que la fripe est devenue indispensable pour des milliers de familles. «Oui, il y a les vêtements de marques prestigieuses en Tunisie, mais ils sont intouchables et leurs prix hors de portée de la classe moyenne», a déclaré la jeune femme. «S’ils vont interdire l’importation de vêtements d’occasion, ils créeraient davantage de chômeurs alors qu’on en a assez partout dans le pays», ajoute-t-elle.
Selon la Chambre nationale syndicale des commerçant grossistes fripiers, le projet de loi prévoit la création de sociétés commerciales pour l’importation de vêtements d’occasion «semi-triés» destinés aux usines bénéficiant du régime des dépôts industriels. «Cette loi interdira aux actuelles sociétés importatrices l’importation des vêtements d’occasion et ouvrira la voie à d’autres sociétés commerciales. Elle sera une menace pour le secteur dont le chiffre d’affaires est estimé à 120 millions de dinars par an», a affirmé aux médias le président de cette chambre.
Pour sa part, le ministère de l’Industrie et du Commerce a démenti, mercredi, dans un communiqué, l’information sur l’interdiction de l’importation des vêtements d’occasion, sans donner davantage d’explications.
«Le projet de loi n’est pas encore parachevé», a affirmé Faten Belhadi, directrice du commerce intérieur au ministère, citée par l’agence Tap. «Nous avons juste défini les principaux objectifs assignés à ce projet de loi mais nous n’avons pas encore élaboré le texte», a-t-elle ajouté.
Le projet vise, particulièrement à organiser le secteur, à garantir la transparence des transactions et à assurer la libre circulation des professionnels, a-t-elle précisé, en faisant savoir que l’élaboration de ce projet de loi a été recommandée aussi bien par les services de la douane que par les professionnels du secteur qui revendiquent la révision du décret en vigueur.
Restructurer le secteur pour dissuader l’évasion fiscale
Pour l’ancien ministre du Commerce Mohsen Hassen, «le secteur de la friperie, investi par les intrus, n’est pas organisé. La corruption y sévit et l’évasion fiscale y est estimée à 100 millions de dinars tunisiens (MDT)».
«Bien que les données officielles font état d’un secteur qui regroupe 288 commerçants de gros, 3689 commerçants de détails, et environ 10.000 travailleurs exerçant sur le terrain (dont la moitié uniquement bénéficie d’une couverture sociale), le nombre effectif des personnes opérant dans ce secteur est beaucoup plus important», a ajouté M. Hassen à l’agence Tap.
Les investissements réservés à cette activité, qui compte 47 entrepôts industriels autorisés, s’élèvent à environ 100 DMDT, a-t-il dit, ajoutant que ce secteur joue un rôle économique et social très important puisqu’il représente le fondement de l’économie solidaire. Quant à ses défaillances, l’ancien ministre a cité, particulièrement, une faible valeur ajoutée, une faible rentabilité fiscale (13 MDT uniquement en 2013) et l’évasion fiscale (100 MDT en 2013), outre des difficultés au niveau du contrôle douanier et l’importance des déchets générés (126.000 tonnes détruits en 2013).
Afin de faire face à ces problèmes, l’ex-ministre a recommandé l’organisation de ce secteur, en se mettant d’accord avec les professionnels sur la nature du régime à adopter. Il a proposé aussi d’annuler le recours à une autorisation du gouverneur pour exercer ce métier et d’opter pour la libre circulation des professionnels.
D’après lui, les vendeurs de vêtements d’occasion ne doivent pas être contraints à exercer leur métier dans un gouvernorat bien précis.
Source : Tap.
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