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La Tunisie sur le long chemin de la démocratie locale

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Les citoyens tunisiens sont-ils assez mûrs pour prendre part activement à la préparation du Plan annuel d’investissement participatif au niveau de leur commune ?

Par Hatem Mliki *

Ironie de l’histoire : le seul chapitre de la constitution tunisienne ayant fait l’unanimité, soit le chapitre 7 réservé au pouvoir local, reste toujours sous l’emprise de l’embargo des politiques, le veto des parlementaires et le black-out des médias.

Malgré tout, l’espoir de doter les citoyens de structures locales démocratiquement élues prenant en main les affaires des communes et régions et soumis aux principes de la transparence, participation et contrôle citoyen fait toujours vibrer la majorité des Tunisiens.

Les outils de la démocratie participative

Entre-temps le «rêve» de cités propres, de trottoirs réservés au piétons, d’éclairage public sans faille, de raccordements aux réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement, fonctionnels et accessibles à tous, de marchés propres et installés dans des espaces adéquats, d’espaces verts, de place publiques, d’espaces de sport, culture, jeunesse, enfance et autres attractifs et fonctionnels… et plein d’autres projets pouvant changer le quotidien des Tunisiens pour passer à la créativité, l’investissement, l’emploi, la cohésion sociale… se font toujours attendre.

Mais loin des calculs et spéculations des politiques autour des élections locales et depuis janvier 2014, date de l’adoption officielle de la constitution, une initiative du ministère de l’Intérieur, tutelle des collectivités locales, s’est organisée. Elle avait pour objectif de concevoir le mode opératoire de l’article 139 stipulant que les collectivités locales doivent adopter les outils de la démocratie participative pour leurs programmes d’investissement.

Cette initiative, matérialisée par l’arrêté du ministre de l’Intérieur du 16 mai 2014 portant lancement du Programme d’investissement communal (PIC) participatif, œuvre depuis pour apporter les réponses adéquates.

Pour le collectif d’experts impliqué dans ce processus, la problématique posée par l’article 139 est beaucoup plus complexe que le simple fait de remplacer la présence des citoyens à la session préliminaire prévue par la loi organique des communes de 1975 et que ces dernières employaient, à juste titre d’ailleurs, comme alibi pour s’acquitter moralement de leurs engagements envers les citoyens. En effet cette procédure colle parfaitement au dispositif national de planification en vigueur basé sur l’arbitrage.

De manière très simple les communes étaient tenues de préparer «leurs copies» de PIC qui sera retravaillée au niveau régional et central où le montant définitif de ressources budgétaires allouées à chaque commune et la liste des projets retenus seront décidés.

C’est là une logique de système centralisé où la responsabilité des communes, régions et nation reposait essentiellement sur la «clairvoyance» de l’Etat central qui, maître à bord, se faisait aider par des cellules locales minuscules pour décider de ce qui doit être fait dans chaque coin du pays.

Pour une participation citoyenne effective

Le résultat des premières réflexions engagées était clair et sans appel : l’introduction d’une participation citoyenne effective au sens de la démocratie participative signifie la refonte du système dans son ensemble et passera obligatoirement par une revue du processus décisionnel et donc des procédures en vigueur.

Primo la démocratie participative repose sur des processus de concertation et de participation directe à la décision, connue sous le nom de co-décison, qui supposent que les communes ont la main sur leurs ressources financières d’une part et peuvent en disposer librement de l’autre. A défaut, toute implication de la population au sens de la démocratie participative ne peut qu’engendrer une déception, voire des tensions, touchant significativement la crédibilité des communes et compromettant leur relation future avec les citoyens.

En regardant les choses de près les finances communales on constate qu’elles sont composées de ressources propres, de subventions de l’Etat et de prêts que les communes peuvent contracter auprès de la Caisse des prêts et de soutien des collectivités locales, couramment appelée la Caisse. Tous ces éléments doivent être connus par les communes avant de se livrer à toute forme de participation. Les citoyens auront ainsi un cadrage financier clairement défini des moyens que leur commune peut mettre à leur disposition en vue d’investissement.

Secundo et une fois que les programmes communaux d’investissement arrêtés avec la population, plus question de les soumettre à d’autres instances pour apporter des modifications. Ce principe de libre administration, prévu par la constitution, doit être strictement respecté. L’implication des gouverneurs et ministères, dits de tutelles, doit donc être revue et contenues dans le processus avec un leadership exclusif des communes sur la décision.

Tertio et en absence d’arbitrage des autorités centrales le débat autour des besoins d’investissement au niveau de chaque commune doit être organisé. L’élément fondamental qui peut éclairer les parties-prenantes, commune et citoyens, sur les enjeux des PIC étant une connaissance précise et objective de la situation actuelle des infrastructures dans le territoire de la commune.

Or nos municipalités ont l’habitude d’un aperçu sommaire qui cache une grande disparité entre les différents quartiers qui composent la ville. Ce n’est un secret pour personne nos communes sont pour la majorité entre quartiers dotés de niveaux d’infrastructures complètement inégaux allant de quartiers dits chics à des bidonvilles à leurs frontières.

Une logique de zoning, c’est-à-dire un découpage de la commune en zones homogènes en termes d’infrastructures, doit donc être à la base du processus afin de connaitre les disparités entre les zones et d’engager les investissements dans une logique d’inclusion, d’équité, péréquation et discrimination positive en faveur des populations marginalisées.

Enfin le processus de participation de la population à la formulation des programmes d’investissements communaux doit garantir une implication réelle, et non formelle, aux décisions prises sans remettre en cause l’autorité locale et sa légitimité. Une équilibre souvent difficile à réaliser vu l’historique de rupture entre les deux parties qui a marqué leurs relation pendant des décennies.

Pour y arriver le projet PIC Participatif s’est penché, depuis 2014, sur l’élaboration de guides financier, technique et participatif. Ces trois manuels pratiques ont servi à la formation d’environ 250 accompagnateurs techniques et financiers parmi les cadres des communes tunisiennes. Plus de 320 facilitateurs parmi les activistes de la société civile ont également été formés sur l’approche de participation citoyenne aux investissements municipaux. Ces accompagnateurs e facilitateurs sont actuellement mis à la disposition des 264 communes pour mener à bien la préparation du Plan annuel d’investissement (PAI) participatif 2017.

Impliquer davantage la société civile

L’expérience «à blanc» de 2016 a également permis de nourrir la mise en place d’un processus d’élaboration d’un PAI Participatif. Quatre principales recommandations ont surgies de l’évaluation organisée en mai 2015 : (i) la préparation du PAI Participatif nécessite une période allant de 3 à 4 mois; (ii) il faut mettre en place au sein des communes une structure responsable du pilotage du processus; (iii) les organisations de la société civile présentes sur le territoire de la commune doivent être impliquées davantage et considérées comme partenaires de la commune au processus et non pas invitées comme participation aux réunions publiques et enfin une campagne de communication doit être organisée par la commune pour s’assurer d’une participation significative et représentative.

Le processus d’élaboration du PAI Participatif 2017 actuellement en cours dans les 264 communes, pour lequel plus de 570 accompagnateurs sont mobilisés, a été engagée depuis le début du mois de septembre dernier. Il prévoit une phase préparatoire articulée autour de la mise en place d’une unité PAI au sein des communes, une réunion de concertation avec la société civile locale, une réunion de sensibilisation du personnel municipale, le découpage de la commune en zones et l’élaboration d’une stratégie de communication.

Cette première phase sera suivie d’une étape de diagnostic technique basé sur le découpage (zoning) réalisé et financier permettant de connaitre les ressources financières que la commune peut mobiliser pour ses investissements en 2017. Les conseils municipaux seront ainsi appelés à se réunir pour prendre connaissance de tous ces éléments pour décider de l’affectation des ressources financières par zone. Une décision qui sera présentée, expliquée et discutée avec la population dans une grande réunion publique pouvant, en cas de désaccord, allant jusqu’au vote citoyen comme application pure et simple de la démocratie locale.

Actuellement, nos communes sont, pour la plupart, en phase préparatoire et alors que les réunions publiques sont pour la majorité prévues pour les semaines à venir tous ceux qui ont participé à ce projet ambitieux n’ont qu’une seule question : est ce que les citoyens seront au rendez-vous? Est-ce que les Tunisiens vont mettre de côté leurs querelles pour assister à des réunions publiques et discuter des besoins prioritaires de leurs villes? Allons-nous assister à de véritables réunions publiques où nos affaires locales et la situation de nos quartiers seront discutées? Sommes-nous réellement à la hauteur et digne de cette démocratie participative que nous avons réclamée?

Affaire à suivre…

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