Trois corps de métier, avocats, magistrats et enseignants, animent l’actualité et accentuent le malaise général dans un pays, la Tunisie, où ils constituent des boulets de fer.
Par Mohamed Ridha Bouguerra *
«Tout ce qui est excessif est insignifiant», c’est là une phrase que l’on prête, généralement, à Talleyrand, homme politique français du XIXe siècle. Elle pourrait s’appliquer, en ce moment, aussi bien aux gesticulations dérisoires de certains de nos avocats qu’à quelques incompréhensibles décisions de justice rendues dernièrement ainsi qu’aux slogans indignes de cadres éducatifs et lancés par des membres du corps enseignant à Bab Benat, mercredi 30 novembre 2016, devant le ministère de l’Education, à l’adresse de leur ministre Néji Jalloul.
Le patriotisme à l’épreuve du corporatisme
Notons, tout d’abord, que des défenseurs de la veuve et de l’orphelin, tout autant que des instituteurs et professeurs de collèges et lycées, n’ont pas hésité à manifester au moment où la finance internationale avait Tunis pour capitale durant deux jours et alors que le gouvernement s’évertuait à présenter la meilleure image possible de notre pays afin de le promouvoir comme une destination des plus attractives pour l’investissement.
C’est dire que le patriotisme n’étouffe pas ces gens au corporatisme foncièrement égoïste !
Les avocats, après avoir manifesté, la semaine dernière, devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), au Bardo, avaient, en effet, décrété trois jours de grève, à compter du lundi 29 novembre, avec sit-in à l’intérieur des tribunaux dans le but de faire revenir le gouvernement sur des mesures décidées dans la loi de finances de 2017. Mesures, précisons-le, qui tiennent compte de propositions présentées par l’Ordre des avocats même, comme une mise au point de la ministre des Finances vient de le révéler.
Mais la lutte contre la fraude fiscale et l’instauration de plus de transparence vis-à-vis de l’impôt ne semblent pas du goût de la basoche et de la gent de robe. D’où ces débordements de protestations hebdomadaires qui commencent à sérieusement lasser le public qui s’interroge: mais qui a peur de plus de transparence quand il s’agit du devoir fiscal? À se demander si nos honorables avocats ne font que défendre leurs seuls intérêts ou bien s’ils ne cherchent, en réalité, qu’à atteindre, par leur acharnement revendicatif, d’obscures et inavouables visées politiques?
Des objectifs plus politiques que syndicaux
Les enseignants ont, eux, afflué en masse des quatre coins du pays, le deuxième jour de la Conférence internationale sur l’investissement, Tunisie 2020, et ont crié, sous les fenêtres de leur chef hiérarchique, le fameux «Dégage!».
De doux noms d’oiseaux que l’on n’aurait pas imaginés dans la bouche de nos éducateurs, ont visé le ministre de tutelle qui a été traité de «lâche», «collabo», «bourreau» et d’autres qualificatifs encore moins séant !
Les Mastouri Gammoudi et autres Lassaad Yacoubi, secrétaires généraux des syndicats du Primaire et du Secondaire soignent, par là, leur carrière de dirigeants syndicalistes et se préparent ainsi au congrès de l’UGTT qui aura lieu dans quelques semaines. Car ce rassemblement – qui se voulait de masse et pour lequel des bus ont été affrétés afin de convoyer les enseignants de l’intérieur vers la capitale – avait davantage d’objectifs politiques que syndicaux. Il s’agissait, essentiellement, pour les organisateurs de cette manifestation de mettre à mal, voire de saboter la réforme de notre système éducatif élaborée par M. Jalloul.
Sans être un fan de ce dernier – dont les ambitions politiques doivent être aussi grandes que celles syndicales des MM. Gammoudi et Yacoubi –, il n’en demeure pas moins que l’on se doit de reconnaître que toute réforme et toute innovation bousculent, immanquablement, de tenaces conservatismes et de paresseuses routines ainsi que des habitudes réfractaires au vent du changement et à celui de l’innovation.
M. Ghannouchi, président d’Ennahdha, le parti conservateur religieux, et grand réformateur devant l’Éternel comme chacun sait, ne vient-il pas de souffler sur les braises en appelant à une «pause» quant à la réforme engagée par le ministère de l’Éducation nationale et entrée en vigueur cette année? Et l’opinion publique lassée et inquiète pour le devenir de nos enfants de se demander : mais qui a peur de la réforme de notre enseignement sinistré?
Les syndicalistes responsables de ces grèves à répétition, qui ébranlent depuis trois ans notre système éducatif en prenant nos enfants en otage, seront jugés par l’Histoire comme étant les grands pourvoyeurs en élèves des établissements privés aux dépens de l’école publique dont ils sont les vrais démolisseurs.
De louches desseins politiques et, davantage encore, idéologiques semblent ici entrer en jeu et jouer avec le devenir non seulement des générations futures mais du destin même de la Tunisie !
Nelson Mandela n’a-t-il pas dit, à juste titre, que «l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde»? Ceux qui ambitionnent nous ramener des siècles en arrière ne l’entendent certainement pas de cette oreille et préfèrent, sans doute, maintenir le statu quo en s’accrochant à un système éducatif devenu obsolète.
Ainsi, le politique et l’idéologique croient pouvoir se dérober aux regards sous la blouse de l’enseignant et du syndicaliste ! Que nenni ! Car, aujourd’hui, s’il y a un domaine qui vit une révolution permanente, c’est bien celui de l’enseignement et du savoir. Ici, celui qui n’avance pas régresse ! Celui qui n’innove pas et refuse le changement ne peut être qu’un conservateur attaché au passé et dispensant un savoir mort et insignifiant. Nul besoin d’insister davantage car les tenants de ce savoir momifié sont connus de tous.
Une justice dit-on indépendante
Quand on aborde le monde des tribunaux et de la chicane, cela ne va pas toujours sans risques comme nous l’enseignent certaines affaires en cours et où se trouve engagé le sort de journalistes et de syndicalistes sécuritaires. Car le juge tient solidement en mains un glaive capable de dissuader les plus téméraires. Par prudence donc, il ne s’agit pas de commenter ici de récentes décisions de justice mais de simplement les rappeler et c’est au lecteur d’en tirer les conséquences qui s’imposent.
À Sousse, comme l’on sait, les présumés accusés dans l’affaire de feu Lotfi Nagdh ont été libérés et la justice a été incapable de désigner les meurtriers de celui qui fut publiquement lynché à Tataouine le 18 octobre 2012 et que les prétendues Ligues de protection de la révolution (LPR), milices islamistes violentes, avaient qualifié d’adversaire à abattre. Un cadavre dans la rue et pas d’assassins donc ! No comment ! Indépendance de la justice oblige !
À Nabeul, des peines allant jusqu’à quatorze ans de prison ferme ont été prononcées, par contumace, le 12 octobre 2016, à l’encontre de onze jeunes qui ont pris part à une manifestation à Kélibia, le 7 février 2013, suite à l’assassinat, la veille, de feu Chokri Belaïd. Ils ont été reconnus coupables de désobéissance civile et d’incendie d’un local du parti Ennahdha. Il n’y a eu, en la circonstance, ni blessé ni mort. Cherchez l’erreur ! Comprenne qui pourra !
À Nabeul encore, un an de prison est le verdict qui vient de conclure, en première instance, le procès du meurtrier de la jeune dentiste qui a été ravie, au début de cet été, à l’affection de ses deux enfants de trois et de six ans et de tous les siens.
Rappelons que la victime a été tuée sur le coup par un véhicule tous terrains conduit sur la plage, en infraction avec la réglementation en vigueur, par un jeune qui a, en outre, blessé l’époux de la jeune femme. Vous avez quelque chose à dire ? Voyez la pétition qui circule en ce moment sur le Net et qui, en vue de l’appel qui vient d’être interjeté par la famille de la victime, espère que la justice ne tuera pas Hager une troisième fois !
Dure est l’époque où ce qui est exagéré et excessif devient une norme à respecter et qui, de gré ou de force, s’impose à tous !
Les Romains nous ont légué une maxime que certains verraient bien comme une vérité éternelle et immuable : dura lex, sed lex, à savoir, la loi est dure, mais c’est la loi! La loi, cependant, peut, également être, hélas, injuste par excès de retenue ou de sévérité.
Talleyrand l’a bien dit : «Tout ce qui est excessif est insignifiant».
* Universitaire.
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