Après l’attentat de Berlin, le gouvernement allemand s’efforce de durcir ses lois relatives à l’immigration. La Tunisie, l’Algérie et le Maroc sont dans le collimateur.
Par Janosch Delcker *
L’aile conservatrice de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti de la chancelière Angela Merkel, s’active à faire adopter une loi, actuellement bloquée par l’opposition, qui désignerait la Tunisie, l’Algérie et le Maroc comme «pays d’origine sûrs». Une telle classification de ces trois pays d’Afrique nord permettrait aux autorités allemandes de rejeter plus facilement les demandes d’asile des ressortissants de ces pays comme étant «manifestement infondées.»
A la recherche d’un terrain d’entente
Armin Laschet, vice-président de la CDU, a déclaré que son parti souhaite que soit mis fin à ce blocage parlementaire, en janvier 2017.
Certains critiques estiment que même si la Tunisie avait été désignée comme «pays d’origine sûr», cela n’aurait nullement empêché l’attaque du marché de Noël de Berlin, cela n’aurait pas aidé à la capture du suspect Anis Amri, personne reconnue par les autorités allemandes comme étant «un élément radical», ou cette appellation n’aurait jamais pu accélérer les démarches de son expulsion vers la Tunisie.
«Même si [les conservateurs de la CDU de Merkel] avaient désigné le monde entier ‘pays d’origine sûr’, cette attentat aurait eu lieu», a déclaré Konstantin von Notz, vice-président du groupe des Verts au Bundestag. «Ceci est une manœuvre de diversion», accuse-t-il.
Ce qui sous-tend ce débat, pour l’essentiel symbolique puisque, en tout état de cause, peu des demandes d’asile tunisiennes, marocaines ou algériennes ont été approuvées, c’est une lutte politique au sein de la direction du gouvernement sur la réponse à apporter à cette angoisse croissante qui a saisi le pays au lendemain de l’attaque terroriste du 19 décembre 2016, qui a coûté la vie à 12 personnes et blessé 53 autres.
Durant les deux dernières années, l’Allemagne a classé 6 pays – l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Macédoine, le Kosovo et la Serbie – comme étant des «pays d’origine sûrs.»
Depuis près d’un an, la CDU d’Angela Merkel et son parti frère bavarois, l’Union chrétienne-sociale (CSU), tentent de faire pression pour que les pays du Maghreb soient eux aussi ajoutés à cette liste, expliquant que pareille mesure accélérerait la procédure d’expulsion et découragerait d’autres migrants à chercher refuge en Allemagne.
«Cela a marché avec les demandeurs d’asile des pays des Balkans, pourquoi cette solution ne fonctionnerait-elle pas pour la Tunisie ou le Maroc?», s’interroge Laschet.
Angela Merkel sur un toit brûlant.
Sur fond de montée de l’extrême-droite
Depuis la décision très controversée de Merkel d’ouvrir temporairement les frontières allemandes aux réfugiés bloqués en Hongrie, fin 2015, la résistance à sa politique de la porte ouverte n’a cessé de monter. Le parti d’extrême-droite anti-immigrants Alternative für Deutschland (AfD) a progressé de 4 à 12% d’opinions favorables, dans les sondages. De plus, la décision de Merkel a envenimé les relations de sa CDU avec la CSU en Bavière, traditionnellement plus conservatrice.
Bien que la chancelière allemande ait changé de discours et durci les règles de l’obtention d’asile, ses alliés bavarois n’ont jamais cessé d’être parmi ses critiques les plus virulents, exigeant, par exemple, qu’un plafond soit fixé au nombre de migrants autorisés à entrer en Allemagne – ce qu’Angela Merkel rejette toujours.
Le dossier des demandeurs d’asile maghrébins est devenu un thème central du débat politique en Allemagne l’an dernier, lorsque des centaines de femmes se sont plaintes d’avoir été sexuellement agressées, durant la nuit de la Saint Sylvestre 2016 à Cologne et dans d’autres villes allemandes. Après enquête, il s’est avéré que près de 900 infractions à caractère sexuel ont été commises ce soir-là et que la plupart de ces délits ont été imputés à de jeunes ressortissants algériens, marocains et irakiens.
Peu après ces incidents, le gouvernement a entamé l’élaboration d’une mesure légale déclarant le Maroc, l’Algérie et la Tunisie «sûrs». Cette proposition «devait signifier qu’il ne valait plus la peine de déposer de demande d’asile», a expliqué un haut responsable du ministère de l’Intérieur de la Saxe, le land allemand où les demandeurs d’asile tunisiens se sont majoritairement installés.
En mai 2016, la Chambre basse du parlement allemand, où les conservateurs de CDU détiennent la majorité des sièges avec les sociaux-démocrates, a adopté cette loi. Cependant, ce projet a été bloqué par la Chambre haute du législatif allemand, où l’opposition des Verts a plus de poids, car cette nouvelle disposition légale exposerait les demandeurs d’asile déboutés à la persécution et la violation de leurs droits humains –surtout lorsqu’il s’agit dissidents politiques ou de personnes appartenant à la communauté homosexuelle.
Depuis cette date, donc, le législatif allemand n’a pas été en mesure d’entreprendre la moindre action sur ce dossier de l’immigration. A peine quelques heures après l’annonce de la tuerie du marché de Noël de Berlin, la CSU a réitéré ses appels à un changement de la politique migratoire allemande. «Nous devrions réfléchir sérieusement sur cette question et revoir de fond en comble nos politiques migratoire et sécuritaire», a lancé le président de la CSU en Bavière, Horst Seehofer, ajoutant : «Il y va de notre responsabilité envers les victimes; nous nous devons de faire cela également au nom des nombreuses autres personnes qui ont été affectées par cette tragédie et au nom de toute la population de notre pays.»
La CDU et la CSU sont conscients qu’elles ont tout intérêt, à l’approche des élections fédérales de septembre 2017, à résoudre leurs querelles politiques si elles veulent éviter de perdre des voix en faveur de l’AfD montante ou de toute autre formation politique tentée d’exploiter l’inquiétude des électeurs allemands face au risque terroriste, désormais réel en Allemagne.
Déclarer les pays du Maghreb des «pays d’origine sûrs» ne serait, en définitive, qu’une des solutions à la grave crise des réfugiés que traverse l’Allemagne. Pourtant, les Verts s’y opposent. «L’Union est en train d’exploiter cette attaque pour imposer ses choix politiques, alors que, en réalité, l’attentat perpétré par Amri n’a rien à voir. Il n’a pas été renvoyé non pas parce que la Tunisie n’était un ‘pays d’origine sûr’, mais parce qu’il n’avait les papiers d’identité nécessaires», déclare von Notz des Verts.
Le cas d’Anis Amri est venu démontrer de manière indéniable l’importance de la coopération allemande avec les pays destinataires des demandeurs d’asile déboutés. Pour le vice-président de la CDU Laschet: «Nous devrions exercer une pression plus forte sur les pays qui refusent de recevoir leurs ressortissants. Et c’est là le travail du ministre des Affaires étrangères: l’on souhaite que ce dernier fasse preuve de plus de conviction dans cette mission qui est la sienne.» Cette critique est adressée à Frank-Walter Steinmeier, le chef de la diplomatie allemande social-démocrate dont le parti sera en concurrence contre la CDU d’Angela Merkel, aux élections de l’an prochain.
Les immigrés ne sont plus bienvenus en Allemagne.
Montée de la criminalité
En mars dernier, il pouvait sembler qu’une solution a été trouvée à cette problématique question des demandeurs d’asile nord-africains déboutés et que l’Allemagne avait du mal à renvoyer dans leurs pays d’origine. Thomas de Maizière, le ministre fédéral allemand de l’Intérieur, s’est lui-même déplacé dans les trois pays du Maghreb pour discuter les termes de cet arrangement. De retour au pays après sa tournée maghrébine, de Maizière a qualifié les accords conclus avec la Tunisie, l’Algérie et le Maroc de «véritable avancée», qui va permettre d’accélérer les démarches d’expulsion…
En effet, ces derniers temps, le nombre des extraditions vers les pays du Maghreb a crû, même si ces expulsions ne représentent qu’une fraction minime du nombre de demandes d’asile refusées. Pour Ulf Küch, le vice-président de la BDK, le syndicat de la police fédérale allemande, «ils [les responsables allemands] prétendaient que le problème était définitivement résolu. Or, le fait est là: rien, en réalité, n’a changé; nous en sommes toujours au même point.»
Selon les chiffres officiels, en novembre dernier, il y avait près de 9.000 personnes originaires des trios pays du Maghreb dont la demande d’asile a été refusée – et qui résidaient illégalement en Allemagne. Sur ce total, 6.200 – soit plus des 2/3– ont bénéficié d’une suspension de leur expulsion hors d’Allemagne, pour «dossier incomplet», notamment par manque de document authentifiant leur nationalité.
Tel était le cas, semble-t-il, d’Anis Amri.
Durant les 11 premiers mois de 2016, 111 demandeurs d’asile tunisiens déboutés ont été déportés vers la Tunisie, en comparaison avec 17 en 2015, selon le ministère allemand de l’Intérieur. Le nombre de Marocains expulsés est monté de 61 à 99, pendant la même période, et de 57 à 140, pour les Algériens.
Les autorités allemandes souhaitent aussi donner la preuve de leur sérieux sur le terrain de la lutte contre la criminalité au quotidien.
De manière générale, le crime en Allemagne n’a pas progressé, suite à l’afflux de plusieurs centaines de milliers de réfugiés, depuis l’automne 2015. Sur à peu près 2 millions de crimes en tous genres commis en Allemagne en 2015, 6% ont été imputés à des personnes migrantes –c’est-à-dire, moins que la proportion des personnes nées à l’étranger par rapport à la population totale allemande, qui est de 10%.
Cependant, les demandeurs d’asile maghrébins représentent «un cas particulier.»
Alors que seulement 2% du nombre total des demandeurs d’asile sont originaires de la Tunisie, d’Algérie et du Maroc, 14% des crimes des migrants récemment installés en Allemagne sont commis par des ressortissants de ces trois pays maghrébins, selon le rapport 2015 de la BKA, la Police criminelle fédérale allemande.
Ulf Küch s’insurge: «Il s’agit bien plus que du terrorisme. Il est question de pickpockets, de vols à l’étalage, de cambriolages et autres délits mineurs. Ces sont ces infractions quotidiennes et leur nombre importants qui inquiètent la population allemande.»
Le décor est donc planté pour les élections allemandes de 2017 et les thèmes de la campagne sont également bien définis. La compétition électorale se jouera sur le terrain du terrorisme, de l’insécurité, de la recrudescence de la criminalité (?) et du trop-plein migratoire que les Allemands ne supporteraient plus.
Traduit de l’anglais par Marwan Chahla
*Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
Source: ‘‘Politico’’.
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