Le temps n’est plus où le public de Tunis faisait taire les rares perturbateurs qui dans les tribunes chahutaient les hymnes nationaux des équipes adverses.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le public du Club Africain (CA) s’est déchaîné après un match amical contre le Paris Saint-Germain (PSG) et une fois encore ce sont les installations sportives, et en filigrane, l’image de marque du pays, qui ont en pris un coup. Il s’agissait d’une initiative, qui s’est avérée malheureuse, de la société qatarie Ooredoo, en collaboration avec le président du PSG, Nasser Al-Khelaifi.
La coupe a débordé
Pourtant tout avait bien commencé, et pour faire bonne mesure, une école de football du PSG avait été inaugurée le matin même par le joueur d’origine tunisienne Hatem Ben Arfa qui avait fait vibrer la corde sentimentale en invoquant son retour dans la patrie de ses parents.
Hatem Ben Arfa a fait vibrer la corde sentimentale.
Le manager du club parisien et ex-star du football néerlandais Patrick Kluivert avait exprimé son contentement dans un français très approximatif et des perspectives de partenariat prometteuses avaient été évoquées.
Et si le match (il fallait quand même en parler) s’est déroulé comme prévu, avec une supériorité technique nette du club français jouant sans forcer son talent, auquel répondaient par intermittence des coups de boutoir du CA, ce dernier devait sombrer en fin de partie corps et biens en encaissant deux buts supplémentaires après en avoir encaissé un premier au cours de la mi-temps initiale. Et c’est alors que la furia des supporters se déchaîna dans les gradins, et les organisateurs prirent alors la sage décision d’annuler la remise de la coupe (il y en avait bien une), parce que celle du public avait déjà débordé.
Dîner gala la veille du match.
Cette fureur avait elle pour origine la prestation plutôt médiocre mais néanmoins prévisible du CA face à un adversaire le surclassant sur tous les plans? Nullement. Les bagarres ont apparemment pris une connotation politique locale, entre les partisans et les adversaires du… Qatar et du rôle qu’à tort ou à raison d’aucuns lui attribuent dans tous les événements qui ont secoué le pays depuis Janvier 2011.
Le président Nasser El Khelaifi s’est ainsi trouvé la cible de l’hostilité du public en tant que symbole de l’impérialisme de son pays. Méritait-il cela? On ignore encore si certaines de ses déclarations n’ont pas été montées en épingle pour mettre le feu aux poudres, mais on peut se poser la question de savoir en quoi la présence du PSG, club phare de la capitale française, sur la pelouse, aurait pu symboliser une quelconque présence du Qatar, même si les propriétaires en sont des citoyens.
La PSG Academy fait rêver les footballeurs en herbe tunisiens.
En Angleterre où le public n’est pas particulièrement réputé pour son esprit pacifique, il n’y a jamais eu d’actes de violence contre le club de Chelsea parce que son propriétaire Roman Abramovich, pourtant un ami proche du président Poutine, était de nationalité russe et que la Russie menait une guerre en Ukraine contre un gouvernement soutenu par le Royaume Uni.
Le plus étonnant de la part des anti Qatar, présents dans le stade de Radès, c’est qu’ils se soient déplacés pour débourser le prix conséquent du billet et assister à une rencontre organisée par la société Ooredoo, officiellement Qatari, dont pourtant personne dans ce pays n’avait appelé à organiser le boycott.
Nasser Al-Kelaifi et Slim Riahi avant le match.
Les guéguerres du football
Encore une fois, le public sportif dans ce pays se voit obéir à des pulsions irrationnelles ou à des mots d’ordre dont il ne perçoit pas les vrais enjeux, et ceci rappelle à certains égards les actes d’hostilité que dans les années 60 ou 70 les régimes politiques d’obédiences différentes particulièrement en Afrique organisaient contre les équipes représentants les nations peu estimées, en visite pour des compétitions internationales, à l’instar du public nigérian jetant des morceaux de pain sur le terrain lors d’une rencontre contre l’Ethiopie. Ou encore en Amérique Latine, avec la guerre déclenchée par un match de football entre le Salvador et le Honduras.
Des gens imprévisibles et prêts à s’enflammer pour des mauvaises raisons, de la mauvaise manière, au besoin en se trompant de cible, il y en a eu à Radès. Des spectateurs à la sortie du match avaient usé de l’argument de la lutte des classes, en déclarant à l’une des radios locales que leur intention avait été de rappeler à Nasser Al-Khelaifi que le football demeurait un sport pour les pauvres; un argument sans doute recevable si Slim Riahi avait été un digne représentant du prolétariat…
Un match qui fait des victimes.
Le temps n’est plus où le public de Tunis, connu pour sa sportivité exemplaire à travers le continent, faisait taire les rares perturbateurs qui dans les tribunes chahutaient les hymnes nationaux des équipes adverses.
Il faudrait peut-être que les responsables du stade de Radès se décident une fois pour toutes à démonter les chaises et les strapontins qui servent de projectiles, et à les remplacer par des bancs en bois soudés au ciment par le biais d’armatures en fer, ainsi que cela se faisait naguère dans les stades. Sinon à laisser le public debout sur le sol cimenté. Peut-être cela aiderait-il à calmer les nerfs les plus excitables.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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