Si, six ans après l’avènement du «printemps arabe», la révolution tunisienne s’est maintenue contre vents et marées, il y a de nombreuses raisons à cela. Décryptage…
Par Aida Bouchadakh *
Nous nous rappelons tous sans doute de ce jour mémorable où des Tunisiens et des Tunisiennes, de tout bord politique, se sont rassemblés devant le ministère de l’Intérieur et ont crié de tout cœur «Dégage !» à un régime scélérat qui les avait bridés pendant des décennies.
Le peuple tunisien, après de longues années de soumission et de compromissions, a enfin pris son courage des deux mains et affronté son bourreau. La peur a fini par changer de camp et le dictateur a fui le pays.
Ce jour-là, le peuple tunisien a gagné ses galons sur la scène internationale. Il est devenu l’exemple à suivre… et aussi, pour certains, l’ennemi à abattre.
Seule la Tunisie a survécu au marasme
En peu de temps, l’histoire s’est accélérée. Les peuples se sont réveillés… en Egypte, au Yémen, en Libye et en Syrie… les contre-révolutionnaires se sont concertés… et le terrorisme s’est développé … C’est qu’il faut tuer dans l’œuf l’espoir d’un renouveau démocratique.
L’idée que le peuple puisse disposer de lui-même et profiter de ses propres richesses dérange.
L’Egypte, qui avait suivi les pas de la Tunisie, a vacillé et la dictature s’est de nouveau installée, plus implacable qu’auparavant. Le Yémen s’est déchiré, la Libye s’est divisée et la Syrie est déchiquetée.
Seule la Tunisie a survécu au marasme qui a embrasé le monde arabe. Mais si la révolution tunisienne s’est maintenue contre vents et marées, c’est pour de nombreuses raisons.
D’abord parce que la Tunisie se distingue par un taux d’alphabétisation élevé, résultat d’une politique de scolarisation massive qui a débuté dès l’indépendance sous la présidence de Bourguiba et bien avant… et qu’il convient de préserver… Or, une population éduquée est peu encline à suivre les dérives des illuminés de tous poils… et ces derniers sont bien nombreux… Il y a ceux qui se croient investis d’une mission divine … et ceux qui estiment être les vrais démocrates… même si résultats des urnes ne leur donnent pas raison et qu’ils voudraient zapper les résultats des urnes.
Ensuite, l’armée n’a pas un poids prédominant et ne contrôle pas les rouages de l’économie, comme c’est le cas en Egypte et en Syrie… et donc les risques de coup d’Etat sont moindres que sous d’autres cieux.
Enfin, des contre-pouvoirs, suffisamment puissants se sont constitués, d’ordres politique ou civil et citoyen, qui ont permis d’équilibrer la vie politique et décourager toute volonté d’hégémonie.
Il reste cependant aux élus de prendre conscience de cette donne sociologique, œuvrent pour la pérennité de la démocratie et un meilleur fonctionnement de l’Etat, cessent d’être obnubilés par leur propre carrière et deviennent plus soucieux du bien-être du citoyen lambda, celui-là même qui fait et défait les majorités, au cas où on l’aurait oublié. Ce n’est qu’ainsi, en tout cas, qu’ils pourraient préserver leurs postes.
Pour que demain soit meilleur qu’hier
Aujourd’hui, les Tunisiens ont acquis la liberté d’expression et de rassemblement et quiconque aspire à gouverner la Tunisie doit passer par la case des urnes… Ces deux acquis fondamentaux sont loin d’être négligeables.
Néanmoins, il convient de mieux organiser les inscriptions sur les listes électorales pour ne pas entacher les résultats des prochaines élections.
Par ailleurs, l’enracinement de la démocratie passe aussi par le respect des délais fixés pour les rendez-vous électoraux. Aussi les élections municipales doivent-elles être organisées le plus rapidement possible.
Le processus de décentralisation de l’Etat devrait également être entamé, sous peine de voir les promesses de développement régional demeurer des vœux pieux.
Certes, la révolution tunisienne est loin d’avoir atteint ses objectifs, mais peut-on atteindre des objectifs aussi ambitieux en si peu de temps? A six ans, un enfant intègre à peine l’école primaire, alors que dire d’une nation qui doit se repenser? L’essentiel est d’aller de l’avant et persévérer pour que demain soit meilleur qu’hier.
Une chose est sûre, avec la révolution, les langues se sont déliées et ce qui était caché aux regards refait surface et, à notre stupéfaction, nous découvrons que les enfants ne vont pas à l’école dans certaines régions reculées du pays… et nous constatons aussi que c’est dans les régions les plus mal scolarisées que se développe le terrorisme, une plaie qu’il convient de guérir avec intelligence, dans le cadre de l’Etat de droit et dans le strict respect de la constitution, sous peine de perdre nos maigres acquis démocratiques.
* Economiste.
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