Malgré un début de reprise annoncé par les autorités, le tourisme tunisien est toujours durement frappé par la chute de ses recettes et les défis sécuritaire et économique restent entiers.
Par Francis Ghilès *
En 2015, la Tunisie a subi deux attaques terroristes dévastatrices. Le premier attentat a pris pour cible, le 18 mars, le musée du Bardo et s’est soldé par la mort de 24 personnes, dont 20 touristes étrangers. La seconde attaque, le 26 juin, a eu lieu dans un complexe balnéaire, près de Sousse, où 38 touristes étrangers ont trouvé la mort, y compris 30 ressortissants britanniques. Et il a fallu une heure à la police pour qu’elle vienne à bout de l’assaillant, Seifeddine Rezgui, et qu’elle l’abatte.
Le sauvetage algérien et russe
Le juge Loraine-Smith, en charge de l’enquête sur la mort des touristes britanniques, a livré ses conclusions le 28 février. Il a conclu que les 30 victimes ont été «exécutées en toute illégalité» et estimé que la réaction des forces de l’ordre a été «au mieux incohérente et au pire lâche.»
Pour sa part, le gouvernement britannique n’est toujours pas clairement satisfait des mesures sécuritaires mises en œuvre par les autorités tunisiennes pour éviter que des attaques telles que celles qui ont eu lieu en 2015 ne se répètent.
Depuis l’attaque de Sousse, le Foreign and Commonwealth Office a conseillé aux ressortissants britanniques de ne pas se rendre en Tunisie, sauf pour raisons essentielles, et insiste sur l’interdiction de visiter certaines régions du pays, à savoir les zones frontalières.
Les Britanniques ne sont pas encore clairement satisfaits des mesures sécuritaires mises en œuvre par les Tunisiens.
En 2016, le nombre de touristes qui ont visité la Tunisie a chuté de 50% par rapport à 2015; et les revenus générés par l’activité touristique ont décru dans les mêmes proportions. Il a fallu recourir à des réductions de tarifs défiant toute concurrence pour attirer les visiteurs algériens et russes et sauver un tant soit peu l’industrie touristique.
Ce coup dur a été dévastateur pour l’économie tunisienne: en 2014, l’année qui a précédé les attentats, les recettes du voyage et du tourisme représentaient plus de 15% du PIB tunisien. En outre, le secteur offrait des emplois à un grand nombre de Tunisiens: près de 7% de la population active tunisienne gagnait sa vie dans les secteurs du voyage et du tourisme, et cette proportion atteint presque 14%, si l’on prend en considération les emplois en relation indirecte avec ces activités.
Ainsi, le moindre ralentissement de l’industrie tunisienne du tourisme a retombées sociales significatives. De plus, la moindre perte d’emplois dans le tourisme sera amplifiée par les mesures d’austérité qu’adoptera le gouvernement pour combler le déficit fiscal dont souffre l’économie tunisienne.
L’une de ces mesures, un programme de licenciement de 50.000 fonctionnaires, annoncé le 26 janvier par l’ex-ministre de la Fonction publique Abid Briki, entraînera de toute évidence une hausse du chômage, étant donné que le secteur privé n’est pas suffisamment dynamique pour absorber pareils nombres de demandeurs d’emploi supplémentaires.
Le FMI a décidé de ne pas mettre à la disposition de la Tunisie une deuxième tranche de son prêt, d’une valeur de 350 millions de dollars, prévue en décembre dernier, «en raison du manque de progrès dans les réformes», selon l’institution financière internationale. **
La hantise des «revenants»
De toute évidence, il y a une relation directe entre le phénomène du chômage et la grogne sociale. Et ce mécontentement tend à fragiliser les jeunes Tunisiens et à les rendre plus vulnérables à la tentation radicale.
Malgré la résistance et la solidité de la démocratie en Tunisie et la stabilité relative que connaît le pays depuis le soulèvement en 2010/2011 – pour le moins, en comparaison avec des pays comme l’Egypte, la Libye, la Syrie et le Yémen –, la Tunisie demeure un terrain fertile pour les groupes jihadistes.
Sans nul doute, également, des jeunes Tunisiens ont joué un rôle important dans le jihad et le terrorisme hors des frontières du pays. Selon certaines estimations, près de 6.000 Tunisiens auraient pris part aux combats en Syrie, et ailleurs, où ils ont rejoint les rangs de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (EI) et d’autres groupes extrémistes. Plusieurs d’entre ces jeunes Tunisiens sont originaires de villages du sud et du centre du pays, c’est-à-dire des régions tunisiennes où le chômage est à son plus haut.
Il faut d’abord rassurer les Tunisiens.
Et des Tunisiens ont mené des actes de violence en Europe, plus récemment à Nice, en juillet 2016, et à Berlin, en décembre. L’implication de ressortissants tunisiens dans ces attentats n’a rien fait pour améliorer l’image du pays auprès des touristes et des investisseurs étrangers potentiels. L’on rapporte que plusieurs investisseurs ont fait le choix de s’installer au Maroc, plutôt qu’en Tunisie, en raison des mêmes avantages que les deux pays offrent, à savoir la proximité de l’Europe et une main d’œuvre raisonnablement qualifiée, mais la préférence a été accordée au premier pays car il reste plus sûr que le second…
Près de 800 jihadistes tunisiens qui ont combattu en Syrie sont déjà rentrés au pays. D’autres sont attendus, étant donné que les territoires syriens et irakiens sous le contrôle de l’EI se rétrécissent de jour en jour et l’influence de l’organisation terroriste a sensiblement diminué. La place-forte de Daêch à Syrte, en Libye, a été pratiquement éliminée, mais nombre de ses combattants, y compris de nombreux Tunisiens, ont trouvé refuge dans d’autres régions libyennes.
En Tunisie, l’idée du traitement qui devra être réservé aux revenants du djihad est loin de faire consensus: en décembre dernier, la déclaration du président Béji Caïd Essebsi que, sur cette question, l’indulgence serait la meilleure politique à suivre a suscité un tollé général, obligeant le Premier ministre Youssef Chahed de préciser que les jihadistes qui reviennent au pays seront arrêtés et jugés. Cependant, cette rectification n’a pas apaisé les inquiétudes tunisiennes car, outre les retours connus des jihadistes, il y a aussi le risque grand que ces éléments dangereux reviennent au pays clandestinement pour commettre des attentats sur le sol tunisien.
En définitive, offrir aux gouvernements, aux investisseurs et aux touristes européens les garanties d’une sécurité adéquate reste un défi majeur pour la Tunisie.
Article traduit de l’anglais par Marwan Chahla
* Francis Ghilès est directeur d’étude principal auprès du Centre de Barcelone pour les affaires internationales (Cidob, en anglais).
** La position des experts du FMI a commencé à s’assouplir et la dernière mission d’une délégation de l’institution financière à Tunis, qui a pris fin le 18 avril 2017, s’est terminée sous les meilleurs auspices. Le FMI pourrait mettre à disposition de la Tunisie la seconde tranche d’un prêt convenu en 2016, soit 227,3 millions de dinars tunisiens DT (environ 308 millions de dollars).
***Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
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