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Tataouine : L’Etat dans tous ses états

La visite de Youssef Chahed à Tataouine a été une maladroite incursion et n’a fait qu’échauffer davantage les esprits. Des leçons doivent être tirées.

Par Jomâa Assâad *

Petite leçon de choses : en politique une erreur fatale, s’il en est, à éviter comme la peste: pécher par confusion entre affaire d’Etat et griefs personnels. A moins d’avoir la carrure d’un Roi-Soleil pour pouvoir se permettre la fameuse boutade: «L’Etat c’est moi», pareil amalgame risquerait non seulement d’avoir des conséquences catastrophiques sur la destinée politique d’un novice en plein apprentissage, mais plus grave encore, de mettre l’Etat en situation de péril.

Mauvaise gestion de la crise

Petit rappels des faits : débarquant à Tataouine en messie, le chef du gouvernement fut vertement reçu par la population sudiste. Les bribes d’images qui nous sont parvenues étaient, en effet, assez significatives du courroux des habitants de Tataouine à l’encontre de M. Chahed.

Cédant à un irraisonné mouvement de panique, le chef du gouvernement décréta la brusque interruption du programme annoncé à cor et à cri par une tapageuse couverture médiatique ayant desservi ladite visite plus qu’elle ne l’a servie.

Mauvaise évaluation de la situation de sa garde rapprochée? Problèmes de coordination entre les «experts» sécuritaires des services centraux et l’antenne de Tataouine? Immaturité politique du staff accompagnant le chef du gouvernement? Un peu de tout cela, probablement.

Quoiqu’il en soit de la réalité des faits, une chose est sûre : la volte-face de M. Chahed eut le plus mauvais effet sur son image, galvaudée certes, mais tant souhaitée, d’un volontariste homme de terrain ne craignant pas de se frotter à la foule… fut-elle en état d’ébullition.

La situation pour grave qu’elle était n’en était pas encore arrivée au stade de l’irréparable. Ce qui précipita les choses ce fut la mauvaise gestion de cette crise naissance, due vraisemblablement à une inappropriée identification des points névralgiques du staff de M. Chahed.

A l’évidence, cette visite-étalon, puisqu’elle était censée servir de modèle à une série de visites régionales destinées à tempérer des ardeurs insurrectionnelles de plus en en plus patentes et pas nécessairement innocentes ni totalement spontanées.

Cantonner les causes de ce fiasco au seul plan régional, en limogeant le gouverneur, deux ou trois délégués et quelques responsables sécuritaires locaux reviendrait à pérenniser une réelle fracture entre gouvernants et gouvernés. Et nous risquerions d’aller vers un pourrissement de la situation.

Tataouine

A l’Iset, le chef du gouvernement a eu droit à des cris hostiles: « Dégage! » 

Au retour de cette mission-catastrophe, parce qu’une fois de plus mal planifiée, l’unique attitude, politiquement valide, à adopter était de calmer les esprits en minimisant la portée des faits, regrettables, certes, ayant entaché la visite de Tataouine.

En lieu et place, M. Chahed, une fois de plus, une fois de trop, mal conseillé, a opté pour l’escalade. Démarche totalement inopportune et aux conséquences diamétralement opposées à celles escomptées.

Plus grave encore, le porte-parole du gouvernement s’est emmêlé les pinceaux en débitant un discours creux d’où il ressortait de vagues menaces (contre qui au juste) non située ni dans le temps ni dans l’espace et dénuée de toute approche stratégique.

Au bout du compte, cette maladroite incursion, n’eut pour unique effet que d’échauffer davantage les esprits et, de ce fait, absolument contre-productive.

Nul besoin d’être fin stratège pour admettre que toute intervention musclée dans cette partie du territoire tunisien ne saurait être envisagée sans ouvrir la porte à des risques mettant en péril la sécurité de la nation tout entière.

Tataouine

Après le départ de M. Chahed, les manifestations ont repris de plus belle. 

Les leçons d’une série de ratages

Il est, certes, regrettable que cette réalité recoupe celle annoncée, pour des raisons totalement différentes (que nous qualifieront pudiquement de scandaleuses) invoquées par les syndicats de la garde nationale, mais les risques d’embrasement sont bien réels.

Quelles leçons tirer de cette série de ratages ?

1 – Il serait grand temps pour le chef du gouvernement de se rendre compte qu’il a quelques problèmes à résoudre au niveau de son staff.

2 – Au vu de la constitution, le chef du gouvernement n’a pas à gérer en solo ce genre de dossiers touchant, en partie du moins, la sécurité nationale. La présidence de la république et l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) devraient être parties prenantes dans la gestion de ces crises.

3 – Placer la barre des pourparlers avec la présidence de la république suffisamment haut pour que certaines «initiatives présidentielles» inopportunes ne viennent pas compliquer davantage une situation de crise.

4 – Toute option sécuritaire serait, compte tenu de la situation actuelle, à écarter. Et, de manière plus générale, toute velléité d’escalade, notamment verbale, ne contribuerait pas à la résolution de la crise.

5 – Une meilleure coordination avec les différentes instances de l’UGTT devrait être structurellement mise en place.

Ce faisant, toute mesure touchant à ce dossier devrait être longuement réfléchie et précautionneusement calculée. L’heure est trop grave pour sacrifier aux expériences de laboratoires et autres tours de passe-passe.

* Universitaire.

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