En Tunisie, un pays en transition démocratique, les minorités sexuelles ont encore beaucoup de mal à vivre au grand jour leur différence.
Par Fawz Ben Ali
A l’occasion de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, un collectif de la société civile tunisienne a organisé, le mercredi 17 mai, à la salle le Rio, à Tunis, une manifestation de sensibilisation sur les droits des personnes LGBT.
Le collectif, composé de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), l’initiative Mawjoudin, les associations Damj, Chouf et Adli, avec le soutien de la fondation Heinrich Böll, a tenu à célébrer en Tunisie, comme dans 60 autres pays à travers le monde, cette journée mondiale, fêtée tous les 17 mai de chaque année depuis 2005.
Najma Kousri.
Une priorité parmi d’autres
Les militants tunisiens des droits de l’Homme ont rappelé à travers cette mobilisation leur engagement pour la cause LGBT qui est l’une de leurs priorités, car la Tunisie fait encore partie des 75 pays qui criminalisent l’homosexualité. Aujourd’hui, tous les combats pour l’égalité se valent, ce qui inscrit cet événement dans une perspective globale, celle du combat permanent pour la liberté, l’égalité et la dignité dans un Etat de droit.
Placée sous le signe «News love generation born to resist» (Une nouvelle génération est née pour lutter), la manifestation fût l’occasion de reconnaître que, contrairement aux avancées réalisées en matière de libertés collectives, les libertés individuelles continuent à être bafouées et violées en Tunisie.
Lorenzo.
Entre des lois archaïques et une société qui ne tolère pas la diversité, la transgression de la vie privée des citoyens s’avère une réalité quotidienne dans un pays qui se targue d’être en transition démocratique. Somme-nous alors véritablement dans un Etat de droit? En réponse à cette question, les différents intervenants de cette manifestation restent sceptiques.
Najma Kousri, membre de l’ATFD, a exprimé sa fierté de pouvoir organiser pour la deuxième année consécutive un événement public qui célèbre haut et fort la communauté LGBT en Tunisie. «C’est quelque chose dont on n’osait pas rêver du temps du silence imposé», a-t-elle témoigné, par allusion à l’ère de la dictature de Ben Ali qui a pris fin avec la révolution de janvier 2011. Tout avait commencé au Forum Social Mondial en 2013, organisé à Tunis, un événement qui a déclenché une prise de position et une grande solidarité autour de cette cause qui a depuis beaucoup gagné en visibilité, a rappelé la jeune activiste, qui a tout de même déploré les arrestations, toujours aussi arbitraires et nombreuses, des personnes LGBT, d’où l’urgence d’abroger les articles 226, 226 bis, 227 bis, 230 et 231 du code pénal, souvent utilisés pour réprimer les personnes LGBT.
Khoukha.
D’autre part, Wahid Ferchichi, professeur de droit et membre de l’Association tunisienne pour la défense des libertés individuelles (ADLI), a dressé un état des lieux de la situation des personnes LGBT dans le monde arabe à travers une cartographie des risques qu’ils encourent selon les législations des différents pays.
Si dans certains pays comme l’Egypte, l’Algérie ou la Jordanie, l’homosexualité est passible de prison pouvant aller jusqu’à 5 ans, dans d’autres pays, comme l’Arabie Saoudite, la Mauritanie ou le Soudan, elle est passible de flagellation et même de la peine de mort, une sanction appliquée évidemment aussi par l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech).
Seul mot d’ordre : la lutte
Comme la journée est dédiée cette année spécialement aux transgenres, on a invité sur scène pour l’occasion «Lorenzo», un jeune drag queen qui assume pleinement sa transformation.
Habitué au monde du spectacle, Lorenzo a donné une performance de chant, suivi par un autre cas, «Khoukha» qui, accompagné par Imen Mourali au qanûn, a fait une lecture de textes qu’il avait écrit ces dernières années sur son quotidien en tant que transgenre victime de discrimination et de harcèlement permanents.
Wahid Ferchichi.
De sa part, l’initiative Mawjoudin a proposé un court-métrage rassemblant des témoignages de personnes transsexuels sur les rapports qu’ils entretiennent au quotidien avec leurs familles et avec la société.
Vers la fin de la soirée, le public a pu voir un excellent documentaire réalisé par l’association Damj, donnant la parole à différents acteurs de la société civile. Avocats, médecins, jeunes militants, artistes… sont tous d’accord pour affirmer que les minorités sexuelles en Tunisie ont encore beaucoup de mal à vivre au grand jour; le constat est certes loin d’enthousiasmer, mais la lutte demeure le seul mot d’ordre pour qu’un jour, chaque citoyen, en dépit de ses orientations sexuelles, puisse vivre dignement, sans qu’on vienne interférer dans sa vie privée.
En marge de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, l’association Chouf organise une exposition collective intitulée «Au temps du 230», qui se poursuit jusqu’au 20 mai à Dar Bach Hamba à la Médina de Tunis.
Donnez votre avis