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Ce jour-là : Skhirat, le coup de baraka du roi Hassen II

Le 14 juillet 1971: après avoir décapité l’armée, Hassan II réunit à Rabat la génération suivante des officiers.

La tentative de putsch de Skhirat, en 1971, contre le roi Hassan II du Maroc, fut une tragédie shakespearienne où l’héroïsme le disputa à la traîtrise.

Par Dr Mounir Hanablia *

10 juillet 1971 : un roi qui arrive à retourner en sa faveur en leur faisant réciter des versets du Coran, des soldats venus l’exécuter qui avaient déjà commis un véritable massacre parmi ses invités le jour de son anniversaire dans l’enceinte de son propre palais; un prince découvrant sa poitrine nue face aux armes des soldats mutins surexcités et leur ordonnant de le tuer; des médecins français professeurs de la faculté de médecine de Paris, parmi les plus prestigieux de France, abattus pour avoir porté secours aux blessés; le chef du putsch lui-même abattu dans des circonstances obscures, à ce qu’on dit pour avoir désapprouvé le comportement sanguinaire des auteurs et des exécuteurs du putsch: un général loyaliste abattu pour être allé les mains nues à l’état major de l’armée exiger la reddition du chef des mutins: la tentative de putsch de Skhirat, en 1971, contre le roi Hassan II du Maroc fut une tragédie shakespearienne où l’héroïsme le disputa à la traîtrise.

Les invités du roi fuient le palais de Skhirat. 

Le général Madbouh sur les pas du colonel Kadhafi

Naturellement, derrière tout cela, le colonel Kadhafi, dont le discours populiste anti-impérialiste et panarabe, ainsi que le putsch réussi deux ans plus tôt, commençait à tarauder un certain nombre de généraux marocains. Radio Tripoli, à ce qu’on dit, aurait annoncé le putsch avant même qu’il ne se produise.

Mais comment en était on arrivé à cette situation dans le pays où l’absolutisme royal s’appuyait sur l’armée principalement dirigée par des officiers issus de l’armée française, et sur l’aide de la France et des Etats Unis d’Amérique?

Le fomentateur du putsch, le général Mohamed Madbouh, chef de la maison royale, et directeur du protocole, avait été scandalisé lors de son passage à Washington justement par le degré de corruption qui prévalait dans le sérail, à l’occasion de la discussion d’un contrat se rapportant semble-t-il à Royal Air Maroc, et que l’un de ses contacts américains lui avait dévoilé. C’est en tous cas ce que l’histoire a rapporté.

Si les relations traditionnelles avec Israël ont joué dans la genèse du putsch, à un moment où le monde arabe vivait une véritable humiliation après la défaite de Juin-1967, et où les perspectives de paix étaient oblitérées, personne n’en dira jamais rien.

Les deux principaux conspirateurs: le colonel Ababou et le général Madbouh. 

A son retour au Maroc, le général Medbouh avait contacté le colonel M’hamed Ababou, directeur de l’académie militaire. Connaissait-il ses sentiments anti royalistes? C’est, en tous cas, ce dernier qui conduirait ses 1500 élèves issus des campagnes et des montagnes marocaines à l’assaut du palais de Skhirat, où ce qui leur apparaîtrait comme une forme éhontée d’hédonisme déchaînerait, selon certains, leur comportement sanguinaire.

L’assaut sanglant contre le palais de Skhirat

Après avoir pris le contrôle du palais, Ababou et Medbouh avaient reçu les soutiens d’un certain nombre d’autres généraux préalablement sollicités, commandants des régions militaires du Maroc, et la radio nationale, tombée entre les mains des mutins, avait annoncé l’abolition de la monarchie et la constitution d’une république populaire dirigée par une junte militaire.

La première difficulté pour les mutins avait cependant été constituée par le désaccord qui était apparu entre Ababou et Madbouh, choqué par le caractère sanglant de l’assaut contre le palais de Skhirat, et ce dernier était mort, soit accidentellement, soit par tué par son complice.

Les officiers, qui ont dirigé la révolte de Skhirat, devant le tribunal militaire.

La seconde erreur, la plus lourde de conséquences, serait la décision de Ababou de quitter le palais pour Rabat, la capitale, sans avoir mis la main sur le roi, et de n’y laisser que quelques soldats absolument dénués de tout encadrement. Cela suffirait Hassen II et aux officiers demeurés fidèles, en particulier Bechir Bouhali, un véritable héros qui y laisserait la vie, et Mohamed Oufkir, le nouvel homme fort, pour rétablir en 24 heures une situation très compromise.

Quelques jours plus tard, plusieurs des principaux généraux de l’armée royale seraient jugés et exécutés. Et face au peloton d’exécution, quelques uns lanceraient à Oufkir, venu assister à leur ordalie: «On sait que tu penses comme nous ! La prochaine fois ce sera ton tour.»

Ces paroles prémonitoires se vérifieraient un peu plus d’une année plus tard avec l’attaque du Boeing. Entre-temps, le roi Hassen II, dont le trône avait été ébranlé, avait pensé trouver, en la personne de ce dernier, la personne sur qui il s’appuierait pour surveiller l’armée, la purger et la rappeler à l’ordre. Mais intelligent et doté d’un sens politique très développé, il avait aussi commencé à prendre conscience que, sans une assise populaire réelle, il serait toujours à la merci de ses généraux.

Exécution des mutins de Skhirat, en présence de Hassan II et de Hussein de Jordanie.

Hassen II retient la leçon

C’est pourquoi, fort bien sûr de la volonté divine qui deux fois de suite l’aura élu en lui sauvant la vie, il tentera une ouverture politique, et envisagera sérieusement une démocratisation réelle de la vie politique, en confiant les affaires courantes du pays à des gouvernements issus de l’opposition nationaliste et de gauche, l’Istiqlal, l’UNFP, et même l’USFP.
Il finira même par consolider son trône autour du nationalisme marocain lors de l’affaire du Sahara Occidental, en prenant notamment la tête de la Marche Verte, en 1975.

Reconnaissant, il baptiserait des amphithéâtres des facultés de médecine et des services hospitaliers des noms du cardiologue français Jean Himbert, et du chirurgien Dubois-Rocquebert, tués en secourant les blessés.

C’est exactement cette politique là que son fils Mohammed VI choisirait plus tard de poursuivre avec le succès que l’on sait, pour désamorcer au sein de son propre pays la tempête issue du Printemps Arabe, en 2011, en confiant cette fois les rênes du gouvernement à une autre force politique dans l’air du temps, les islamistes. A d’autres maux d’autres remèdes !

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

 

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