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Noureddine Taboubi renie-t-il le legs de Tahar Haddad ?

Le dirigeant syndical, censé défendre les droits des citoyens, semble renier en même temps l’héritage du pionnier du syndicalisme tunisien Tahar Haddad.

Par Hassen Mzoughi

Que le prédicateur extrémiste Youssef Qaradawi et ses émules de tout bord refusent même d’en parler, on comprend leur mauvaise «foi». Qu’une partie de la classe politique se terre, on comprend sa peur et ses «motifs» terre-à-terre, comme de ne pas heurter les «susceptibilités» d’une partie (islamiste et conservatrice) de l’électorat. Mais que le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, y aille en vrai «baroudeur» de l’establishment sexiste et ségrégationniste, on reste tout de même stupéfait.

L’incompréhensible position de Taboubi

Stupéfait parce que presque cent après Tahar Haddad, pionnier à la fois de l’émancipation féminine et du syndicalisme en Tunisie, Taboubi vient nous dire que l’égalité homme-femme n’est pas d’actualité. Lui, le vieux militant syndicaliste, aujourd’hui patron du plus puissant «parti» tunisien défenseur de l’égalité et de la dignité citoyennes. Voilà qui est, pour le moins, surprenant.

Faut-il rappeler au secrétaire général de l’UGTT, organisation lauréate du Prix Nobel de la paix 2015, l’article 46 de la Constitution, qui stipule : «L’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la femme, les soutient et oeuvre à les améliorer. L’Etat garantit l’égalité des chances entre la femme et l’homme pour assurer les différentes responsabilités et dans tous les domaines. L’Etat oeuvre à réaliser la parité entre la femme et l’homme dans les conseils élus» ?

Faut-il rappeler à Noureddine Taboubi le rôle historique de Tahar Haddad, l’un des pionniers du mouvement syndical tunisien et inspirateur du Code du statut personnel (CSP), promulgué en 1956 et qui a mis les premiers jalons de l’émancipation des Tunisiennes ? Il le faut ans doute aussi!

Tahar haddad appartient, avec Mohamed Ali El Hammi, à la première génération de syndicalistes qui proclamèrent en 1924, la Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT), dont héritera l’UGTT, fondée par Farhat Hached en 1946, et qui fut l’étincelle qui conduira à l’indépendance de la Tunisie, 30 ans plus tard. Son ouvrage ‘‘Les travailleurs tunisiens et la naissance du mouvement syndical’’, paru en 1927, reste une référence historique.

L’UGTT revendique-t-elle encore le legs de Tahar Haddad?

Tahar Haddad, le syndicaliste, a surtout lutté activement en faveur de l’émancipation de la femme tunisienne. Dans son ouvrage majeur, ‘‘Notre femme dans la charia et la société’’, paru en 1930, il prend position contre les préjudices liés au statut des femmes, qui sont, selon lui, injustement attribués à l’islam, et appelle à l’ijtihad (interprétation). Convaincu que la religion islamique peut s’adapter en tout lieu et en tout temps, il montre qu’à l’origine cette religion considérait la femme comme l’égale de l’homme en termes de droits et de devoirs. Il en est ainsi dans le domaine de la propriété privée. Il appelle à l’égalité particulièrement dans le système de l’héritage qu’il juge discriminatoire.

Ses prises de position modernistes sur plusieurs questions sociopolitiques (sans aucune référence à un modèle occidental) essuient un vif refus de la part des franges les plus conservatrices de la société et font l’objet d’une violente campagne de dénigrement des membres du Destour et de la Zitouna, porte-drapeau du conservatisme à cette époque.

Noureddine Taboubi nous rappelle ces ultraconservateurs qui ont dit, à leur époque, que cette égalité est impossible à mettre en place. Partage-t-il l’opinion des anti-Haddad des années 40 ?

Peut être, puisque le dirigeant syndicaliste, qui est censé défendre les droits à l’égalité et à la promotion du citoyen, semble renier en même temps l’héritage humaniste du syndicaliste Tahar Haddad. C’est une position pour le moins contradictoire et qui constitue un écart par rapport à la tradition du syndicalisme tunisienne, qui est, historiquement, sinon «féministe» du moins favorable à l’égalité des sexes.

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