A propos de la réforme des textes matrimoniaux et successoraux se rapportant à la femme proposée par le chef d’Etat.
Par Jomâa Assâad *
Tel un paon en pleine parade amoureuse, Hachemi Hamdi, politicard à ses heures, se parant de ses plus confondants atours, a fièrement annoncé à ses adeptes qu’il en était, d’ores et déjà, à 125.000 signatures à l’appui du décret de «personae non grata» qu’il avait, en toute responsabilité, édicté à l’encontre de Béji Caïd Essebsi (BCE). Motif? Une variante, plutôt scabreuse, du grief d’apostasie dont ses co-disciplinaires et lui-même en sont plus que friands.
Ne point cédant à la désunion
A l’en croire, en appelant à amender certains textes juridiques afin d’assoir l’égalité successorale ente femmes et hommes, le président de la république aurait péché (tiens, un verbe de circonstance!) par anti-constitutionnalité du fait d’avoir contrevenu à l’article 1 de Constitution précisant le caractère islamique de l’Etat Tunisie.
Se prévalant de certains textes du Coran, dont certaines lectures accordent la préséance à l’homme au détriment de la femme en matière successorale. Or, ce faisant, le sieur Hamdi ne faisait pas exception, bon nombre de traditionalistes, pour ne pas dire salafistes «ulémas» («savants» en matière religieuse), ont crié à l’unisson au loup, assurément, par crainte des affres de la Géhenne si, qu’à Dieu ne plaise, l’initiative législative présidentielle en arrivait à voir le jour.
Dans leur empressement de se conformer à ce qu’ils croyaient être des prescriptions divines indubitablement attestées par le sens obvie du Coran, ils contrevenaient à une obligation sinon plus méritoire, du moins aussi explicite.
Le verset 103 de la Sourate «La Famille de ‘Umrân» ne fait-il pas obligation aux musulmans de veiller à leur cohésion en ne point cédant à la désunion?! Or, pareille démarche initiée par M. Hamdi et consorts n’est pas de nature à menacer l’unité nationale?
Nos «modernistes», notamment universitaires, serait-ils moins blâmables, dans leur précipitation d’accourir au secours de l’initiative législative présidentielle, que les précités? Nullement. Les arguties auxquelles ils ont eu recours à l’appui de leurs thèses troubleraient la conscience d’un enfant. Justifiant cette initiative par un souci égalitaire, faisant vaguement référence au postulat de justice divine, ils ont procédé à la manière des «fuqaha’» (juristes musulmans) dont ils ne cessent de décrier la méthodologie, par «qiyâs fiqhî» (analogie juridique). Or, celui-ci, ainsi que l’a brillamment démontré Ibn Rushd (Averroes) ne produit que vraisemblance et opinion (au sens de connaissance doxographique).
L’on serait, en effet, fondé, à se poser la question de savoir pour quelles raisons ce principe de justice divine ne serait-il pas extensibles à certaines dichotomies prétendument irréductibles : riches/pauvres, musulmans/mécréants, pieux/dépravés, savants/ignorants, bienheureux/misérables…?
L’«ijtihâd» du législateur tunisien
Une meilleure connaissance des textes, en la matière, auraient permis, à certains d’entre eux, qui en sont arrivés jusqu’à se targuer du pompeux titre de «philosophes», de bien voir que le Saint Coran ne proscrit nullement le mariage des musulmanes avec les «Ahl al-Kitâb» (gens du Livre) – juifs et chrétiens, notamment. Al-Sharastânî ira jusqu’à étendre cette catégorie à ceux qui ont un semblant de livre («shubhatu kitâbin»), incluant par là-même les manichéens et autres zoroastres).
Quant aux versets relatifs à l’épineuse question de la succession non testamentaire, loin d’être certains («ayât muhkamât»), ils sont au faîte de l’équivocité. Bien mieux, en faisant acte de jurisprudence («ijtihâd») à ce sujet, le législateur tunisien ne ferait que perpétuer une pratique inaugurée dès l’aube de l’islam et, comble de bienheureuse coïncidence, par «ceux qui parmi les musulmans détiennent le commandement» («ûlî al-‘amr minkom», c’est-à-dire les musulmans), à savoir les homologues ancestraux de BCE.
Le détail de ces dernières remarques débordant, à coup sûr, de ce court billet, il fera l’objet d’une publication académiquement documentée.
Pour l’heure, contentons-nous de nous poser la question de savoir si notre «bajbouj» national ne serait-il pas plus soucieux de se conformer aux pratiques du «As-Salaf al-Sâlah» (Pieux devanciers) que les orthodoxes les plus convaincus. Et si BCE s’avérait être, en la circonstance, plus salafiste que les salafistes eux-mêmes?
* Universitaire.
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