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Le déclin de Daêch en Libye et au Levant inquiète la Tunisie

Bombardement américain d’un camp de Daêch à Sabratha, en février 2016. 

La perte de Syrte ne représente pas un coup décisif contre Daêch en Libye ou en Afrique du Nord. L’organisation terroriste pourrait se ressaisir et renaître…

Par Rhiannon Smith et Lachlan Wilson *

Alors que l’organisation terroriste de l’Etat islamique (EI, Daêch) perd sensiblement du terrain en Irak et en Syrie, qu’elle semble battre en retraite sur le terrain de ses nombreuses conquêtes et que les nouvelles d’attentats menés en Europe, dont elle est soit la source d’inspiration ou le commanditaire, sont devenues d’une banalité affligeante, la question de savoir ce que l’EI prépare pour la suite est pertinente.

Repli et dispersion… stratégiques

L’invasion lancée par le groupe terroriste en Libye et qui visait à faire de ce pays une tête-de-pont de son «califat» dans la région a échoué… Cependant, avec ses milliers de combattants tunisiens et autres nord-africains animés par le retour au pays dans un avenir proche, les ambitions du groupe terroriste de consolider sa présence en Afrique du nord sont loin d’être enterrées.

Début 2016, la ville de Syrte était sur le point de devenir de facto la capitale de l’EI hors de l’Irak et de la Syrie. En mai de la même année, l’offensive lancée par les forces alliées au gouvernement libyen d’entente nationale soutenu par l’Onu et appuyée par les frappes aériennes américaines a eu raison, en l’espace de huit mois, de cette présence de Daêch dans cette ville libyenne.

Des milliers de combattants de l’EI ont ainsi fui Syrte avant la défaite finale et se sont dispersés dans les régions avoisinantes et à travers tout le pays. Opérant par petites cellules, ces groupuscules terroristes ont su garder une certaine capacité de nuire leur permettant de défier les autorités locales et de menacer une économie libyenne déjà amplement endommagée, en prenant pour cible l’infrastructure pétrolière du pays.

Les combattants de Daêch qui ont quitté Syrte peuvent également s’infiltrer en Tunisie voisine et associer leurs efforts à ceux de djihadistes tunisiens qui tentent de déstabiliser le pays et de s’y établir.

La ville de Sabratha, ouest de la Libye, à moins de 100 kilomètres de la frontière avec Tunisie, est un point névralgique de l’activité djihadiste et une plaque tournante de la contrebande entre les deux pays. A une époque, le district de Qasr Tahil de cette ville abritait un camp d’entraînement de l’EI, là où Noureddine Chouchane, un des terroristes impliqués dans l’attaque contre le musée du Bardo, en mars 2015, a reçu sa formation.

La liaison dangereuse tuniso-libyenne

Malgré l’offensive aérienne américaine contre ce camp d’entraînement, en février 2016, la présence du groupe terroriste à Sabratha et aux alentours n’est pas finie, ce qui a d’ailleurs contraint le conseil municipal de la ville à créer une nouvelle force de sécurité, baptisée ‘‘Salle d’opération anti-EI’’, pour contrôler la région.

Cette démarche est la conséquence du chaos politique persistant et de la crise économique dans lesquels se débat la Libye, un pays qui, en dépit des nombreuses tentatives de rapprochements et conciliations, se trouve divisé: avec trois gouvernements, deux parlements et une pléthore de milices armées qui revendiquent la légitimité de parler au nom de la majorité des Libyens et s’arrachent le pouvoir.

C’est cet état de confusion totale libyenne qui semble permettre à Daêch, malgré ses déboires territoriaux, de se regrouper dans certaines régions du pays et reprendre l’initiative. Ainsi, la présence de l’organisation terroriste autour de Sabratha offre la possibilité à ses membres de se déplacer avec une certaine facilité entre la Libye et la Tunisie. Il existe, indéniablement, des liens solides unissant les terroristes de Daêch en Libye et des sympathisants de l’organisation terroriste en Tunisie, à la fois aux niveaux organisationnel et individuel.

Depuis les années ’80, des combattants de Daêch venant Tunisie et de Libye ont mené ensemble plusieurs campagnes guerrières à travers le monde. Et ils ont servi, d’une manière ou d’une autre, sous les ordres d’Abou Moussab Al-Zarqaoui, la figure emblématique du terrorisme islamique et fondateur de Daêch.

La Tunisie reste le pays au monde qui détient le triste record d’avoir fourni le plus de ressources humaines à l’organisation terroriste, à savoir 6000 volontaires qui ont rejoint les rangs de l’EI pour combattre en Irak et en Syrie. Avec l’écroulement du «califat du Levant», ces combattants de Daêch seront contraints à mettre fin à leur service à l’étranger pour rentrer au pays. A leur retour en Tunisie, bien évidemment, ils tenteront d’établir des contacts avec les cellules terroristes opérant déjà dans le pays et autres sympathisants…

Le recours à la force n’est pas la panacée

La Tunisie semble être un terrain fertile où l’EI pourrait s’implanter(…) [Certaines sources estiment que les cellules favorables à Daêch] sont actives dans 17 gouvernorats tunisiens, notamment à Sfax et à Sousse, sur la côte est du pays, à Jendouba, proche de la frontière avec l’Algérie, et à Tunis.

Durant les six derniers, le groupe terroriste a mené une demi-douzaine d’attaques en Tunisie (…) Une plus grande activité coordonnée et l’expérience acquise par les membres de Daêch sur le terrain, aux combats en Libye et au Levant, pourraient représenter une menace sérieuse pour la sécurité de la Tunisie.

L’EI a réussi à s’attirer la sympathie de ceux d’entre les Tunisiens qui s’estiment marginalisés et opprimés par le gouvernement de leur pays. L’organisation terroriste pourrait mettre à profit encore plus ce mécontentement et obtenir plus d’appui avec la montée de la grogne sociale. L’agitation sociale, résultante dans une très large mesure de la corruption endémique des institutions tunisiennes et des difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontés de plus en plus de Tunisiens, peut apporter de l’eau au moulin de l’organisation terroriste de l’Etat islamique.

(…) Le recours à la force pour mettre de l’ordre dans le pays ne serait pas, non plus, la panacée. Moins de possibilités pour la liberté d’expression pourraient pousser certaines personnes vivant en marge de la société dans les bras de l’EI.

En somme, la perte de la ville de Syrte n’est donc pas un coup fatal pour Daêch en Libye ou en Afrique du nord. La possibilité pour l’organisation terroriste pour se ressaisir, regrouper ses troupes et reprendre la mise à exécution de sa stratégie de déstabilisation de la région reste entière. Si l’on n’y mettait pas fin, Daêch peut «renaître de ses cendres» et reconquérir le terrain qu’il a perdu ces douze derniers mois.

Analyse traduite de l’anglais par Marwan Chahla

* Rhiannon Smith est directeur général d’EyeOnISISinLibya et Libya-Analysis, et rédacteur de ‘Hate Speech International’ pour la région Afrique du nord.
Lachlan Wilson est chercheur en Affaires politiques et sécuritaires pour la région Moyen-Orient et Afrique du nord.
**Le titre est des auteurs et les intertitres sont de la rédaction.

Source: ‘‘Middle East Eye’’.

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