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Loi de Finances 2018 : Les véritables craintes du patronat

L’Utica, la centrale patronale, n’a pas fini de rejeter à cor et à cri le projet de Loi de Finances 2018 et de mobiliser ses troupes pour faire entendre sa voix.

Par Khémaies Krimi

Conduite par sa fougueuse présidente Ouided Bouchamaoui, l’Utica a organisé, lundi dernier, 30 novembre 2017, à son siège, un débat sur la Loi de Finances 2018 (LF2018) auquel elle a convié des personnalités extérieures, dont Ahmed El Karm, président du directoire d’Amen Bank, Walid Ben Salah, expert comptable, et Habiba Louati, experte en fiscalité, et des députés de la commission parlementaire économique et financière.

Ce que craignent les patrons

Donnant le ton, Mme Bouchamaoui a affirmé que toutes les propositions venant de l’Utica n’ont pas été prises en considération lors de l’élaboration de cette LF2018 qui n’encourage ni l’investissement, ni l’exportation et ni l’emploi. Elle ne fait qu’augmenter les impôts et les charges pour les entreprises organisées, sans engager une réflexion sur la nécessité de maîtriser les dépenses ni réfléchir à d’autres alternatives pour garantir l’équité fiscale, a martelé la présidente de la centrale patronale, tout en précisant que l’Utica souhaite avoir une stabilité réglementaire et fiscale, tout en mettant en garde contre les risques que pourraient avoir ce projet pour la pérennité des entreprises économiques organisées.

Animé par le ténor de la centrale, Taoufik Laaribi, membre de son bureau exécutif et président de la commission de la fiscalité, le débat était, on s’en doutait, à sens unique. Tous les intervenants ont stigmatisé l’administration fiscale, lui faisant assumer les conséquences néfastes des mesures prises sur l’environnement des affaires et l’investissement privé.

Selon M. Laaribi, les dispositions législatives et réglementaires touchant la fiscalité se sont multipliées depuis 2011 atteignant le nombre de 500 nouvelles, alors que le code des impôts lui-même ne contient que 68 articles. Il a ajouté que les problèmes de transparence et d’abus se posent toujours dans les relations avec l’administration fiscale, estimant que certaines dispositions donnent des prérogatives très larges pour les contrôleurs. Et même s’il y a quelques entreprises qui ne payent pas leurs impôts, il ne faut pas pour autant sanctionner toutes les entreprises notamment celes organisées, a-t-il lancé, en faisant part de la demande de ses pairs d’une fiscalité juste et équitable qui trouve un juste milieu entre la préservation de la trésorerie publique et la garantie des droits des contribuables.

Au regard des interventions, ce qui inquiète le plus les patrons, c’est l’intensification prévisible, voire l’harcèlement programmé à partir de l’année prochaine du contrôle fiscal.

Concrètement, ils craignent que l’administration fiscale soit à la fois juge et partie. Ils craignent, avant même son entrée en fonction, la police fiscale et les pouvoirs exorbitants qui seront attribués à l’agent du fisc.

Autre crainte des patrons, particulièrement des importateurs : la baisse du chiffre d’affaires en raison de la fameuse circulaire-liste des secteurs transmise par la Banque centrale de Tunisie aux banques. Dans cette circulaire la BCT recommande aux établissements financiers de ne pas trop encourager le financement des importations de produits qui ont leur équivalent en Tunisie (textile, cosmétiques et autres).

Des propositions pour diversifier les ressources

Au rayon des propositions tendant à identifier les niches où l’Etat peut trouver des ressources fiscales complémentaires, Ahmed Karam a appelé à réfléchir à la privatisation pour renflouer les caisses de l’État et couvrir le déficit budgétaire. Il faut privatiser tout ce qui n’est pas rentable pour le pays et le gouvernement doit avoir l’audace de privatiser quelques banques nationales, des sociétés de télécoms et certaines entreprises actives dans des secteurs concurrentiels. Il a aussi suggéré la récupération de ce qui peut être recouvrable en matière de dettes fiscales, soit 2,8 milliards de dinars tunisiens (DT) sur un total de 9.

Il devait également proposer la réaffectation d’une bonne partie du sureffectif des travailleurs (40.000 sur 120.000) au recouvrement fiscal, l’application de la loi concernant l’équipement des cafés et restaurants de caisses enregistreuses connectées au fisc, une réforme de la compensation dans le sens d’un meilleur ciblage et la cession des entreprises publiques opérant dans le secteur concurrentiel (banques, tabac, distribution de carburants…).

Walid Ben Salah a déploré, quant à lui, le retour au maquillage des chiffres et indiqué que le gouvernement manipule les chiffres pour satisfaire le Fonds monétaire international (FMI) et le persuader de verser la troisième tranche du prêt convenu (2,9 milliard de dollars). Il a tenu à rappeler que la masse salariale est toujours à un niveau élevé soit 15,4% du PIB.

Tout en reconnaissant l’extrême difficulté dans laquelle cette LF2018 a été concoctée, Habiba Louati, expert en fiscalité, a tenu, pour sa part, à rappeler à l’auditoire cette exigence des lois de finances: toute ressource programmée dans cette loi et supprimée ou abandonnée lors de son examen par l’Assemblée doit impérativement être remplacée par une autre. En d’autres termes: l’Utica a le droit de protester contre le projet de LF2018, mais elle doit aussi proposer des alternatives satisfaisantes.

De son côté, Nafaa Ennaifer, président de la commission des affaires économiques de l’Utica, a attribué toutes les difficultés budgétaires que connaît le pays au poids de la masse salariale dans la fonction publique. Il a déploré l’augmentation des salaires aux dépens de chômeurs qui attendent toujours leur premier emploi.

Il a tourné en dérision certains mesures dont l’institution d’une taxe sur le scannage des conteneurs (une proposition de l’Union générale tunisienne du travail, UGTT, paraît-il) et indiqué que le gouvernement a plus d’intérêt à s’occuper du manque à gagner généré par la staries au port de Radès (900 MDT) que de telles mesurettes sans grand rendement.

Par-delà les interventions des uns et des autres, tout indique que cette loi ne passera pas sans difficulté. Un mot sur sa crédibilité, sans ironie aucune : si tout le monde s’en plaint, c’est que, quelque part, elle est juste en ce sens où elle aura bousculé les habitudes et touché tout le monde sur un pied d’égalité. A bon entendeur

 

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