Le classement de la Tunisie par l’Union européenne (UE) parmi les paradis fiscaux est une décision difficile à comprendre, et encore mois à justifier ou à accepter.
Par Salem Guerbouj *
Que faire devant le spectacle affligeant de la tartufferie quand elle se mêle à la cécité politique ?
Ce show tragi-comique, les Tunisiens viennent d’y être conviés à leur corps défendant par l’Union européenne (UE) que l’on croyait à l’abri des coups fourrés et autres manœuvres de politique politicienne.
Ils ont en effet reçu avec étonnement, surprise et colère leur classement par cette vénérable institution comme «paradis fiscal». Ni plus, ni moins !
Il faut dire qu’on s’attendait à tout, en ce moment précis, de la part de ce que l’on considérait, qui se présente constamment comme notre partenaire « privilégié», sauf à une telle avanie! Même si les observateurs avertis savent depuis longtemps que cet espace n’est en fait qu’une citadelle frileuse et repliée sur elle-même.
Un coup de poignard dans le dos
Face aux difficultés financières et économiques dans lesquelles se débat la Tunisie depuis la révolution et les promesses d’aide que le vieux continent ne cesse de réitérer depuis 2011 et qui n’ont jamais reçu de concrétisation significative, la décision européenne, scandaleuse voire cynique, a été ressentie par beaucoup de nos compatriotes comme une trahison voire un coup de couteau dans le dos.
«Que l’Europe nous dise où se trouve ce paradis pour qu’on puisse y puiser l’argent nécessaire pour payer nos salaires et nos retraites et nous éviter d’emprunter au prix fort pour faire face à ces échéances qui nous plongent chaque fin de mois dans la crainte et la peur de faire faillite», ont ironisé les Tunisiens, médusés, depuis l’homme de la rue jusqu’aux plus fûtés.
Et effectivement on reste coi devant cette maladresse européenne qui frise l’irresponsabilité voire l’incompétence manifeste.
Car voilà un pays qui, comme l’Europe l’y a toujours appelé, accomplit une révolution démocratique avant-gardiste et exemplaire, selon ses propres termes et en conformité avec les standards européens, mais qui ne parvient toujours pas, 6 ans après, à accomplir sa transition économique indispensable et encore moins à décoller pour donner un caractère pérenne à son grand saut politique.
Pis, il ne cesse de s’enfoncer d’année en année dans la crise avec tous les risques que cela comporte pour lui-même en premier mais aussi pour l’Europe qui n’est qu’à quelques encablures de la Tunisie, vite franchies par les boat-peuple et leurs cargaisons d’immigrés affamés et de terroristes porteurs de mort et de désolation.
Il faut dire qu’au lendemain de la révolution, les Tunisiens ont cru, naïvement, pouvoir compter sur le soutien conséquent sinon massif de l’Europe si proche. Les plus enthousiastes ont poussé le plafond de leurs attentes jusqu’à rêver d’un véritable Plan Marshall européen en vue sortir définitivement notre pays de l’ornière dans laquelle il s’est fourvoyé après 23 ans de dictature politique et d’ultralibéralisme cautionnés, il ne faut pas l’oublier, par l’Europe qui n’hésitait pas alors à qualifier à tout propos la Tunisie de pays «modèle»!
«Modèle» sous Ben Ali, «paradis fiscal» aujourd’hui ?
Ils ont cru que l’Europe reconnaîtra à coup sur ses erreurs passées, en particulier celle d’avoir exploité la fragilité de Ben Ali, qui souffrait d’un déficit de légitimité politique, sa soif de reconnaissance internationale et son désir de masquer ses dérapages pour lui imposer un programme de désarmement douanier qui a contribué à détruire le tissu industriel tunisien et suscité un chômage massif qui, à côté d’autres maux, fut le terreau de la révolution et que le pays peine à résorber l’exposant ainsi à un risque récurrent de retour de l’anarchie et du désordre… Qu’elle allait enfin tendre réellement la main à un voisin à terre pour l’aider à se relever et entamer un vrai développement soutenu et égalitaire en lieu et place de la croissance contrastée conduite par le régime déchu avec son aval.
Mais qu’a fait l’Europe au lieu de tout cela?
Nous n’hésitons pas à dire rien ou presque.
Car à part de vagues promesses et quelques pécules distribués au gré des circonstances, l’Europe est depuis 2011 inscrite aux abonnés absents.
Pis, enfilant l’habit de l’ultra libéralisme et tournant ainsi le dos à sa tradition social-démocrate et humaniste, la voilà qui entame des manœuvres dangereuses afin d’imposer encore une fois à notre pays exsangue un nouveau traité de libre-échange aux effets dévastateurs.
Mais en nous inscrivant récemment sur la liste noire des paradis fiscaux, elle franchit le Rubicon et fait preuve d’une tartufferie qui dépasse les bornes.
L’Union européenne, en excluant de la liste ses propres paradis fiscaux, ceux où finit par atterrir l’argent volé aux pays pauvres, a non seulement suscité l’hilarité générale mais montre qu’elle n’hésite pas à faire supporter aux plus faibles ses propres déboires.
Trump qui ne cesse de crier «America first» semble susciter des vocations en Europe.
L’Europe, une citadelle? Qui ose aujourd’hui le nier.
* Journaliste.
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