Les opérateurs économiques tunisiens réclament la liberté d’investir en Tunisie et à l’étranger et de bénéficier du même traitement, de la part du gouvernement tunisien, que leurs collègues étrangers installés en Tunisie.
Par Khémaies Krimi
La Tunisie a été inscrite, le 5 décembre 2017, par l’Union européenne (UE), sur la liste des paradis fiscaux entre autres pour la discrimination consacrée par la loi entre l’off shore et l’on shore.
Deux mois après la levée partielle de ce blacklistage, des voix s’élèvent de plus en plus parmi les hommes d’affaires tunisiens pour réclamer l’équité de traitement entre l’investisseur résident et non-résident.
À ce propos, si les points de vue convergent sur le principe d’instaurer l’équité, certains nuancent leur position en estimant que l’off shore, dans sa formule actuelle, est encore nécessaire pour la Tunisie. Pour d’autres, il faut instituer la liberté d’entreprendre, en Tunisie et à l’étranger, pour les résidents et les non-résidents.
Cet article propose des regards croisés sur une problématique qui a terni l’image de la Tunisie en tant que site international de production industrielle.
Pour une suppression des statuts de résident et de non-résident
Au nombre des hommes d’affaires tunisiens qui défendent l’équité entre résident et non-résident, figure en bonne place Faouzi Elloumi, président du groupe Chakira (industrie du câble).
Dans des entretiens avec les médias, il a constamment déploré cette discrimination en vertu de laquelle l’entreprise concurrente off shore vient s’installer librement en Tunisie et en dehors de la Tunisie tandis que le promoteur tunisien ne peut le faire autant dans les mêmes conditions à l’étranger. Pour qu’il puisse le faire, il est obligé de s’expatrier. «C’est inadmissible, dit il, de constater que le non-résident jouit de toutes les facilités du monde alors que le résident ne rencontre que les difficultés».
Pour l’homme d’affaires, la liberté d’entreprendre à l’étranger ne suppose aucunement la convertibilité totale du dinar tunisien (DT). Il y est même opposé. Le moment n’est pas encore opportun. Par contre, il pense qu’on peut envisager la liberté d’investissement et mettre fin à la coexistence des deux statuts de résident et de non-résident.
La Tunisie a encore besoin de l’off shore
Samir Majoul, président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica, centrale patronale), considère, pour sa part, que si «la Tunisie réussit à attirer l’investisseur étranger, à l’encourager à s’enrichir en Tunisie et y réinvestir par ce qu’il a trouvé un environnement propice à l’investissement (sécurité, justice indépendante, transparence…), elle aura atteint son objectif».
À son avis, le pays ne pourra s’en passer que lorsqu’il parviendra à réaliser le plein emploi, à réduire drastiquement son endettement, à éradiquer l’économie informelle, à instaurer la convertibilité totale de sa monnaie et à assurer une vie décente pour tous les Tunisiens. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il pourra, à la limite, se permettre de choisir de développer en priorité certains secteurs et refuser l’investissement dans d’autres secteurs parce qu’ils sont, par exemple, polluants. Mais on n’est pas dans cette situation.
Actuellement avec un stock de 700.000 chômeurs, la Tunisie doit, d’après lui, continuer de composer avec l’off shore qui emploie 360.000 personnes.
Samir Majoul pense, en même temps, que l’entreprise tunisienne doit se développer à l’international parce que la Tunisie a choisi de s’ouvrir sur l’extérieur et que «cette ouverture a exigé des entreprises locales d’être compétitives avec des concurrents étrangers pouvant venir d’un monde où généralement les investisseurs ne sont pas des enfants de cœur, un monde de dumping, de disparités et d’exploitation sociales, de fiscalités incitatives, de subventions de l’Etat, comme la Turquie et autres».
Le patron des patrons estime également que l’implantation des entreprises tunisiennes à l’étranger leur permettra de créer, en devises, un label tunisien et, partant, une richesse tunisienne, et surtout, de gagner en compétitivité dans la mesure où elles pourront contourner les facteurs de non-compétitivité en Tunisie tels que le coût élevé de la logistique (staries au port de Radès), la lourdeur administrative, la corruption…
L’off shore en Tunisie a ses lobbys
Quant à l’off shore, outre les chancelleries et les lois qui protègent ses moult intérêts, telles que la loi 72 et la loi sur l’investissement, il a à sa disposition des lobbys. C’est le cas, entre autres, du Conseil des chambres mixtes (CCM) créé en septembre 2017.
Ce conseil, présenté comme une structure de coordination entre les 14 chambres mixtes existant en Tunisie, est en fait un véritable lobby, voire un puissant syndicat patronal qui défend les intérêts de 3.242 sociétés off shore, soit 95% des entreprises étrangères installées en Tunisie.
Son objectif, tel qu’il est défini par ses promoteurs, est de s’ériger en force de proposition législative, qui a son mot à dire dans les projets concernant de près les entreprises, notamment la Loi de finances et les projets économiques.
C’est pourquoi, dans un souci d’équité, les entreprises tunisiennes implantées à l’étranger sont en droit de réclamer la même qualité d’assistance et le même niveau d’encadrement que leurs concurrentes étrangères.
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