En dépit de ses limites évidentes, soulignées par la société civile, le projet de loi de lutte contre la discrimination, sous toutes ses formes, est bon à prendre. Et à compléter par des mesures concrètes de lutte contre ce phénomène.
Par Khémaies Krimi
La commission parlementaire des droits, des libertés et des relations extérieures à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) vient d’entamer l’examen du projet de loi de lutte contre la discrimination et d’auditionner, à cette occasion, le 27 avril 2018, des représentants de la société civile dont le haut commissariat aux droits de l’homme, les associations M’nemti et Tunisie terre des hommes.
Un texte qui incrimine et réprime l’acte raciste
Que propose le projet de loi du gouvernement ? Ce texte d’une dizaine d’articles vise à consacrer l’égalité totale entre les citoyens et citoyennes en matière de droits, en conformité avec la constitution tunisienne de 2014, qui institue l’égalité de tous les citoyens en droits et en devoirs, et avec les conventions internationales protégeant les droits de l’homme signées par la Tunisie. Mieux, il prévoit la mise en place de mécanismes permettant de prévenir la discrimination, de protéger ses victimes et de sanctionner sévèrement ses auteurs.
Parmi ces mécanismes, une Commission nationale de lutte contre la discrimination, qui reste à créer et qui aura pour mission d’élaborer les politiques générales en la matière, de recenser les données sur les actes de discrimination et de mettre en place les moyens de prévention et de lutte contre ce fléau.
À titre indicatif, toute personne qui tient des propos désobligeants et méprisants vis-à-vis d’une autre personne ou commet des actes racistes peut écoper soit d’une peine de prison de 1 à 6 mois de prison, soit d’une amende de 500 à 1000 dinars tunisiens (DT), soit les deux à la fois. La sanction est doublée lorsque les victimes sont des personnes fragiles (enfants, vieillards, femmes, personnes à besoins spécifiques…) et lorsque les fauteurs d’actes de discrimination occupent des postes officiels.
Ces sanctions sont aggravées dans d’autres circonstances. L’article 9 prévoit des peines de 1 à 3 ans de prison ou une amende de 3.000 DT ou les deux sanctions à la fois à l’encontre de toutes les personnes qui incitent à la haine, à la discorde et à la violence ou qui plaident pour la suprématie raciale. L’article 10 va même plus loin, qui prévoit pour toutes les personnes morales qui encouragent et financent la constitution d’organisations racistes ou participent à leurs activités des amendes de 5.000 à 15.000 DT.
Le projet de loi incrimine donc les actes racistes et discriminatoires et toutes les personnes racistes et auteurs d’actes de discrimination sous toutes ses formes, qui vont dorénavant rendre compte de leurs actes devant la justice.
Manifestation contre le racisme à Tunis en décembre 2016.
Pour la société civile, l’idéal serait d’agir sur les mentalités
Invités à réagir à ce projet de loi, les représentants des organisations de société civile ont été unanimes pour relever que ce texte arrive très en retard et est loin de traduire une réelle volonté politique de lutter contre la discrimination. Ils estiment qu’une loi répressive ne va pas résoudre les souffrances des victimes de la discrimination, particulièrement les personnes de couleur noire. Pour eux, le changement de mentalité ne s’opère pas par la répression et la privation de libertés mais par le biais de l’éducation et de la diffusion de la culture des droits de l’homme et du droit à la différence. C’est dans cette perspective qu’ils suggèrent de remplacer les sanctions pénales par des sanctions alternatives (suivi social, suivi psychologique des fauteurs d’actes de racisme…).
Concrètement, ils proposent d’agir sur les programmes et manuels scolaires, qui contiennent des expressions racistes et discriminatoires. Les noirs y sont même qualifiés d’esclaves.
Autre objection commune formulée à l’endroit de ce projet de loi. Elle concerne le projet de création d’une Commission nationale de lutte contre la discrimination. Les acteurs de la société civile ne veulent pas qu’elle soit sous la tutelle d’un ministère. Ils proposent qu’elle soit indépendante ou du moins relever de la présidence du gouvernement. Ce qui illustre de manière éloquente le manque de confiance qui règne entre les organisations de la société civile et le ministère chargé des Relations avec les instances constitutionnelles et la société civile, département initiateur du projet de loi.
Omar Fassataoui, représentant du Haut commissariat aux droits de l’homme en Tunisie, a proposé le recensement, par l’Institut national de la statistique (INS), des minorités en Tunisie. Il pense que le taux de 1% de la population avancé, depuis des années, par les autorités officielles, n’est pas exact, et attire l’attention sur la discrimination observée à l’endroit des élèves de couleur noire, discrimination qui serait, selon lui, parfois, à l’origine de l’interruption précoce de leur scolarité.
Saadia Mosbah, président de l’Association M’nemti, a rappelé l’existence encore en Tunisie de familles entières victimes du racisme et dont les membres sont pointés du doigt comme des «âtig» et des «mamelouk».
Abdelkerim Khairi, Sourour Kharroubi et Mohamed Chedli, représentants de l’association Tunisie, terre des hommes, ont préconisé l’élargissement de la liste des cas de discrimination et proposé d’y introduire le régionalisme et l’homophobie. Ils ont suggéré également l’élaboration d’un rapport annuel sur la discrimination en Tunisie et sa soumission, en priorité et exclusivement, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Il y a là un autre signe d’absence de confiance entre les organisations de société civile et le gouvernement. Néanmoins, cela ne doit pas empêcher de reconnaître que le nouveau projet de loi, en dépit de ses limites évidentes, est bon à prendre.
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