Retour sur le fameux retour victorieux de Bourguiba à Tunis, après son exil forcé en France, le 1er juin 1955, prélude bien orchestré à l’indépendance de la Tunisie , qui sera proclamé moins d’un an plus tard.
Par Assâad Jomâa *
En ces temps d’outrancière ingérence étrangère et notamment française dans les affaires intérieures de la république tunisienne, supposée, comme chacun le sait, indépendante depuis le 20 mars 1956, il serait opportun d’éclairer nos compatriotes sur certaines réalités historiques relatives, circonstance oblige, au 1er juin 1955, sciemment nommée «Fête de la victoire».
Petit rappel de certains faits historiquement établis.
18 juin 1954 : investiture de Pierre Mendès-France (PMF) à la présidence du conseil de la (moribonde) quatrième république française. Le 31 juillet 1954, le président du conseil français déboule, toutes affaires cessantes, à Carthage pour proclamer devant Lamine Bey la reconnaissance de l’autonomie interne de la Tunisie.
Un cérémonial de triomphe digne des empereurs romains
Comment expliquer pareille célérité politique, alors que l’Etat français était menacé d’implosion ?! Certains documents historiques font état de rapports personnels, familiaux selon certaines sources, entre PMF et Habib Bourguiba. Leurs liens de parenté, par le truchement de mesdames Liliane Cicurcel Mendès-France et Mathilde Lorain Bourguiba, consolidés par une amitié naissante, expliquerait le fait que le président du conseil ait pris l’initiative de transférer Bourguiba de l’île de Groix, où il était exilé depuis 1951, au somptueux Château de la Ferté, bénéficiant d’un résidence surveillée s’apparentant davantage au séjour dans une maison d’hôtes (une photo-souvenir nous a heureusement conservé une mine resplendissante du «Combattant Suprême».
Arrivée triomphale au port de La Goulette.
Quelques mois plus tard, le 1er juin 1955, c’est-à-dire deux jours avant de repartir pour Paris afin de «superviser» les termes de la convention de l’autonomie interne accordée par la France à la Tunisie, le même Bourguiba, bénéficia, à son retour d’un cérémonial de triomphe, digne des empereurs romains du bas empire.
À en croire certaines sources «historiques» plus de 500.000 voix scandaient à l’unisson la «Victoire… Victoire…». Un film tourné à la hollywoodienne (par qui? Seuls les dieux le savent) immortalisa le spectacle d’un peuple en liesse généralisée avec mille paillettes et florilèges de couleurs bigarrées.
Le peuple avait accouru des quatre coins de la Tunisie. À croire que nous étions dix ans plus tard, le 13 mai 1964, lors de la promulgation la loi relative à l’évacuation agricole, pas en plein protectorat sous haute surveillance de la gendarmerie française, d’autant que la résistance algérienne, à quelques encablures de là, faisait de plus en plus de grabuge, prémonitoirement nommé par le colonisateur français : «actes terroristes».
Habib Bourguiba, Mongi Slim et Taieb Mhiri.
Un show minutieusement minuté
Mieux encore, dans un spontané, et néanmoins incompressible élan de nationalisme, teinté, cependant, d’un soupçon de régionalisme, une unité de cavalerie, représentant les militants fellagas Jelass du Kairouanais, dont le chef Caïd Lajimi sera généreusement récompensé en domaines agricoles appartenant à l’Etat tunisien, tînt vaille que vaille à sanctifier l’instant historique en propulsant le héros national sur une monture prédestinément atourée aux couleurs de la Tunisie, immaculément blanche et préalablement entraînée aux bains de foule.
Seul petit problème, qui sera du reste rapidement évacué. Le sauveur de la Tunisie ne savait pas monter à cheval. Qu’à cela ne tienne, quelques cours d’équitation dispensés au préalable en France (certains témoins oculaires assurent l’avoir vu dans les jours précédant embarcation sur le «Ville d’Alger», lui aussi soigneusement préparé pour la circonstance), et le tour sera joué !
Plus de 500.000 voix scandaient à l’unisson la «Victoire… Victoire…».
Une question, à laquelle nos historiens, fort occupés par plus important, n’ont pas trouvé de réponse, qui a orchestré ce show minutieusement minuté, jusqu’au troc de l’ottomane chéchia stambouli par un sombrero «jelassien» pure souche ! Parce qu’en termes d’intendance, ceux qui ont concocté pareil spectacle ne devaient pas être à leur premier coup d’essai ! Il n’est pas jusqu’à l’itinéraire du convoi du «Combattant Suprême» qui n’ait été étudié.
Aucun incident de parcours n’a été, à ce jour, recensé. Donc bravo messieurs les organisateurs, bravo messieurs les chargés du dispositif de sécurité… C’est que 500.000 âmes rassemblées autour d’un navire ça en fait du monde…
Heureusement que la Main rouge, l’organisation terroriste des colons, n’était pas de la partie, ou pire encore les assassins de Salah Ben Youssef. Bref ce fut une belle fête… Organisée par qui ? Nos vénérables historiens nous le révélerons un jour prochain… sans doute !
* Universitaire.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Egalité successorale : Ne soyons pas plus salafistes que les salafistes !
Donnez votre avis