D’un Ali l’autre : Douagi et Chouerreb.
La télévision tunisienne est malheureusement devenue un instrument d’abrutissement des masses et spécifiquement de destruction des générations montantes, une fabrique d’imbéciles, de cons, de têtes vides, de délinquants et de voyous.
Par Chedly Mamoghli *
Les exemples concernant l’abrutissement des masses et surtout des générations montantes par nos médias – surtout notre télévision – sont légion. Pour les passer au crible, un article même long comme le bras ne suffirait pas. Il faudra un recueil ou une étude sociologique pour les répertorier tous et les analyser. Ici, il s’agit d’évoquer les incidences du feuilleton ‘‘Ali Chouerreb’’ sur les jeunes générations.
Il faut d’abord rappeler que ce n’est pas le feuilleton du mois de ramadan qui a fait entrer Ali Chouerreb dans la culture populaire tunisienne, il y est depuis des décennies. On a toujours entendu parler de ce célèbre voyou des quartiers de Bab Souika et Halfaouine, à Tunis, dans les années 1960-70.
Des voyous érigés en modèles pour les jeunes
Cela dit, faire partie de la culture populaire ne veut pas dire être un personnage historique et avoir fait quelque chose pour le pays. Qu’a fait ce type? Que dalle. C’est un délinquant mais ce feuilleton a voulu en faire un héros national et un exemple pour la jeunesse.
Et c’est là où réside le problème, c’est qu’on érige les voyous et les délinquants en modèles pour les ados et les jeunes.
Dans un article paru hier, mardi 19 juin 2018, dans les colonnes de ‘‘La Presse’’ intitulé «Ali Chouerreb a-t-il fait école?», on lit: «En effet, depuis que ce feuilleton a fait fureur, la délinquance juvénile est subitement montée d’un cran. Aujourd’hui, des énergumènes en herbe, en quête de ‘‘gloire’’, exigent carrément qu’on les surnomme ‘‘Chouerreb’’… Et ce n’est pas un hasard si la police a arrêté récemment, du côté de Mellassine, un jeune voyou pour violences et braquages. Se présentant sans papiers aux interrogatoires, il déclina ainsi son identité : je m’appelle Nizar Ben Salah, alias ‘‘Ali Chouerreb’’! L’enquêteur n’en revenait pas.»
Voilà, l’ambition d’un adolescent aujourd’hui est de devenir un voyou et un délinquant craint dans son quartier et obtenant tout par la force. Le mérité et le savoir sont pour les naïfs et les imbéciles qui n’ont encore rien compris à la vie. Nous pouvons nous rassurer, la relève est assurée, la Tunisie sera entre de bonnes mains.
Lotfi Abdelli dans le rôle de Ali Chouerreb.
L’école a totalement réussi, les parents sont dignes d’être des parents et éduquent convenablement leur progéniture et tout va bien pour le meilleur des mondes. Ceux qui croient que le pays vit actuellement une crise politique se trompent, c’est bien plus profond, c’est une crise sociétale. Nous avons failli dans ce qu’appellent les sociologues la socialisation primaire (celle qu’Emile Durkheim définit comme «la socialisation méthodique de la jeune génération par les générations précédentes» et qui est acquise essentiellement à la maison) mais également dans la socialisation secondaire qui est acquise à l’école et dans les différents établissements qui concourent à l’éducation de l’individu.
Les bons modèles ne manquent pourtant pas
Ce que l’on demande aux médias ce n’est pas de faire des feuilletons sur Edgar Poe ou Ernest Hemingway mais qu’ils fassent des feuilletons sur le groupe d’intellectuels de Taht Essour par exemple, du nom du café où il se réunissait dans ces mêmes quartiers de Halfaouine et Bab Souika, et qui comptait parmi ses membres Ali Douagi – qui consacra un livre à ce groupe –, Béchir Khraief – auteur de ‘‘Barg Elill’’, le meilleur roman tunisien qui dépeint toute une époque –, l’intellectuel réformiste Tahar Haddad, le poète Mahmoud Bourguiba, les journalistes Hedi Labidi et Abdelaziz Laroui, etc.
C’étaient des artistes bohèmes dans leur majorité et non pas des êtres guindés et antipathiques. Ces monuments de la culture tunisienne qui ont participé au façonnement de la tunisianité ne méritent pas un feuilleton retraçant leurs parcours et leurs vies et un délinquant en mérite un!
La télé tunisienne est malheureusement un instrument d’abrutissement des masses et spécifiquement de destruction des générations montantes, une fabrique d’imbéciles, de cons, de têtes vides, de délinquants et de voyous. Et c’est bien cette télé destructrice et abrutissante, qui sans se rendre compte, crée un ressentiment chez les extrémistes religieux qui profitent du fait que la société est en perte de valeurs et de normes pour proliférer et s’adonner à leur prosélytisme.
Dans une société où les voyous et les délinquants sont hélas érigés en modèles et sont devenus des repères pour une jeunesse désœuvrée, les extrémistes se hissent en alternative et disent «Voilà, nous sommes le vrai exemple, suivez-nous». Résultat des courses, une bonne partie de la jeunesse se retrouve dans la délinquance et une autre se réfugie dans l’extrémisme religieux.
* Juriste.
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