Marouane El Abassi et Ahmed El Karm.
La Tunisie accuse un grand retard en matière de couverture contre les divers risques d’échange (swaps) liés à la volatilité des prix des marchés et rien n’a été fait, durant des décennies, pour y pallier, et ce, en dépit des nombreux séminaires et réflexions sur le sujet.
Par Khémaies Krimi
En ouvrant, jeudi 21 juin 2018, le symposium sur le thème «Développement des produits dérivés en Tunisie : préalables réglementaires et techniques», Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Adapter la réglementation tunisienne au référentiel international
«Cette volatilité, a-t-il dit, est une source de risque lorsque le prix va dans un sens défavorable. Les prix de marché au comptant ne sont pas prévisibles. C’est pourquoi, laisser l’activité économique exposée aux aléas du marché, c’est laisser le hasard décider de la performance ou de la rentabilité de l’activité, c’est donc exposer cette activité à un risque». À titre indicatif, il a cité les fluctuations des prix du pétrole, des céréales, des taux d’intérêt…
Il ajouté que la problématique en Tunisie réside dans le fait que la réglementation actuelle n’est pas conforme aux législations internationales. Il a rappelé, à ce sujet, que «les produits dérivés au niveau international sont traités dans un cadre particulier, notamment une documentation spécifique mise en place par l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association, Ndlr), qui a évolué sur les 30 dernières années au vu des nouveaux instruments créés et des leçons apprises à travers les crises financières passées».
M. El Abassi a fait remarquer aussi que cette documentation, issue de la profession, garantit les droits et obligations des contractants et est devenue la documentation de référence, reconnue par les régulateurs de plusieurs pays. «Les dispositions de cette documentation, a-t-il précisé, ont pour objectif de garantir la sécurité des contractants et la célérité de la compensation en cas de faillite d’un des contractants. Or, ces dispositions peuvent entrer en conflit avec celles des lois nationales et leur force exécutoire n’est donc pas garantie. Cela amène les contreparties étrangères à ne pas s’engager sur les produits dérivés dans un pays où la loi locale n’est pas compatible avec les dispositions de la documentation ISDA. C’est le cas de la Tunisie, en raison de dispositions juridiques qui empêchent la force exécutoire de plusieurs des principales dispositions de l’accord ISDA, à l’instar de la compensation avec déchéance du terme.»
Le marché des dérivés en Tunisie est en phase embryonnaire
Le marché des produits dérivés en Tunisie est, actuellement, en phase embryonnaire car il n’existe pas d’outils permettant de gérer les risques financiers qui menacent l’activité des entreprises.
Conséquence : la Tunisie paie aujourd’hui le prix fort de ce laxisme comme en témoignent, non seulement son dernier double blacklistage en tant que paradis fiscal et de pays fortement exposé aux risques de blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, mais également, l’effondrement du dinar, la hausse de l’inflation et son corollaire l’augmentation des taux directeurs avec leur impact négatif sur l’investissement et le pouvoir d’achat des consommateurs.
L’ancien chef de gouvernement provisoire et député Ennahdha Ali Larayedh au premier rang des présents.
Loin de fuir ses responsabilités en la matière, la nouvelle équipe de la Banque centrale a décidé de prendre le taureau par les cornes et d’organiser ce symposium sur les mécanismes, techniques et réglementaires, à mettre en place pour réduire les nuisances générées par la volatilité des prix.
Objectifs recherchés : développer en Tunisie le marché des dérivés, actuellement à l’état embryonnaire, créer, dans les meilleurs délais, au plus tard une année, un cadre tunisien pour les produits dérivés normalisé et compatible avec le référentiel international et aider les banques tunisiennes à mettre en place une documentation domestique structurée et des accords ISDA, transfrontaliers adaptés.
L’ISDA, l’Association internationale des Swaps et dérivés, est une organisation commerciale de participants au marché des produits dérivés de gré à gré. Basée à New York, elle a créé un contrat standardisé (accord-cadre ISDA) pour conclure des transactions sur des produits dérivés.
Ahmed El Karm.
Les avantages des produits dérivés
Pour revenir aux travaux du symposium, trop techniques et parfois même rébarbatifs pour le commun des mortels, ils ont été l’occasion d’exposer l’intérêt économique de la couverture contre les risques liés à la volatilité des prix du marché, notamment, les prix des matières premières agricoles et pétrolières.
Ahmed El Karm, président de l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF), co-organisatrice de ce symposium, a cité quatre avantages à tirer des produits dérivés. Il s’agit de réduire les risques (taux de change, taux de crédit, aléas climatiques…), de développer un nouveau type d’affaires (ces produits étant un levier financier pouvant générer et traiter des capitaux énormes), de spéculer au sens noble économique du terme et de mobiliser des investissements directs étrangers.
Par ailleurs, le symposium a offert également l’opportunité pour montrer l’intérêt des produits dérivés en tant qu’instruments de couverture contre divers risques, le pourquoi de la documentation ISDA pour les instruments de couverture de gré à gré ainsi que des meilleures pratiques de marché et du cadre légal et réglementaire nécessaire à une documentation normalisée.
Le débat technique entre juristes et praticiens (cadres bancaires) a porté notamment sur l’utilisation des swaps et autres produits dérivés pour gérer les risques des transactions commerciales et financières et contribuer à l’amélioration du climat d’affaires en Tunisie.
Des actions concrètes à mettre en œuvre
Parallèlement, les défis et les possibilités d’amélioration de l’actuel cadre légal et réglementaire tunisien afin de favoriser la gestion des risques par les produits dérivés ont fait l’objet d’un examen approfondi. À cet, effet, des avant-projets de loi et de documentation régissant les transactions sur produits dérivés en Tunisie ont été également exposés par les représentants de la profession bancaire.
De tels cadres réglementaires adaptés aux législations internationales vont permettre de dissiper les contraintes fermant l’accès aux marchés internationaux en implémentant une stratégie de gestion de risques financiers auxquels l’entreprise tunisienne serait éventuellement exposée à l’instar du risque de taux, du risque de crédit ou de contrepartie ainsi que le risque de cours.
Autre moment fort de ce symposium, la signature d’un mémorandum d’accord engageant la BCT, le Forex Club de Tunisie (un think tank) et l’APTBEF à développer les marchés des capitaux, de la liquidité interbancaire et de l’utilisation des produits dérivés en Tunisie.
À cet effet, un comité de pilotage représentant les trois parties sera créé pour planifier la coopération et suivre ses progrès. Le rôle de ce comité sera double. Il s’agit d’abord de superviser les progrès de la mise en œuvre du mémorandum et d’œuvrer ensuite à favoriser sa mise en œuvre auprès des particuliers, y compris l’attribution de rôles, de responsabilités et de mesures d’action à court et à moyen termes.
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