Hara Sghira-Erriadh, à Djerba, où musulmans et juifs ont toujours vécu ensemble en toute harmonie.
L’humiliation infligée à Joelle Berrebi, une juive tunisienne, par une employée de la mairie de Mellita, à Djerba, hier, jeudi 28 juin 2018, fait honte à tous les Tunisiens. Le récit qu’elle en fait sur son compte Facebook mérite d’être lu et médité. Une enquête doit aussi être diligentée…
Par Joelle Berrebi
Journée très riche en émotions aujourd’hui.
Rendez-vous chez l’avocat ce matin pour la signature de l’achat d’un «houch» (maison, Ndlr) à Hara Sghira-Erriadh pour ma tante chérie… Direction la mairie de Mellita sur la route de l’aéroport pour légalisation des signatures (parce qu’il y a moins d’attente). Dès que j’entre, regard noir de la femme derrière l’un des deux guichets. Son collègue prend les contrats.
La femme, en arabe, sur un ton agressif et me désignant d’un mouvement de tête méprisant: «Est-ce qu’au moins elle est capable de lire la première ligne du contrat?».
Son collègue me demande si j’ai une traduction. Je lui explique que le contrat m’a été traduit oralement, que je le connais par cœur; je lui cite un article mot à mot, puis un autre… il sourit et me dit en riant : «Ok, ok, c’est bon». Et il se met au travail.
La femme du second guichet l’arrête net et lui arrache ma carte d’identité tunisienne des mains. Elle se met à vociférer sur un ton de plus en plus agressif… J’attrape certains mots dont «gaouria» (étrangère, occidentale, Ndlr) qui revient en boucle. L’accompagnateur du vendeur (de la maison, Ndlr), Selim, choqué, lui répond en arabe que je ne suis pas une étrangère puisqu’elle tient ma carte d’identité entre ses mains, je suis tunisienne.
La femme s’énerve encore plus et crie que «Jaouelle, ce n’est pas tunisien!» et maintient que je suis une «gaouria». Selim répond de nouveau que je suis tunisienne, et que ma carte d’identité le prouve.
Je suis choquée, concentrée pour comprendre le maximum de cet étrange échange et pétrifiée par le choc. Le vendeur est pétrifié lui aussi. Son regard est perdu et honteux.
Le collègue de la femme attend derrière son guichet l’air désespérément mal à l’aise. Il tend la main pour récupérer ma carte d’identité que sa collègue lui refuse et continue d’agiter et à vociférer que je suis une «gaouria»!
À bout d’arguments, Selim l’invite à lire le nom, le prénom, le lieu de naissance de mon père: «Son père est tunisien, de La Goulette»…
«Ah! Youdi?», crie la femme plusieurs fois en expliquant que «youdi» ce n’est pas tunisien.
Selim acquiesce : «Oui, son père est juif. Il est tunisien.»
La femme continue de crier et de me traiter de «youdia» comme si c’était une insulte.
Son collègue reprend délicatement ma carte d’identité et se remet au travail. La femme se penche alors vers lui et lui parle à l’oreille. L’homme rassemble nos documents, se lève, sort de derrière son guichet et tend les documents à Selim et au vendeur en s’excusant platement.
Nous sortons, sans avoir pu légaliser nos signatures, bafoués dans nos droits, paralysés par le choc!
Direction Erriadh… dans la voiture, silence de mort brisé régulièrement par des grossièretés qui sortent de ma bouche comme un exutoire, comme la seule arme que j’ai trouvée pour retenir les larmes de rage qui m’envahissent… «Moi pas tunisienne????» J’ai mal! Mal dans ma chair et dans mon cœur, mal à mon père, mal à ma Tunisie. J’enrage!!!!!!!!
Arrivés, nous légalisons très vite nos signatures sans aucun souci. Mabrouk!!!!
J’écris à mes amis, qui s’insurgent et me soutiennent aussitôt. J’appelle ma tante pour la féliciter et je lui raconte… elle m’invite à déposer plainte. J’appelle l’avocat pour lui annoncer notre retard et lui en explique la cause: «Mais madame, c’est inadmissible! Je vous invite fortement à déposer plainte.»
Retour sur Houmt Souk… Je suis toujours sous le choc et raconte mon histoire à Mohamed le nattier et sa fille Amel. Ils sont choqués, m’invitent à réagir, à ne pas laisser passer ça. «Ces gens là comptent sur l’absence de réaction de leurs victimes; tu dois réagir pour que cette femme ne puisse plus se comporter comme ça avec d’autres personnes.»
Mohamed ajoute : «Tu sais Joelle, hamdoulah, que ces gens-là sont minoritaires, que nous sommes bien plus nombreux qu’eux».
Une amie, passe et m’encourage également à réagir, à ne pas laisser passer. Je reprends quelques couleurs.
Je déjeune avec une autre amie qui est très choquée et me pousse à déposer plainte. Elle insiste en me quittant: «S’il te plaît..»
Puis un autre ami, Mohamed, m’appelle de Tunis pour me féliciter pour la vente et ajoute: «Toi, je ne te parle plus jamais si tu ne déposes pas plainte contre cette…» Il me rappelle que la loi contre le racisme a été votée cette semaine.
Retour chez l’avocat. Je lui fais part de toutes ces réactions et lui demande s’il peut m’aider à déposer plainte.
– «Madame je vais vous aider, vous accompagner, et je ne prendrai aucun honoraire car c’est inacceptable. Cette personne a enfreint la loi.»
Le vendeur et Selim racontent toute la scène en arabe et en détails à l’avocat et nous expriment leur volonté de témoigner… J’ai retrouvé ma Tunisie!
Je suis tunisienne et fière de l’être!
Merci!!! Merci à vous tous, mes amis, connaissances, mon vendeur, Maître… pour vos paroles et vos réactions qui m’ont permis de vite remettre cette femme à sa vraie place: nulle part!
Lundi ma plainte sera déposée au tribunal de Médenine…
* Citoyenne tunisienne.
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