L’économiste et ancien ministre Hassine Dimassi pose un regard implacable sur l’évolution mitigée de la Tunisie au cours des 60 dernières années et propose des pistes de réformes nécessaires pour corriger et réorienter le modèle de développement en vigueur dans le pays.
Par Khémaies Krimi
Réputé impitoyable vis-à-vis des effets pervers du corporatisme syndical et, surtout, des revendications salariales excessives, Hassine Dimassi, professeur d’économie et ancien ministre des Finances, a élargi, ces derniers jours, ses diatribes à toutes «les institutions de l’Etat qui évoluent dans un monde anachronique en dehors de l’Histoire», selon ses termes.
Dans une communication improvisée faite dans le cadre d’une conférence, tenue le jeudi 28 juin 2018, à Tunis, sur «le dialogue social et le pluralisme syndical», M. Dimassi a commencé par dresser un bilan macroéconomique négatif de la Tunisie depuis son accès à l’indépendance en 1956.
Déficience des paramètres de développement
Pour lui, le modèle de développement clientéliste suivi depuis cette date a atteint ses limites en raison de la déficience des trois facteurs qui l’ont soutenu, en l’occurrence, la disponibilité de ressources naturelles, l’éducation et le secteur public (administration, établissements et entreprises publics).
L’économiste a imputé les quelques acquis accomplis depuis l’indépendance à l’exploitation excessive des ressources naturelles du pays au point de provoquer, 62 ans après, leur épuisement total, et ce, sans aucune alternative crédible.
En clair, pour lui, le Tunisien n’a pas assez travaillé, n’a pas été assez productif et n’a pas créé assez de plus-value et de valeur.
S’agissant de la qualité des ressources humaines, l’expert a estimé que l’éducation, fierté de l’équipe post-indépendance, a perdu, 62 ans après, son noble statut d’ascenseur social et a migré du stade de l’excellence vers celui de l’arnaque, allusion aux notes gonflés, au dopage imposé aux élèves par les cours particuliers et au recul du niveau scolaire en général.
Quant secteur public, «secteur fourre-tout», il a également atteint ses limites et ne peut plus jouer son rôle d’activité à forte employabilité. L’équilibre entre le public et le privé a totalement changé en faveur du second, qui attire davantage la qualité et l’excellence.
Ratages de la classe politique post-14 janvier 2011
Face à ce legs peu reluisant, Hassine Dimassi pense que la classe politique et les institutions du pays, qui ont émergé après le soulèvement du 14 janvier 2011, n’ont pas fait mieux. Elles n’ont pas su, à leur tour, s’adapter et prendre conscience à temps des changements structurels qui ont eu lieu dans le monde.
Parmi ces changements, il a cité la globalisation-mondialisation de l’économie et la révolution numérique. «C’est pourquoi, nous pensons aujourd’hui que ces institutions évoluent en dehors de l’Histoire, voire à la marge des révolutions multiformes que connaît le monde dans tous les domaines», a-t-il-dit.
Des pistes à explorer pour s’en sortir
Pour s’en sortir, l’économiste propose d’explorer, impérativement, trois pistes. La première consiste à investir gros, même très gros, dans l’éducation et la formation en général et à compter, à cette fin, sur les avantages de la numérisation pour atteindre des résultats dans les meilleurs délais.
En second lieu, M. Dimassi propose aux Tunisiens d’exploiter la précieuse opportunité que leur offre la proximité de l’Europe pour deux raisons principales. Il s’agit de saisir la chance du vieillissement de la population du vieux contient pour placer, dans le cadre d’une émigration organisée, l’excédent de demandeurs d’emplois tunisiens. Les Tunisiens peuvent aussi, à la faveur des conventions conclues avec l’Union européenne (UE), prendre un raccourci heureux en tirant le meilleur profit des progrès accomplis en Europe en matière de recherche et d’innovation technologique.
La troisième piste concerne la paix sociale à travers la réorganisation du monde du travail et le dialogue social. Pour les syndicats et le reste des partenaires sociaux, l’idée de l’expert serait de transcender les négociations stériles et improductives sur les majorations salariales pour d’autres négociations plus globales qui toucheraient l’amélioration de la productivité et la répartition équitable de la richesse entre patrons et travailleurs.
Hassine Dimassi, on le sait, a été dans les rouages de l’Etat en tant ministre des Finances. Il est très sollicité par les médias et les organisations de la société civile. Il est, également, l’un des conseillers du président de la république, Béji Caid Esssebsi, qui l’a chargé d’encadrer une grande réforme. Aussi, et par-delà ses propositions soulignées ci-haut et qui ne sont pas vraiment inédites, il a tous les moyens intellectuels et la crédibilité politique requise, pour faire mieux et animer une réflexion indépendante sur un nouveau grand projet de société et sur un nouveau modèle de développement qui ne serait pas dictée par une quelconque partie influente, intérieure ou extérieure au pays.
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