Les membres de la Colibe posant devant le portrait de Bourguiba.
Un pays où les relations sexuelles pratiquées en dehors du mariage entre deux adultes consentants sont encore passibles de prison et où l’acte de manger et de boire en public peut également s’achever par un petit séjour en taule, peut-il être dit libre ?
Par Mohamed Sadok Lejri *
En Tunisie, dès que l’on aborde la question des libertés individuelles, les conservateurs qui ne veulent pas se faire passer pour des rétrogrades constipés et des ennemis de la liberté se mettent à défendre leur point de vue à coups d’arguments fallacieux et exécutent quelques tours de passe-passe dans l’espoir de botter la question en touche le plus rapidement possible.
Ils recourent toujours aux mêmes procédés rhétoriques afin de briser cet élan libérateur : «Ce n’est pas le bon moment !»; «Vous parlez de choses futiles, tandis que les problèmes essentiels, tels que le chômage des jeunes et l’endettement de l’Etat, sont relégués au second plan»; «Qui les a dérangés, ces bourgeois qui craignent pour leur liberté?»… En d’autres termes, fermez-là, je vous interdis d’exprimer en public une conviction différente de la mienne ! A fortiori si je la trouve choquante et moralement/religieusement incorrectes.
S’affranchir des traditions archaïques et liberticides
«Nous avons d’autres chats à fouetter. Des gens crèvent de faim et vous me parlez des droits des homosexuels, d’athéisme, de féminisme et d’égalité successorale?» L’on nous a, en effet, sorti ces questions fallacieuses, lors du débat sur la laïcité, la liberté de conscience, l’égalité dans l’héritage…
Il faut revendiquer ses droits quand l’occasion se présente et le rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) représente une aubaine pour le pays, a fortiori pour les personnes qui se sentent aujourd’hui marginalisées, voire ostracisées, et qui rêvent de s’affranchir de la tutelle étouffante de la religion et des traditions archaïques et liberticides.
Pour que la société tunisienne se transforme profondément et pour que chacun trouve sa place et y vive épanoui, il faut en finir avec le conservatisme ambiant et le modèle d’enseignement qu’on nous impose depuis des siècles.
Dans tous les pays développés et civilisés, les libertés individuelles sont reconnues et protégées par l’Etat. Nous vivons encore dans un pays où l’homosexualité et les relations sexuelles pratiquées en dehors du mariage entre deux adultes consentants sont encore passibles de prison.
Ce n’est pas à la société de décider de ce que je dois faire de mon sexe. L’acte de manger et de boire en public peut également s’achever par un petit séjour en taule. Ce qui est tout bonnement scandaleux dans un pays qui se gargarise de révolution et de démocratie depuis huit ans.
Ce pays a besoin d’une bourrasque révolutionnaire qui fasse tomber les feuilles mortes, il a besoin d’un électrochoc désinhibiteur grâce à quoi bien des tabous, sexuels et autres, s’affaibliront. Il est grand temps que les idées neuves, désinhibitrices et libératrices passent par la brèche du 14 janvier 2011.
Une révolution des mentalités s’impose
La Tunisie est en train de vivre un moment historique, ce qui se passe dans ce pays annonce peut-être une révolution culturelle et sociétale. En Tunisie, une révolution des mentalités s’impose. Disons les choses sans subterfuges et sans faux-fuyants : les Tunisiens sont majoritairement musulmans et, comme tous les musulmans, ils sont profondément intolérants et ne respectent pas les convictions, les religions et les mœurs différentes des leurs. Par conséquent, l’Autre doit être ignoré s’il reste muré dans le silence, réduit au mutisme s’il devient revendicatif. L’Autre, c’est celui qui ne rentre pas dans leur moule culturel et traditionnel, c’est celui qui n’entre pas dans leur moule dogmatique.
La Colibe est en train de tracer une nouvelle voie, celle de la liberté pour tous et de l’épanouissement, elle pose les premiers jalons d’un pays «arabo-musulman» véritablement démocratique et respectueux des libertés. Les opportunités de ce genre ne se présentent pas souvent dans l’histoire d’un pays. C’est à l’ensemble de la société de se montrer à la hauteur de ce rendez-vous. En réalité, il ne s’agit pas d’une petite évolution sociétale, mais de responsabilité historique. Osons.
* Universitaire.
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