Un des événements de ce 54e Festival international de Carthage avait lieu le mardi 7 août 2018 dans un amphithéâtre complet. Venu tout droit de Marseille, L’Algérino avait avec lui un public acquis à sa cause et une série de tubes efficaces.
Par Seif-Eddine Yahia
Loin d’être un débutant dans la musique, L’Algérino totalise déjà 20 ans de carrière. Originaire de Marseille, le rappeur a débuté dans le label «361 Records» d’Akhenaton, figure tutélaire du rap sudiste. Dans ce vivier qu’était le label du leader d’IAM, L’Algérino a côtoyé les Psy4 de la Rime (le groupe de Soprano et d’Alonzo), le chanteur Saïd ou le groupe Chiens de Paille. Il y a enregistré son premier album avant de voler de ses propres ailes. Après s’être essayé à plusieurs sous-genres, et après une traversée du désert, l’Algérino est devenu un des leaders de la nouvelle scène rap marseillaise actuelle aux côtés de SCH, JUL, NAPS ou Soprano.
Dans cette scène marseillaise, L’Algérino s’est spécialisé dans un sous-genre quelque peu méprisé et souvent appelé le «rap de chicha». Caractérisé par des rythmes festifs, par la légèreté des thèmes abordés et par un recours massif à l’autotune, ce genre est actuellement un de ceux dont les chiffres de ventes et d’écoute sont les plus élevés des deux côtés de la Méditerranée.
Tubes, autotune et public en ébullition
Avec plusieurs tubes de l’été à son actif, L’Algérino venait clairement en terrain conquis à Carthage. Le théâtre était rempli une heure et demi avant le début du show et le public donnait de la voix à chaque apparition du chanteur sur les écrans de la scène du festival.
Accompagné d’un DJ nommé Carlton Banks, en hommage au légendaire cousin de Will Smith dans « Le Prince de Bel Air » et de Dédé Maestro aux claviers, L’Algérino a fait son entrée sur scène face à un théâtre rempli comme rarement.
Fidèle à ses habitudes, il est venu avec «la coupe à Elvis» et vêtu de sa célèbre chemise à motifs Versace le rapprochant de deux de ses influences musicales : 2pac et Rachid Taha.
Pour commencer ce concert d’une heure et demi, L’Algérino a souhaité frapper fort en reprenant un de ses succès les plus récents : « Va Bene » qui a notamment servi de bande-son au dernier film « Taxi 5 » de Franck Gastambide. Un tube repris par tous qui a permis de démarrer le concert dans les meilleures conditions.
Le rappeur a enchaîné avec son tube de l’été dernier, « Les menottes », une des chansons qui avait contribué à populariser l’expression «Tching Tchang Tchong» avec «Tchiki Tchiki» de PNL. L’emploi de cette expression ambiguë avait d’ailleurs fait l’objet d’une analyse intéressante de la part du journaliste Shkyd dans Yard. Un article que je vous invite à lire.
Carthage a continué à s’enflammer avec « Banderas », « Diggy Style », « Princes de la Ville », trois morceaux clairement écrits pour donner envie de rouler les vitres baissées sur la Corniche de Marseille entre le Prado et la plage des Catalans.
Ph. Festival international de Carthage.
Des influences venues des deux bords de la Méditerranée
A la fin de « Princes de la Ville », le natif des quartiers Nord de Marseille en a profité pour reprendre le refrain de « Didi » de Cheb Khaled. Le chanteur a mis en avant ses origines algériennes à plusieurs reprises au cours du spectacle, en rendant notamment hommage au rossignol du Raï, cheb Hasni assassiné en 1994.
Dans le rap français du milieu des années 2000 au début des années 2010, le Maghreb uni était un des thèmes récurrents pour la plupart des rappeurs d’origine maghrébine. L’Algérino n’a pas fait exception à la règle a fait aussi ce qu’il a appelé «un hymne pour le rassemblement maghrébin» mais qui sonnait plus comme une revendication identitaire chaouie. Avec son titre « Bawa », interprété sur scène, L’Algérino a rejoint les défenseurs de l’identité Chaouie en France à l’image de Mohamed Mazouni.
L’Algérino, qui avait la fâcheuse tendance de parler de lui à la troisième personne pendant les interludes du concert, a repris des morceaux plus anciens comme « Sur la tête de ma mère », un des gros succès de l’année 2010.
Le rappeur marseillais a interprété d’autres morceaux un peu moins connus et plus intimistes de son répertoire comme « Si tu savais » ou « ça va aller », une version « low-cost » et autotunée de « Petit Frère » d’IAM.
Pour compléter le spectacle, L’Algérino a cherché à diversifier les styles musicaux proposés en faisant quelques incursions dans le reggae ou le merengue, nous montrant par la même occasion les limites de son utilisation de l’autotune en concert.
Au niveau des textes, on était généralement sur quelque chose d’assez festif avec des paroles qui n’ont pas prétention à révolutionner le genre ou à concurrencer les grandes plumes du rap français. Cependant, sur quelques morceaux, on a eu droit à de bonnes surprises, comme des citations tirées de « C’est arrivé près de chez vous » ou des références à « Gomorra » qui est, rappelons-le, une très grande série.
L’Algérino a interprété son dernier succès en date : « Panama » qui totalise déjà plus de 70 millions de vues sur Youtube. Le public, dans son ensemble, a repris en chœur le refrain de ce tube. On a donc entendu entre 10 et 15.000 personnes de tous les âges, des enfants aux personnes du troisième âge chanter les paroles suivantes : «Elle fait la meuf docile, mais c’est une vraie Sheytana/ Tu la ramènes à l’hôtel, elle dit qu’elle a ses ragnagnas.»
Une scène assez surréaliste, face à laquelle je ne peux que reprendre les mots d’un journaliste célèbre qui disait: «Après avoir vu ça, je pense qu’on peut mourir en paix. Le plus tard possible mais on peut mourir tranquille.»
La soirée s’est terminée comme elle a commencé avec « Va Bene » et « Les menottes » que L’Algérino a interprétés avec le drapeau tunisien sur les épaules.
Le rappeur est venu sur la scène de Carthage armé d’une fanbase solide et d’une série de tubes connus par le plus grand nombre. La ferveur du public a aidé au succès d’un show qui était par ailleurs plutôt bien réglé, dynamique et en adéquation avec ce qu’on attendait. On peut ne pas être fan de la musique de L’Algérino mais on doit lui reconnaître un vrai talent scénique et un sens du tube imparable.
Tout comme Booba l’an dernier à la même époque, le Marseillais a rempli le théâtre et a généré une ambiance incroyable, montrant au passage que le rap français était une des valeurs sûres du festival en termes de ventes.
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