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Caïd Essebsi renvoie dos-à-dos islamistes et modernistes

Ce n’est pas cet homme, Béji Caïd Essebsi (BCE) qui débarrassera la Tunisie de l’imposture intégriste, d’autant qu’il ne cesse de marteler sa volonté de maintenir le cap s’agissant de l’association d’Ennahdha au gouvernement du pays.

Par Assâad Jomâa *

Après avoir attentivement suivi l’allocution prononcée par le Président de la République, hier, lundi 13 août 2018, à l’occasion du jour anniversaire de la fête nationale de la femme, censée être destinée à engager le processus de réforme du Code du statut personnel. Celle-ci prenant appui sur les conclusions du rapport remis le 8 juin 2018 par les membres de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) devait éradiquer toute forme d’inégalitarisme entre les deux sexes et de restriction antirationnelle aux libertés individuelles au nom des prescriptions religieuses.

Or, ne retenant qu’une seule recommandation parmi les dizaines de mesures préconisées par ladite commission, sous prétexte que celle-ci était la plus importante (selon quels critères ? serions-nous en droit de nous interroger), le Président de la République a expurgé le processus réformateur de sa teneur réelle : la dissociation entre droit tunisien positif et charia (droit islamique) d’origine divine.

Amalgame entre l’ordre du religieux et l’ordre civil

De ce point de vue aucune avancée tangible n’a été enregistrée dans le discours présidentiel. Pire encore, BCE a sciemment entrepris l’amalgame entre droit positif et charia islamique, au gré de circonvolutions dignes des meilleurs contorsionnistes, sous prétexte que les Tunisiens étant musulmans, il convenait de prendre en considération leurs sentiments (entendez : conscience) religieux en s’abstenant de les heurter en contrevenant aux prescriptions de l’islam. Avait-il omis, quasi-centenaire qu’il est, son étayée assertion, constitution tunisienne de 2014 faisant foi, de la nature civile, et non point religieuse, de l’Etat tunisien ?!

Continuer à entretenir l’amalgame entre l’ordre du religieux et l’ordre du civil au sein de l’Etat c’est continuer à alimenter l’idéologie intégriste, ou pire encore contribuer à sa légitimation.

Il est plus qu’urgentissime que le Chef de l’Etat fasse la distinction entre sa qualité de fidèle musulman, ce qui ressort de la sphère de sa vie privée, et sa fonction de Président de la République. Sa foi religieuse ne doit en aucune manière interférer dans son statut de garant de l’Esprit des Lois. Renvoyer dos-à-dos Frères musulmans-Emirat de Tunisie et modernistes locaux ne servirait qu’à attiser le conflit entre eux, et à aggraver la fracture socio-culturelle qui oppose déjà de manières dramatique les Tunisiens.

Caïd Essebsi contredit la disposition constitutionnelle

Louvoyer et finasser en défonçant des portes ouvertes déjà depuis bien longtemps. Telle cette «réforme légale», tautologique s’il en est, en vertu de laquelle les Tunisiens accéderaient au «privilège» testamentaire de léguer leur héritage à parts égales indépendamment du sexe des ayants droits, chose qui ne requiert point, en l’état actuel des textes, de disposition légale particulière. Ce faisant, et sous prétexte de se mettre en conformité avec la conscience religieuse des pieux tunisiens, le Chef de l’Etat conforte la secte des Frères musulmans-Faction tunisienne dans leur position et contredit la disposition constitutionnelle stipulant que l’Etat tunisien est un Etat civil et non point religieux, ou théocratique selon la dénomination consacrée.

Comble de maladresse, au moment où les esprits sont surchauffés par ce débat, décisif pour l’avenir civilisationnel de notre Tunisie, BCE ne trouve rien de mieux à faire que de marteler sa volonté de maintenir le cap s’agissant de l’association d’Ennahdha au gouvernement du pays.

Le dédouanant de son exploitation scandaleuse des déboires politiques de Nidâa et du différend stratégique du Chef de l’Etat avec le Chef du Gouvernement, ayant ouvertement semé la zizanie entre les différents antagonistes, mettant en péril les intérêts supérieurs de la Nation, et sciemment provoqué la paralysie des rouages de l’Etat, le parti islamiste, présenté par BCE comme dépositaire de la conscience religieuse du pieux tunisien, a été totalement blanchi, est présenté par le Chef de l’Etat, de ce fait, encore crédible dans son rôle de partenaire politiquement incontournable.

Caïd Essebsi n’est pas outillé pour combattre l’intégrisme

Observé du point de vue de l’idéologie des Frères musulmans, dont Ennahadha, à en juger par les propos de l’imâm en chef, Rached Al-Khrîjî alias Ghannouchi, à l’intention du Calife de la Porte sublime ottomane, n’en est que l’avatar local, les questions posées par la commission précitée paraissent bien minimes au regard de la monstruosité du projet salafiste dans son ensemble.

La régression de l’option salafiste, ne concerne pas seulement les femmes tunisienne, la société tunisienne, ou encore l’humanité, cette régression est plus dangereusement ontologique. Or, il est fort à craindre que l’actuel président de la république ne soit ni psychologiquement ni politiquement outillé pour combattre, et encore moins vaincre, la nébuleuse «khwanjiyya».

* Universitaire.

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