Avec l’entretien télévisé d’avant-hier sur El Hiwar Ettounsi, la page Béji Caïd Essebsi vient d’être tournée. La Tunisie a désormais besoin d’une nouvelle dynamique politique qui soit incarnée par des hommes nouveaux capables de redonner de l’espoir à une population épuisée par sept ans d’instabilité.
Par Salah El-Gharbi *
Les attentes du grand public et de la classe politique étaient grandes, tellement la crise de l’exécutif paralysait l’action des institutions et plongeait le pays tout entier dans le désarroi. Ainsi, tous les regards étaient dirigés vers Carthage, animés par l’ultime espoir d’entendre Béji Caïd Essebsi, qui, en créant Nidaa Tounes en juin 2012, les avaient sauvés du désespoir et réconciliés avec la politique, s’adresser au pays pour lui démontrer qu’il était encore l’homme de la situation, capable de transcender les clivages mesquins, de redresser la barre et de rétablir la confiance des Tunisiens dans leur Etat.
Le président empêtré dans ses contradictions
Et lundi soir, 24 septembre 2018, l’entretien a eu lieu et la parole présidentielle, confuse, hésitante et contradictoire, est venue tuer les derniers espoirs que portait, au regard du grand public, la personne du président de la république. Face à une Maryam Belkadhi tenace, soutenue par la régie d’El Hiwar Ettounsi, M. Caïd Essebsi, pris au piège du direct, n’a fait, durant presque une heure, que se débattre, cherchant à esquiver les questions toujours embarrassantes et se retrancher derrière la dénégation systématique.
Il ne serait pour rien dans la guerre que son fils, Hafedh, mène contre Youssef Chahed ni dans la gestion calamiteuse de Nidaa Tounes par ce même fils. Pis encore, il n’aurait aucune animosité envers le chef du gouvernement et ne chercherait que l’intérêt de la nation… Des déclarations aussitôt dites aussitôt démenties, en filigrane, au fil du discours.
Si, au cours de son précédent entretien télévisé avec Nessma, Béji Caïd Essebsi avait déjà montré le visage d’un homme tourmenté, avant-hier, on a eu droit à un spectacle pathétique, affligeant, celui d’un père affaibli par l’âge et qui était venu plaider, becs et ongles, la cause de son fils, réduit à se défendre, parant maladroitement les questions embarrassantes que l’animatrice lui posait, et reposait, se dérobant assez souvent aux reproches et aux critiques de ses adversaires.
Un patriarche prisonnier d’un incommensurable ego
Alors que sur Nessma, le nom du fils était sciemment tu, lundi soir, le couvercle étant levé, le président ne pouvait que subir la séance de supplice que Maryam Belkadhi allait lui infliger. Rien n’a pu fonctionner comme il l’aurait souhaité. Ni les proverbes, ni les vers de poésie, ni les versets du Coran, qui d’habitude pimentaient ses interventions, ni les esquives et les louvoiements n’ont réussi à changer la donne. Sa solitude était terrible. Le désarroi était imprimé sur son visage d’homme touché dans son amour propre, prisonnier d’un incommensurable ego.
Lundi soir, Béji Caïd Essebsi est venu annoncer qu’il n’était plus maître de lui-même, que, politiquement, il ne devait plus rien attendre de lui. Contrarié dans ses projets personnels et domestiques, nourri d’amertume, il serait incapable de contribuer à la résolution d’une crise dont il serait le premier responsable.
En fait, sur El Hiwar Ettounsi, alors que tout le monde attendait un geste fort qui mènerait vers une issue de la crise, Béji Caïd Essebsi n’a fait que raviver les polémiques, cherchant désespérément à courtiser les «anti-Ennahdha», en insistant sur le soutien que le parti islamiste accorde à Youssef Chahed, tout en offrant un deal au chef du gouvernement selon lequel il serait prêt à convaincre son fils de se retirer de Nidaa Tounès s’il se résignait, lui, à quitter la Kasbah.
Certes, le «soutien» tactique des islamistes à Chahed reste un peu handicapant pour ce dernier. Mais après la décevante prestation de lundi soir, ce qui est sûr, c’est que ni le père ni le fils ne sortent indemnes.
La page Béji Caïd Essebsi vient d’être tournée
D’une part, le président vient de frustrer définitivement les quelques membres importants de Nidaa traînant encore les pieds et espérant un possible sursaut positif du père pour calmer les ardeurs impénitentes du fils.
D’autre part, en s’attaquant directement au «Monastiriens», qualifiés de «putschistes», l’«habile homme politique» qu’il était a failli s’aliéner une composante importante de ce qui reste de ses soutiens.
Certes, Béji Caïd Essebsi, en tant que Premier ministre, en 2011, puis comme leader politique à partir de 2012, avait joué un rôle décisif et historique, évitant au pays de sombrer dans le désordre. Il était véritablement l’homme du moment. Dans un contexte aussi difficile que celui de la Tunisie «post-révolution», il avait su séduire et galvaniser les foules et rendre l’espoir au Tunisiens. Mais, depuis qu’il est à la tête de l’Etat, «Si El-Béji», qu’on avait suivi, adulé et encensé, est devenu un vieux père qui, grisé par sa position, est réduit à manœuvrer, de moins en moins habilement, pour se maintenir et renforcer l’autorité d’un fils futile et arrogant, au détriment de l’intérêt supérieur du pays.
Avec l’entretien télévisé d’avant-hier, une page vient d’être tournée. Désormais, le pays aura besoin d’une nouvelle dynamique qui soit incarnée par des hommes nouveaux capables de redonner de l’espoir à une population meurtrie, épuisée par sept ans d’instabilité, voire d’anarchie.
* Universitaire et écrivain.
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