Carte de la peine de mort dans le monde : La Tunisie est un pays abolitionniste dans la pratique (La Documentation française).
La peine de mort est, manifestement, une pratique barbare à laquelle les sociétés violentes ne semblent pas vouloir renoncer pour satisfaire leur besoin de vengeance. Il faut avoir le courage de l’abolir et ne pas attendre que l’opinion publique devienne abolitionniste.
Par Mohamed Sadok Lejri *
En réponse à la recrudescence des crimes de sang, des cas de viols et d’agressions sexuelles sur les mineurs, l’avocat Nizar Ayed prône, en direct à la radio sur Jawhara fm, l’application de la peine de mort contre les auteurs d’actes atroces pour en dissuader d’autres de commettre de pareils crimes.
Il ne serait pas vain de rappeler que la personne que l’on condamne à la peine de mort ne naît pas programmé pour tuer et commettre des actes monstrueux, elle devient criminelle pour des raisons complexes qui s’imbriquent au fil du parcours de sa vie. Le passage à l’acte ne se produit pas d’un coup, l’acte devient possible pour de multiples raisons, c’est la conséquence de tant de paramètres combinés. Tout le monde n’a pas la chance de recevoir une bonne éducation et de grandir dans une famille équilibrée capable de faire de sa progéniture de futurs adultes équilibrés.
Les arguments des partisans de la logique de vengeance
C’est impressionnant à quel point les Tunisiens prennent du plaisir à s’inscrire dans une logique de vengeance dès lors qu’il s’agit de crime de sang et de viol. Ils scandent toujours les mêmes slogans en avançant avec un aplomb imperturbable cet argument qui sonne un peu comme une ritournelle : «Il existe des personnes qui violent des enfants et les tuent par la suite ! Ces monstres doivent disparaître»; «la peine de mort mérite d’exister, rien que pour ces criminels»… Pour «coincer» les abolitionnistes, on tente de les impliquer personnellement en recourant à la projection et à l’identification aux victimes. Vient ensuite cette fameuse question qui revêt souvent un caractère d’argument d’autorité et qui ne tarde pas à tomber comme un couperet : «Et si ton propre enfant se faisait violer et tuer de façon atroce, tu serais toujours pour l’abolition de la peine de mort ?»
Ceux qui analysent cette question sous l’empire de la colère se fourvoient complètement. Cette question doit être envisagée à froid et avec lucidité, en dehors du registre émotionnel, sans se laisser guider par de violentes émotions. La peine capitale ne se pose pas en termes de «quelle position adopterais-tu s’il s’agissait de ton propre enfant?», ni même en termes de dissuasion et de choix répressif, mais en termes de choix moral et civilisationnel.
Nul n’a le droit d’ôter la vie à son semblable
En effet, en considération de la vie humaine qui est sacrée, il conviendrait de dire que c’est un acte tout à fait inhumain que de tuer volontairement un homme, aussi monstrueux soit-il. Même en vertu d’un jugement impartial, et par-delà le fait que les procédures d’un verdict ne sauraient être toujours exemptes de toute erreur et de tout parti pris, l’élimination physique d’un être humain par la justice demeure un scandale pour ceux qui placent l’Homme au centre de l’univers et au fondement de l’étant.
Ôter la vie à son semblable pour rendre justice n’est pas digne d’un pays qui aspire à donner l’exemple en matière des droits de l’Homme aux pays en voie de développement, notamment aux pays arabes, et qui ne se prive d’ailleurs pas de le proclamer. Nul n’a le droit d’ôter la vie à son semblable.
Pour d’aucuns, seule la mort peut dissuader les criminels, mais c’est faux. Pour les partisans de la peine capitale, cette loi qui tue est nécessaire et doit rester l’unique recours en cas de meurtre prémédité. Ils pensent que la mise à mort d’un criminel est le seul moyen de l’empêcher de récidiver un jour. Et c’est une idée approuvée par bon nombre de Tunisiens. Bon nombre de Tunisiens estiment, en effet, que cette peine a un effet dissuasif sur les criminels et permet donc de limiter le nombre de meurtres. Il n’en reste pas moins qu’aucune étude n’a prouvé la corrélation entre l’application de la peine de mort et la diminution du taux d’homicide dans un territoire donné. Qui plus est, un très grand nombre de Tunisiens ne semble pas prêt d’abandonner les préceptes inflexibles de la loi du talion, une loi expressément recommandée par le Coran. Ils estiment que la condamnation à mort est la seule peine qui puisse rendre justice à la victime et sa famille.
Une pratique barbare caractéristique des sociétés violentes
La peine de mort est, manifestement, une pratique barbare à laquelle les sociétés violentes ne semblent pas vouloir renoncer pour satisfaire leur besoin de vengeance. Il faut avoir le courage de l’abolir et ne pas attendre que l’opinion publique devienne abolitionniste, cette dernière y sera toujours largement favorable tant que cette peine existe encore. Si un jour l’abolition de la peine de mort devient une réalité dans ce pays, le nombre de Tunisiens qui y sont favorables régressera comme peau de chagrin au fil des ans.
Pour finir, et même s’il n’y a pas eu d’exécutions en Tunisie depuis 1991, je reprends à mon compte la fameuse citation de Maître Robert Badinter en y apportant de légères modifications : «Parce qu’aucun homme n’est totalement responsable et parce qu’aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable (…) La justice tunisienne ne doit pas être une justice qui tue.»
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