À l’heure actuelle, même le gouvernement le plus compétent possible et le plus honnête qui existe au monde ne peut pas faire grand-chose pour la Tunisie. Aussi les dirigeants syndicalistes doivent-ils desserrer leur étreinte pour éviter une descente aux enfers… dont personne ne sera épargné.
Par Mohamed Sadok Lejri *
Il est vrai que l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a joué un rôle de premier plan dans la lutte contre le «nazislamisme» et s’est opposée avec énergie aux velléités totalitaires dont le mouvement Ennahdha représentait l’élément moteur. L’UGTT s’est pleinement impliquée dans la résistance aux assauts des miliciens qui agissaient sous les ordres des tenants du projet obscurantiste. Les rouages du régime «novembriste» (par allusion au régime de Ben Ali qui prit le pouvoir le 7 novembre 1987, Ndlr) étaient en putréfaction et toutes les autres forces politiques ne s’étaient pas encore remises de la défaite des élections d’octobre 2011. L’UGTT constituait, de 2011 à 2014, le seul bastion contre le péril salafo-wahhabite.
L’UGTT s’acharne sur un corps exsangue
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors. Ce que fait l’UGTT depuis un bon bout de temps ressemble davantage à du grand n’importe quoi qu’à de l’activisme syndical. L’esprit de surenchère belliqueuse anime les représentants syndicalistes, lesquels poussent toujours plus loin les hostilités contre le gouvernement, comme s’ils étaient en guerre contre le gouvernement d’un Etat ennemi.
Certes, les temps sont durs pour tout le monde, a fortiori pour les fonctionnaires, mais on est en droit de se demander si cette intransigeance dans les revendications salariales n’est pas sous-tendue par l’idée de soumettre l’Etat à sa volonté de domination.
On a l’impression que le refus du gouvernement de ployer l’échine devant les «nouveaux maîtres» du pays exaspère au plus haut point les dirigeants syndicalistes. L’UGTT donne l’impression de participer au concours de la plus grosse queue. Tout le monde doit baisser d’un ton lorsqu’elle décide de prendre part à un mouvement revendicatif. Lorsque la centrale syndicale décide d’intervenir officiellement, ses interlocuteurs ont intérêt à se faire tout petits.
La complaisante lâcheté du monde politico-médiatique
Dans le monde politico-médiatique, tout le monde ménage leurs sautes d’humeur et leur impétuosité. Lorsque le verre est trop plein, on les invite à tempérer leur ardeur tout en les caressant dans le sens du poil. Personne n’ose leur balancer leurs quatre vérités en face.
En fait, les leaders de l’UGTT me rappellent ce basané menu, vêtu d’un costume qui fait trois fois sa taille, un «kostyme» dans lequel il flotte, et qui, par un fort malencontreux miracle (un miracle qui, dans ce pays, se répète abondamment depuis longtemps), accède à un poste de décision.
Celui-là prend de grands airs et a vite fait de verser dans l’arrogance en raison du soupçon d’autorité qu’on vient de lui accorder. Il fait de l’excès sa norme discursive et le délire semble dicter sa norme de conduite. Il prend alors un malicieux plaisir à vouloir humilier tout ce qui bouge pour exorciser tant d’années de frustration et de désirs refoulés, avec l’espoir de choper au passage Chadliya, alias Chadia, le mastodonte bronzé teint en blond, à la forte poitrine et aux fesses flasques, et qui lui fait office de secrétaire moins d’une heure par jour, étant trop occupée à se remaquiller le portrait et à limer des ongles hérités de l’instinct de survie.
Revendications excessives dans un pays vivant de mendicité
Noureddine Taboubi et ses camarades doivent retrouver la raison et arrêter de se réserver le rôle, faussement glorieux, de défenseurs des besogneux – même si «fonctionnaire besogneux» est un oxymore.
Ce jusqu’au-boutisme aurait été compréhensible dans une phase de prospérité économique où la considération des coûts pour l’Etat ne serait pas absolument impérative. Mais le pays ne produit pas grand-chose et vit de mendicité, le nombre de chômeurs s’accroît sans cesse et la conscience professionnelle est l’Arlésienne de ce pays.
La Tunisie erre tel un bateau ivre sur un océan de problèmes et de contradictions enfouis depuis des décennies sous des tonnes de poussière. C’est aussi un pays tiraillé à hue et à dia par de différentes factions. Comment peut-on se montrer aussi intraitable avec le gouvernement d’un pays qui part à vau-l’eau ? Il n’y a rien de glorieux que de s’acharner sur un Etat affaibli de toutes parts.
Pour un changement radical des mentalités et des comportements
Les problèmes de ce pays sont tellement profonds qu’ils exigent une multitude de refontes structurelles et un changement radical des mentalités et des comportements. Donc exiger l’éviction d’untel et imposer au gouvernement une pression permanente ne riment à rien.
Aucune évolution socio-économique ne pourra se faire dans ce pays et rien ne débouchera sur des réformes salutaires de type structurel, tant que les revendications corporatistes tiennent le haut du pavé et tant que les partisans du corporatisme se laisseront griser par le poujadisme.
À l’heure actuelle, même le gouvernement le plus compétent possible et le plus honnête qui existe au monde ne peut pas faire grand-chose pour la Tunisie. C’est notoire, les syndicalistes ont une bonne descente, il faut donc qu’ils mettent de l’eau dans leur vin. C’est une chose infâme que de s’acharner avec autant de hargne sur un corps exsangue.
* Universitaire.
La Tunisie ne peut continuer à vivre au-dessus de ses moyens
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