La loi de finances (LF) fait toujours l’objet de vifs débats au sein du paysage économique et politique en Tunisie. Bien que considérée «moins agressive» que les années précédentes, celle de 2019 n’a pas échappé à cette règle…
Par Cherif Ben Younès
En présence de près de 300 participants entre hommes d’affaires, fiscalistes, comptables, banquiers et journalistes, un séminaire sur l’impact de la loi de finances de 2019 et les nouvelles dispositions fiscales sur la pérennité des entreprises, s’est tenue hier, mardi 29 janvier 2019, à l’hôtel Sheraton de Tunis.
Deux parties ont pris la parole lors de cet événement : d’un côté, des représentants du gouvernement tunisien, et plus précisément du ministère des Finances, notamment le ministre lui-même, Ridha Chalghoum, qui s’est contenté de donner le coup d’envoi de ce rassemblement avant de quitter la salle. Et d’un autre côté, des délégués de l’organisme hôte de cet événement, le Conseil des chambres mixtes de Tunisie (CCM), dont la mission est de défendre au mieux les intérêts des entreprises étrangères représentées par ces chambres et aussi de contribuer à la notoriété du site d’affaires tunisien. Parmi ces délégués, il y a eu le modérateur du séminaire, Adel Mohsen Chaabane, trésorier de la Chambre tuniso-espagnole de commerce et d’industrie.
Ce rassemblement a été l’occasion d’exposer les principales dispositions de la loi de finances de 2019 par Sihem Nemsia, directrice générale des études de la législation fiscale au ministère des Finances. Suite à quoi, des conférenciers du CCM, ont présenté leurs réserves par rapport à cette loi et quelques aspects qu’ils espèrent voir développés lors de la LF de 2020.
Une loi glorifiée par le ministère des Finances
Mme Nemsia a commencé son intervention par indiquer que l’encouragement de l’investissement et du renforcement de la compétitivité des entreprises tunisiennes fait partie des principaux objectifs de la LF 2019, notamment à travers l’article 13 de cette loi, qui reconduit celui de la LF 2018, accordant l’avantage de l’exonération de 4 ans pour les entreprises ayant déposé une attestation d’investissement au cours de l’année 2020 (exception faite à certains secteurs, tels que celui de la promotion immobilière, du commerce ou encore les finances).
La nouveauté par rapport à 2018, s’est félicité Mme Nemsia, concerne les entreprises implantées dans les zones de développement régional qui bénéficieront désormais d’une période d’exonération supplémentaire de 5 ou 10 ans, selon leur zone. D’autres mesures s’inscrivant dans le même cadre ont été soulignées par la représentante du ministère des Finances, à l’image de la révision des taux de l’impôt sur les sociétés, qui sera désormais de 13,5% pour certains secteurs (plutôt que le taux en vigueur de 25%), l’institution du régime de la réévaluation légale des bilans pour les sociétés industrielles, l’octroi aux entreprises d’une déduction d’amortissement supplémentaire au titre des opérations de renouvellement et le soutien à la restructuration financière des hôtels touristiques.
L’autre grand axe autour duquel s’est articulée l’intervention de Mme Nemsia concerne l’harmonisation de la législation fiscale tunisienne avec les standards internationaux, ainsi que la concrétisation des engagements pris par le gouvernement tunisien vis-à-vis de certaines organisations internationales. Dans ce contexte, la clarification de la notion de lien de dépendance entre les entreprises, dans la LF 2019, a permis, selon l’intervenante, de concorder la législation fiscale en matière de prix de transfert avec les normes internationales.
Par ailleurs, la conférencière a mentionné d’autres mesures ayant contribué au même objectif, telles que l’harmonisation des pénalités de retard, la révision du régime fiscal de l’export et des prestataires des services financiers aux non-résidents, ou encore la soumission à la retenue à la source au taux de 25%, pour les établissements stables tunisiens des entreprises résidentes aux paradis fiscaux qui ne déposent la déclaration d’existence.
Mme Nemsia a conclu son intervention en discutant brièvement de deux autres objectifs que la LF 2019 tentera d’atteindre. À savoir la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales et l’élargissement de l’assiette imposable.
Le Conseil des chambres mixtes de Tunisie est moins emballé
De leur côté, les représentants du CCM ont exposé leurs réticences par rapport à certains points de la LF 2019 et ont présenté leurs espoirs et aspirations pour celle de 2020.
Leurs interventions ont été axées autour de plusieurs thèmes. Le premier consiste en l’uniformisation des taux d’imposition locale d’export à 13,5%, «une mesure qui risque de quasiment éliminer le concept de l’export», déplore l’animateur du séminaire, regrettant l’existence d’une liste restreinte des activités bénéficiaires de ce taux, et indiquant que le CCM aurait préféré que cette liste soit semblable à la nomenclature d’activités tunisiennes, incluant tous les secteurs de service et industriels.
Le deuxième thème concerne les investisseurs Tunisiens à l’étranger, et a été présenté par Riadh Touiti, avocat et membre du CCM. M. Touiti a notamment appelé à faciliter la possibilité de s’installer à l’étranger pour les sociétés tunisiennes en enlevant la condition selon laquelle elles doivent réaliser un chiffre minimum à l’export, estimant que cela constitue un obstacle de taille pour des entreprises pouvant être, sans forcément satisfaire cette condition, très performantes à l’étranger. Il a également proposé de mettre en place un programme pour l’implantation des entreprises tunisiennes en Afrique, un marché très peu exploité, selon le conférencier, malgré les excellentes relations diplomatiques qu’entretient la Tunisie avec les différents pays de son continent. Son autre suggestion consiste à l’exonération des dividendes et les plus-values des sessions et des actions provenant de l’étranger, sous réserve de ce qui est prévu par les conventions internationales. Il a enfin appelé à accorder un dégrèvement sur les bénéfices investis à l’étranger sans le minimum d’impôt.
Le troisième thème est l’harmonisation entre les législations fiscale et comptable, un thème qui a été présenté par Manel Bordi, conseillère fiscale et membre de la Chambre de commerce tuniso-britannique. Mme Bordi a exprimé son souhait de rapprocher la déductibilité des provisions avec la réalité économique, estimant qu’il ne doit pas y avoir de limites ni de conditions freinant ou compliquant la procédure de déduction des provisions pour créance douteuse. Elle a, dans le même ordre d’idées, proposé de prévoir la possibilité de constituer des provisions qui soient déduites comptablement et fiscalement dans une proportion acceptable de 2 à 3% du chiffre d’affaire. D’un autre côté, la conseillère fiscale a réclamé l’instauration d’un régime fiscal spécifique pour les dépenses de recherche et développement.
Enfin, d’autres thèmes ont été brièvement abordés par d’autres représentants du CCM, notamment celui sur la réglementation de changes où on a appelé à une réforme de celle-ci et à la mise en place d’une amnistie de changes.
D’autre part, en ce qui concerne les douanes, le CCM réclame une révision des tarifs pour certains intrants et une simplification de la procédure de vente sur le marché local par les entreprises totalement exportatrice.
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