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Après l’affaire de Regueb : Et si on parlait de la maltraitance des enfants ?

La société tunisienne vit, ces jours-ci, un état de choc, ayant pour cause l’affaire Regueb, où des enfants ont subi, durant une longue période, une vraie torture psychologique et physique (violence, exploitation, abus sexuel, privation de nourriture, etc.). Une abomination extrême qui éveille forcément les consciences.

Par Cherif Ben Younès

Pourtant, cette affaire n’est que la partie émergée de l’iceberg, car les droits des enfants en Tunisie sont horriblement bafoués, et ce à peu près à toutes les échelles : familiale, sociale, éducative, juridique, etc. Et les gens ont appris à normaliser avec cette situation, ne se rendant compte de la gravité de la maltraitance que subissent les enfants que dans les cas les plus extrêmes, et encore…

La violence envers les enfants est très banalisée par la société

La violence physique à l’encontre des enfants, exercée principalement par les parents, est l’un des crimes (car frapper un être humain, qui plus est sans défense, est d’un point de vue juridique, un crime) les plus banalisés en Tunisie, comme le montre les statistiques récoltées par l’Institut national de la statistique (INS), en collaboration avec le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) en 2012 : 93% des enfants tunisiens âgés de 2 à 14 ans ont été, au moins une fois, victimes de violence par un membre de leur famille.

Cette banalisation est parfaitement illustrée par les multiples dérapages médiatiques liés à ce sujet, où des «chroniqueurs» (s’il convient de les nommer ainsi) et des animateurs, à l’instar de Naoufel Ouertani, le célèbre présentateur d’Attesia TV et de Mosaïque FM, ont, maintes fois, exprimé leur approbation des méthodes violentes dans l’éducation des petits, en reprenant candidement des propos sociétaux dénotant une ignorance et une simplicité d’esprit hors du commun : «C’est pour leur bien», «On nous a frappé dans notre enfance et c’est ainsi que nous sommes devenus des hommes», «Il y a des enfants qui n’obéissent que lorsqu’on les tape», etc. Des propos qui contribuent à l’abrutissement de la société, déjà très favorable, dans sa majorité, à la violence envers les enfants, en tant que moyen d’éducation.

Les spécialistes déconseillent fortement toute sorte de violence envers les enfants

Pourtant, la psychologie de l’enfant, une discipline scientifique qui a pour objet d’étude les processus de pensée et des comportements de l’enfant, son développement psychologique et ses problèmes éventuels, est catégorique à ce sujet : toute sorte de violence physique envers les petits est nuisible, y compris «la violence modérée». Et pour cause, le fait que les «avantages» recherchés, à court terme, par les parents lorsqu’ils frappent leurs enfants (comme l’obéissance) sont négligeables devant les effets négatifs, à long terme et souvent permanents, que même une simple fessée peut leur causer, notamment en portant préjudice à leur dignité et à leur estime de soi, des éléments fondamentalement essentiels pour leur équilibre psychologique, pas seulement à l’enfance, mais également dans leurs futures vies d’adultes.

En outre, violenter un enfant, notamment par ses parents, véhicule un message implicite à ce dernier, dont la personnalité est en phase de construction, selon lequel la violence physique est un moyen légitime d’expression ou de résolution de problèmes, étant donné que les personnes envers lesquelles il a le plus de confiance et qu’il considère comme LES exemples à suivre, à savoir ses parents, agissent ainsi. Et à partir de là, il ne faut pas s’étonner de constater que cet enfant se met à recourir lui-même à la violence, envers ses copains ou ses frères et sœurs lorsqu’il est jeune, et plus tard, envers les gens qui le contrarient, sa campagne, et… ses enfants. Ce qui donne lieu à un cercle vicieux.

La maltraitance envers les enfants peut également être d’ordre moral. En ce sens, même la négligence affective est fortement déconseillée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui la considère explicitement comme une sorte de maltraitance. Il va sans dire que les autres formes de maltraitance morale (insultes, intimidation, demandes exagérées, privations abusives, exploitation émotionnelle, etc.) sont encore plus déplorables d’un point de vue scientifique et éthique.

Des abus qui franchissent des limites alarmantes

La maltraitance à l’enfant dépasse souvent le fait de donner des punitions démesurées pour tendre vers l’asservissement, surtout en ce qui concerne les enfants de sexe féminin, auxquelles on apprend, sans scrupule, à être au service des «mâles de la maison» et à s’occuper des tâches ménagères.

D’un autre côté, certaines familles – conservatrices – vont jusqu’à les obliger – ou à profiter de la naïveté naturelle des enfants pour les convaincre – de porter le voile, les condamnant ainsi à se percevoir comme des objets sexuels dès leur jeune âge.

Quelques familles tunisiennes vont au-delà de ces formes de maltraitance «classiques», et mettent carrément leurs enfants au travail, notamment dans les rues (en tant que vendeurs de «machmoum», de papiers mouchoirs ou d’autres marchandises dans le genre) ou encore dans des maisons d’accueil, où des fillettes sont privées de l’école et envoyées faire les bonniches couchantes, souvent à des centaines de kilomètres de leurs abris familiaux. Leur faisant ainsi courir, pour les uns comme pour les autres, le risque de subir d’autres types d’abus, notamment sexuel.

Faire travailler des enfants est certes interdit par la loi, mais presque uniquement sur le papier.

Ce ne sont pas les prétextes qui manquent…

Hormis le conditionnement social, qui facilite la banalisation de la violence, il y a une raison pas moins importante qui peut expliquer le recours à la maltraitance par les parents envers les êtres qui leur sont probablement les plus chers : leurs enfants. Il s’agit de l’appropriation. En effet, les gens ont tendance à percevoir leurs descendances comme une propriété privée, plutôt que comme des personnes à part entière, une propriété qu’ils peuvent modeler, endoctriner, punir, leur faire des choix de vie, etc. comme bon leur semble.

La religion, source de valeurs morales auprès d’une très large proportion de la société, n’arrange, de son côté, malheureusement pas les choses. En effet, on y trouve des «hadiths» (paroles prophétiques), considérés comme islamiquement authentiques, qui incitent explicitement à frapper les enfants à partir d’un certain âge, notamment pour les obliger à faire leurs «devoirs religieux» (pour la liberté de croyance, il faudra compter sur d’autres idéologies).

L’islam prône également la circoncision, une pratique originellement pharaonique selon certaines études historiques, mais adoptée par plusieurs mythologies plus récentes, est également un exemple de maltraitance extrêmement répandue dans la société tunisienne. Elle consiste à amputer une partie du corps du garçon, à savoir le prépuce, évidemment sans son approbation, et surtout sans qu’il y ait une nécessité médicale.

L’épisode des fiançailles de la fillette de 12 ans, qui a eu lieu en 2016, au gouvernorat de Gafsa, avec la bénédiction du délégué de la protection de l’enfance de la région, trouve également une justification religieuse consistant au mariage du prophète de l’islam (personnage censé être l’exemple à suivre pour tout musulman) avec Aïcha lorsqu’elle n’eut que 6 ans et à sa consommation (sexuelle) de ce mariage lorsqu’elle eut 9 ans, toujours selon des «hadiths» religieusement authentiques.

Plusieurs enseignants ne sont pas à la hauteur de leur responsabilité

En dehors du cadre familial, les enfants subissent également de la maltraitance là où ils sont pourtant supposés être entre de bonnes mains : l’école primaire, voire le collège. Si les familles englobent tous les types de personnes, de différents niveaux intellectuels, culturels et socio-économiques, ce qui explique certains abus parentaux, les enseignants sont, quant à eux, censés avoir un minimum de conscience vis-à-vis des droits des enfants et de la psychologie de l’enfant, métier et déontologie obligent. Malgré cela, une bonne partie d’entre eux a pris l’habitude de punir atrocement ses élèves, en les violentant, épaulée souvent par les parents eux-mêmes qui usent, sans gêne, d’expressions d’une extrême cruauté, à l’image de «Hasebni bel jeld» («Frappez-le jusqu’à lui retirer la peau») en parlant de leurs propres enfants.

Un problème profond et mondial

La maltraitance envers les enfants est loin d’être un phénomène exclusivement tunisien. À l’échelle internationale, selon l’Unicef, au moins un milliard d’enfants subissent des châtiments corporels, infligés régulièrement par leurs parents ou d’autres personnes s’occupant d’eux. Pire encore : toutes les 5 minutes, un enfant connaît une mort violente quelque part dans le monde. À l’école, plus d’un élève sur trois, âgé de 13 à 15 ans, subissent au moins un acte d’intimidation de manière régulière. Et la conscience des adultes laisse à désirer, puisque, toujours selon l’Unicef, environ 3 adultes sur 10 dans le monde pensent que le châtiment corporel est nécessaire pour élever ou éduquer correctement un enfant.

Le degré d’influence de la maltraitance des enfants sur ces derniers diffère d’un gamin à un autre, et dépend de plusieurs facteurs, notamment génétiques et environnementaux. Cela donne lieu, dans certains cas, à des états psychologiques très pénibles à supporter, voire névrotiques ou psychotiques. Et la conséquence est parfois dramatique : le suicide.

Tout cela ne signifie, bien entendu, pas que la société tente délibérément de porter préjudice aux enfants. Bien au contraire : on pense, naïvement, qu’on veille à leur intérêt à travers ces pratiques. Le problème est profond parce qu’il est ancré dans la conscience collective : ces traitements sont normalisés par la société et cela influence même l’application des lois, l’implication du gouvernement et la prise en considération de l’opinion scientifique.

Témoignage : À la rencontre des enfants du camp de Regueb

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