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Qu’arrive-t-il aux peuples qui ne lisent pas ?

Nous autres peuples arabes et musulmans, nous n’avons pas vraiment pris conscience de l’importance de la lecture, en tant qu’ouverture sur d’autres cultures, en tant que moyen d’accès aussi bien à la connaissance, à l’histoire, qu’à l’actualité.

Par Kahena Abbes *

Depuis l’indépendance de la Tunisie, en 1956, nous avons opté pour l’acquisition des techniques dans les différentes spécialités, sans chercher à connaître leurs fondements.

Ainsi nous avons formé une élite de technocrates dans plusieurs domaines, avec un cercle limité de penseurs, historiens, philosophes et intellectuels.

Nous avons réduit la recherche universitaire à l’obtention de diplômes et de fonctions.

Or, les peuples qui ne lisent pas sont exclus du cours de l’histoire, car ils ne peuvent croire qu’à une seule version du mal et du bien, une seule morale figée, une seule manière de voir le monde, une seule version de leur histoire.

Les peuples qui ne lisent pas, n’ont pas des réponses à leurs problèmes quotidiens, encore moins à ceux relatifs à la vie ou à la mort; ils se réfèrent à ceux de leurs ancêtres, sans pouvoir y croire vraiment.

Les peuples qui ne lisent pas se contentent de l’instantané, du concret, sans pouvoir les représenter.

Ils ne peuvent ni voyager dans le temps,ni explorer d’autres expériences.

Ils ignorent l’histoire des autres peuples et leurs spécificités.

Les peuples qui ne lisent pas ne savent pas que le sens des mots et des choses obéit à une genèse, ils ignorent ce qu’ils ont hérité comme croyances.

Ils ne peuvent se situer nulle part ni dans le passé, ni dans le présent, encore moins dans la tradition orale ou écrite, puisqu’ils n’ont exploré ni l’une ni l’autre.

Ils ne savent même pas que la lecture puisse être une possibilité de découverte de ce qui est pluriel et différent, de ce qui va advenir, de ce qui est occulté ou caché, ce qui est essentiel et profond, de ce qui relève du non-dit.

Les peuples qui ne lisent pas ne savent pas qu’une technique ou un savoir faire n’ouvre nullement les voies de la connaissance.

La lecture ne se contente pas d’enseigner sur ce qui a eu lieu, ou sur ce qui a été dit, mais ouvre la voie à des histoires, à des multiples manières de les raconter de les interpréter, à leur polysémie, à tout ce qui fait, qu’elles soient plurielles et contradictoires.

Car au-delà des lectures, il y a bien des mystères, au-delà des mystères des vérités, au-delà de la vérité une lumière.

Or nous sommes des peuples qui ne lisent pas, qui ignorent leur véritable situation dans le monde actuel et à travers l’histoire.

Le monde nous a précédés depuis bien longtemps, d’autres peuples ont forgé leurs mythes leurs histoires, mais nous n’en savons rien, nous ne sommes pas au centre, ni ailleurs, nous suivons le cours des événements sans en prendre part, puisque nous ne lisons pas, nous vivons dans l’illusion de pouvoir savoir, dans un monde dominé par l’information et la connaissance.

* Avocate et écrivaine.

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