Le tribunal administratif tunisien a prononcé, le 5 février 2019, un jugement passé presque inaperçu mais qui fera date dans l’histoire du syndicalisme tunisien.
Par Khémaies Krimi
En vertu de ce verdict, qui reconnaît le pluralisme syndical, tous les syndicats, légalement constitués, ont, désormais, le droit à la participation à la négociation et au dialogue entre les partenaires sociaux, à tous les niveaux et sur la base de la représentativité proportionnelle et non-restrictive. Ils ont également le droit d’être membre au Conseil national du dialogue social ainsi qu’aux subventions et aux détachements.
La Confédération générale tunisienne du travail (CGTT) que préside le militant Habib Guiza, qui était à l’origine de ce verdict, était la première à saluer, dans un communiqué, ce jugement définitif et historique.
«Le bureau exécutif rappelle les luttes acharnées des militantes et militants de la CGTT depuis sa renaissance, le 3 décembre 2006, à l’époque de la dictature, qui ont rendu possible ce jugement historique», lit-on dans le communiqué.
La CGTT remercie le Bureau international du travail (BIT) et les organisations syndicales amies pour leur soutien à la CGTT et ses luttes pour le respect de la liberté syndicale et pour le pluralisme syndical en Tunisie.
Suite à ce jugement, aux autorités tunisiennes et aux entreprises de respecter le jugement du tribunal administratif et de le mettre en œuvre.
Un revers pour le gouvernement
Il s’agit de toute évidence d’un revers de taille pour l’actuel ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi, qui n’a jamais caché son penchant pour la pensée unique représentée jusque-là par le syndicat unique, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), dont il était, faut-il le rappeler, secrétaire général adjoint.
En témoigne la composition du Conseil national du dialogue social, récemment créé. En dépit du nombre important de représentants au sein du conseil (105), le ministre en a exclu les représentants de syndicats comme la CGTT, le Syndicat national des agriculteurs (Synagri) et la Confédération tunisienne des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect), favorisant une logique de représentation restrictive et exclusive, au détriment de la logique de la représentation proportionnelle, et limitant la représentation des travailleurs : 35 membres représentant le gouvernement, 35 l’UGTT, 30 l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) et 5 pour l’Union tunisienne de l’agriculture de la pêche (Utap).
Cette composition est, de l’avis des observateurs, un déni des acquis de la révolution qui a consacré le pluralisme syndical et de la Constitution de 2014 qui l’a institué.
Persistance du monopole syndical
Pour la CGTT, la Conect et le Synagri, cette composition ne favorise pas le dialogue inclusif et conduit nécessairement à limiter le droit de représentation syndicale à l’UGTT, à l’Utica et à l’Utap. Elle exclut, en revanche, toutes les autres organisations professionnelles représentatives des travailleurs et des employeurs auxquelles il devient, ainsi, interdit ou quasiment impossible d’exercer une représentation quelconque.
Avec cette composition, le ministère des Affaires sociales, estiment les syndicats exclus, perpétue la pensée unique d’antan et leurs corollaires, le monopole syndical et la discrimination à l’égard des autres organisations syndicales.
Mieux, ils considèrent que cette composition contredit ouvertement les dispositions de la loi du 24 juillet 2017 portant création du Conseil national du dialogue social, plus particulièrement, l’article 8 qui fait prévaloir expressément la logique du pluralisme syndical dans la composition de l’assemblée générale du Conseil.
Cet article stipule que cette assemblée se compose «d’un nombre égal de représentants du gouvernement, de représentants des organisations les plus représentatives des travailleurs et de représentants des organisations les plus représentatives des employeurs dans les secteurs agricole et non agricole», ce qui renvoie logiquement et juridiquement à l’existence d’une pluralité d’organisations les plus représentatives.
Ils rappellent également que cette composition contredit également les conventions de l’OIT ratifiées par la Tunisie, s’agissant notamment de celles relatives aux libertés syndicales, la Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la Convention (n°98) sur le droit d’organisation et de négociation collective.
Cela pour dire au final que, pour éviter ces revers juridiques, le gouvernement doit, tout simplement, honorer les engagements qu’il prend dans la cadre de son adhésion aux conventions internationales et surtout respecter la Constitution.
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